Juillet 2017 – Combatants des Brigdes al-Qassam, l’aile armée du mouvement Hamas
[résistance islamique] – Photo : Mustafa Hassona

Par Ramzy Baroud

Les événements dramatiques et bouleversants qui se sont déroulés en Palestine à partir du 7 octobre ont pris de nombreuses personnes par surprise. Mais à l’exception des observateurs attentifs.

Peu de gens s’attendaient à ce que des combattants palestiniens soient parachutés dans le sud d’Israël le 7 octobre ; qu’au lieu de capturer un seul soldat israélien – comme en 2006 – ce sont des centaines d’Israéliens, dont de nombreux soldats et civils, qui se retrouvent captifs dans la bande de Gaza assiégée.

La raison de cette « surprise », cependant, est la même que celle pour laquelle Israël est encore sous le choc, à savoir la tendance à prêter une attention privilégiée aux discours politiques et aux analyses de renseignement d’Israël et de ses partisans, tout en négligeant largement le discours palestinien.

Pour une meilleure compréhension des faits, revenons au début.

L’étincelle

Nous érions entrés dans l’année 2023 avec des données décourageantes et de sombres prédictions sur ce qui attendait les Palestiniens dans la nouvelle année.

Juste avant le début de l’année, l’envoyé des Nations unies pour le Proche-Orient, Tor Wennesland, a déclaré que 2022 avait été l’année la plus violente depuis 2005. « Trop de personnes, en grande majorité des Palestiniens, ont été tuées et blessées », a déclaré M. Wennesland devant le Conseil de sécurité de l’ONU.

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Ce chiffre – 171 morts et des centaines de blessés pour la seule Cisjordanie – n’a pas fait l’objet d’une grande attention de la part des médias occidentaux. Le nombre croissant de victimes palestiniennes a toutefois été dûment enregistré par les Palestiniens et leurs mouvements de résistance.

Alors que la colère et les appels à la vengeance se multipliaient parmi les Palestiniens, leurs « dirigeants » ont continué à assurere leur fonction habituelle : réfrener les appels à la résistance, tout en poursuivant leur « coordination sécuritaire » avec l’occupant israélien.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas [88 ans, élu en 2004…] a continué à ressasser le vieux discours sur la solution à deux États et le « processus de paix », tout en réprimant les Palestiniens qui osaient protester contre l’inefficacité de son leadership.

Sans défense face à un gouvernement israélien ouvertement fascisant dont l’objectif est d’écraser les Palestiniens, d’étendre les colonies juives et d’empêcher la création d’un État palestinien, les Palestiniens ont été contraints de concevoir et mettre en oeuvre des stratégies défensives.

Le Repaire aux Lions – un groupe de résistance multi-organisationnel apparu pour la première fois dans la ville de Naplouse en août 2022 – a gagné en puissance et en attrait.

D’autres groupes, anciens et nouveaux, sont apparus sur la scène dans tout le nord de la Cisjordanie, avec pour seul objectif d’unir les Palestiniens autour d’un programme non sectaire et, en bout de ligne, de mettre en place une nouvelle direction palestinienne en Cisjordanie.

Cette évolution a sonné l’alarme en Israël. L’armée d’occupation s’est empressée d’écraser la nouvelle rébellion armée, lançant des raids sur les villes et les camps de réfugiés palestiniens les uns après les autres, dans l’espoir de transformer cette révolution naissante en une nouvelle tentative avortée de remise en cause du statu quo dans la Palestine occupée.

Les incursions israéliennes les plus sanglantes ont eu lieu à Naplouse le 23 février, à Jéricho le 15 août et, surtout, dans le camp de réfugiés de Jénine.

L’invasion israélienne de Jénine, le 3 juillet, n’est pas sans rappeler, en termes de victimes et de degré de destruction, l’invasion israélienne de ce même camp en avril 2002.

Le résultat, cependant, n’a pas été le même. À l’époque, Israël avait envahi Jénine, ainsi que d’autres villes et camps de réfugiés palestiniens, et avait réussi à écraser la résistance armée pour plusieurs années.

Cette