Par Mohamed Taleb*

ONU 1947 : Il y a 75 ans, le Plan de partage de la Palestine – (1ère partie)

État des lieux avant 1947

La Palestine et les Palestiniens se trouvent sous administration britannique dans le cadre d’un mandat attribué à l’empire britannique en 1922 par la Société des Nations, nouvellement créée.  En réalité l’empire britannique s’est arrogé le droit, en vertu de l’Accord Sykes-Picot de 1916 entre Britanniques et Français, d’occuper une partie des territoires de l’ancien empire ottoman après la défaite de ce dernier à l’issue de la Première Guerre mondiale.  La Palestine est partie intégrante de ces territoires.

D’autre part la Société des Nations a avalisé le projet de création d’un Foyer national juif au sein de la Palestine en conformité à la Déclaration Balfour de 1917 à l’adresse au baron Lionel Walter Rothschild, membre de l’organisation sioniste britannique.
Une décision en violation de l’Article 22 de la Convention de la SDN qui a reconnu provisoirement l’indépendance du peuple palestinien et envisagea un mandat temporaire sur la Palestine en vue d’acheminer ses habitants à une totale indépendance.

Ceci illustre bien que la décision d’occuper la Palestine et d’y installer une population juive, est un projet de colonisation en bonne et due forme, antécédent à la fondation de la Société des Nations, contre le droit international et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (voir les Quatorze points du président US Woodrow Wilson en 1918).

En ce sens a été instituée par le président Wilson la Commission[1] King-Crane (du nom de ses deux protagonistes) pour enquêter entre autres sur la faisabilité du projet sioniste de création d’un État juif en Palestine. D’emblée cette commission qui enquête du 29 mai au 27 juillet 1919, connait de multiples entraves et embuches orchestrées par Français, Britanniques, voire Américains. Le rapport final concernant la Palestine est sans équivoques : il dénonce la contradic­tion essentielle entre le principe wilsonien d’autodétermination et le projet d’occupation sioniste, autrement dit une immigration juive sans limites et une éviction des Palestiniens de leur terre. Le rapport n’omet pas de mentionner l’opposition et l’hostilité de la population palestinienne, voire

de la Syrie, à la stratégie sioniste et leur ambition d’accéder à l’indépendance immédiatement, sans devoir renoncer à leur intégrité territoriale. En outre, King et Crane soulignent avec force l’irrecevabilité du concept sioniste de « droit à la Palestine » étayé par des motivations religieuses. Malheureusement ce rapport ne sera connu qu’en décembre 1922 et n’aura aucun effet sur les évènements d’autant plus que les mandats ont été déjà attribués à la France et à la Grande-Bretagne.

[1] – Commission King-Crane (lesclesdumoyenorient.com)

Avec le mandat britannique débute officiellement la colonisation de peuplement de la Palestine même si celle-ci a démarré déjà à partir de 1881 avec la première Aliya (vague d’immigration vers la Palestine) à la suite des pogroms russes de 1881.

Tampon du comité Avant-garde pour la colonisation

de la Palestine à Rishon-Le-Zion, entre 1882 et 1900/.

Plus de 35.000 colons juifs, en majorité des jeunes (haloutsim ou pionniers russes aux aspirations socialistes) convenablement encadrés par les organisations et élites sionistes, se précipitent en Palestine pour construire leur avenir en dépossédant et excluant les Palestiniens de leurs terres et de leurs biens. La majorité des paysans palestiniens, des paysans sans terre, se sont retrouvés du jour au lendemain au chômage, suite à l’acquisition des terres de la part des organisations sionistes et du K. K. L. (Fonds national juif pour la création d’Israël).

L’Histadrut (première organisation syndicale sioniste) dont l’idéologie est une mixture entre socialisme et nationalisme sioniste, est une organisation qui assumera dans un temps très bref la forme d’une structure pré-Etatique intervenant dans tous les domaines de la vie pu­blique. Un État dans un État, sous les yeux et la bienveillance de l’administration mandataire.

Les Palestiniens sont confrontés à la violence de cette dernière et à la violence sioniste. Ils se sont prononcés, toutes classes sociales confondues, contre le projet de fondation d’un Foyer national juif en Palestine, contre les vagues migratoires, contre l’accaparement de leurs terres et de leurs biens par les hordes sionistes (émeutes de 1921, 1929…).

Sous sa forme illégale, le terrorisme sioniste a vu le jour avant la Première Guerre mondiale. La milice Ha-Shomer, la première organisation paramilitaire, créée soi-disant pour défendre les implantations juives de la 2ème Aliya (deuxième vague d’immigration 1904-1914, venant généralement de Russie), allait bien au-delà de ses prétendues prérogatives. La Haganah, branche militaire de l’Histadruth, l’Irgoun et la formation dissidente en son sein, le Lehi (Stern), sont les principales composantes du terrorisme sioniste d’avant 1948 et de loin plus agressives que la milice Ha-Shomer. Ces organisations sont officiellement illégales mais bénéficient dans un premier temps de la complaisance sinon de la bienveillance des Britanniques dans leurs agressions contre la population arabe et souvent même contre des Juifs qui se placent en contradiction avec les positions sionistes.

Des personnalités sionistes  de premier plan, futurs cols blancs des gou­vernements successifs israéliens, en ont fait partie :  Ben Gourion (Ministre de la défense, Haganah), Menahem Begin (Premier Mi­nistre, Irgoun), Yitzhak Shamir (Premier Ministre, Irgoun puis chef du Lehi-Stern), Isaac Rabin (Premier Ministre, Haganah) sont des terroristes de la première heure, sous la forme illégale du terrorisme et plus tard sous sa forme légale en tant que représentants et diri­geants de l’État d’Israël.

La collaboration entre le terrorisme sioniste et l’impérialisme britannique devient manifeste déjà dans les années Trente et culmine pendant la répression de la Révolte palestinienne de 1936-1939.

Les années Trente

Deux évènements majeurs marquent la période des années Trente : la Cinquième Aliya (1929-1939) sous l’effet de la montée du nazisme en Allemagne et la Révolte palestinienne de 1936/1939.

La cinquième Aliya est une vague d’immigration à deux compo­santes : l’une, occidentale, à majorité allemande en raison de l’arri­vée au pouvoir des nazis et de la situation de plus en plus difficile pour les Juifs, et l’autre, orientale, en provenance de Russie et de Pologne. Entre 1932 et 1939, près de 250.000 personnes foulent le sol pales­tinien et portent la population juive à près de 430.000 habitants, soit 28% de la population totale en Palestine. La population juive de la cinquième Aliya, composée de Juifs orientaux et de Juifs occi­dentaux, est très hétérogène socialement. Toutes les classes sociales y sont représentées, libérale, bourgeoise, travailleuse, estudiantine, etc. ainsi que toutes les tranches d’âge, avec une prédominance de jeunes. Cette nouvelle dynamique, accompagnée des fonds injectés dans le cadre de l’accord Haavara[1], va engendrer un certain dévelop­pement dans différents secteurs productifs desquels seront totale­ment exclus les Palestiniens. Dans le cadre de cet accord, plus de 50.000[2] juifs allemands quittent l’Allemagne pour s’installer en Palestine, emportant avec eux des biens de la valeur d’environ 140 millions de Reichsmark.

[1] – Accord signé le 25 août 1933 entre la fédération sioniste allemande, l’Agence juive (créée en Palestine en 1929) et les autorités nazies.  L’accord Haavara (de Transfert) a été accepté par le gouvernement allemand de Hitler pour permettre au mouvement sioniste de transférer des biens d’Allemagne vers la Palestine, dans le seul but d’encourager l’émigration juive d’Allemagne.

[2] – Das Haavara-Abkommen – Jüdische Auswanderung | ZbE (zukunft-braucht-erinnerung.de)

L’Agence juive utilise ces nouveaux arrivages de Juifs pour fonder le plus possible de villages juifs et de points de contrôle du territoire. Elle met au point une technique[1], « Tour et palissade », de fondation rapide de  ces villages qui permettra au mouvement sioniste de fonder plus de 50 villages entre 1936 et 1939.

[1] – Tour et Palissade – Moshé Dayan (rozenblum.com)

L’ascension du capital industriel juif, outre à signifier le malheur pour les masses ouvrières et paysannes palestiniennes, constituait également un danger pour la classe bourgeoise urbaine palesti­nienne.

Les conditions de vie des Palestiniens se détériorent considérablement et prennent une dimension telle à même de les pousser à une révolte contre le régime « bi-colonial », britannique et sioniste. La classe paysanne est celle qui subit le plus les contrecoups de l’invasion juive sioniste. Le passage de terres cultivables des mains palestiniennes aux mains juives connait un essor sans précédent au milieu des années trente.

Le soulèvement sous Cheikh Izz Al-Din Al-Qassam, symbole de la résistance palestinienne, syrien d’origine, né en 1882, marque en Palestine le commencement de la révolte de 1936. Il organise la résistance armée et crée les premiers maquis avec un groupe de 200 à 300 combattants. Voyant les conditions réunies pour un appel à la révolte et subséquemment pour un soulèvement palestinien, sa proposition au Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al-Husseini (placé à ce poste par l’administration mandataire[1] pour contrecarrer le poids de la famille notable rivale des Nashashibi), de rallier ses positions reste sans succès, ce dernier privilégiant encore la voie diplomatique et pacifique. À la suite de sa mort, survenue lors d’un accrochage avec les troupes britanniques le 20 novembre 1935, un mouvement de grève générale est déclenché en 1936 et va durer 174 jours. La prise de conscience du défi national fait son apparition chez les masses paysannes, confrontées à la pression des sionistes, à la pression britannique et à celle des féodaux arabes.

Le 25 avril 1936 fut créé le Haut Comité arabe, une organi­sation issue de l’élite clérico-féodale et regroupant des représentants de plusieurs formations politiques palestiniennes mais principale­ment appartenant aux clans rivaux des familles Husseini et Nashashibi ; des représentants de la classe bourgeoise, chrétiens et musulmans, y font également partie. La présidence du comité fut confiée à Hadj Amin El Husseini. Selon Ghassan Kanafani,  l’intellectuel palestinien communiste, assassiné avec sa nièce par le Mossad en 1972 dans un attentat à la voiture piégée, le Haut Comité arabe n’était pas représentatif et ne reflétait pas la composition de classe palesti­nienne qui regroupait parmi les révolutionnaires une grande majo­rité issue de la classe paysanne.

Trois revendications fondamentales sont  convenues lors de la tenue du congrès de mai 1936 : arrêt immédiat de l’immigration juive, arrêt des ventes de terres au Fonds national juif, accession à l’indépendance au même titre que les autres pays placés auparavant sous mandat et instauration d’un État démocratique.

De par sa composition clérico-féodale et bourgeoise, le Haut Comité arabe est par contre plus enclin au dialogue avec les auto­rités britanniques qu’à faire aboutir les revendications des masses paysannes et ouvrières palestiniennes.  L’élite bourgeoise, attirée par le capital juif, se penche vers la classe industrielle juive. Par ailleurs pour le Haut Comité, le mouvement de grève est susceptible de devenir plus menaçant pour ses représentants que l’impérialisme britannique ou le sionisme. Les monarchies arabes, craignant que la déferlante révolution­naire des paysans et ouvriers palestiniens n’atteigne leur propre pays, collusives et en adéquation avec les autorités britanniques, la compromission avec ces derniers de l’élite palestinienne et les conflits internes à l’élite entre les différents clans, sont à la base de l’échec de la révolte.

La fraction indé­pendantiste au sein du Haut Comité et les comités nationaux sous la direction de cadres intermédiaires, refusant tout compromis, lancent un appel à la poursuite de la révolte qui sera menée jusqu’en 1939 et férocement réprimée par les Britanniques et leurs supplétifs sionistes. Quelques 20.000[2] soldats britanniques débarquent en Palestine en renfort des 14.500 déjà sur place pour réprimer la révolte.

Les pertes humaines palestiniennes entre 1936 et 1939 s’élèvent à plus de 5.000 tués à coté de 15.000 blessés et quelques 9.000 détenus. Rapportés à la population britannique, ces chiffres auraient signifié 200.000 tués, 600.000 blessés et 1, 2 millions de détenus.

Une commission d’enquête britannique, la Commission royale Peel, a été instituée pour enquêter sur la situation en Palestine. Le 7 juillet 1937 elle présente un rapport qui instruit sur l’impossibilité d’une coexistence entre Arabes et Juifs dans un même territoire et préconise un plan de partage de la Palestine mandataire (voir tableau ci-dessous).

Le Roi Abdallah de Transjordanie, très intéressé par une éventuelle incorpora­tion au sein de la Transjordanie de la partie attribuée aux Arabes, fait pression sur les Nashashibi, présents dans les territoires attri­bués aux Juifs, pour l’acceptation du Plan Peel.

En 1939 les Britanniques publient un ultérieur Livre Blanc sur la Palestine. Il réaffirme le principe d’une Palestine unitaire et de l’établissement d’un État indépendant dans les dix ans à venir.

Les révisionnistes sionistes veulent par contre la Palestine entière, ils opposent une fin de non-recevoir au plan et se lancent instanta­nément dans un terrorisme encore plus cruel contre les Palestiniens, et après la publication du Troisième Livre blanc, contre les Britanniques.
Le déclenchement de la deuxième Guerre mondiale, le 1er septembre 1939, précipite les choses.

[1] – L’administration mandataire a joué sur le levier religieux depuis la Déclaration Balfour dont un extrait : « … étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine… ».

[2] – Grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire — Wikipédia (wikipedia.org)

Plan Peel 1937
Chiffres approximatifsSuperficie km²Pourcentage
État juif4.76017%
État palestinien21.56077%
Jérusalem – Zone britannique1.6806%
Total28.000100

(*) : Auteur de : Palestine, le plus grand hold-up du XX siècle – Éditions Apic 2019.

Source : Amar Djerrad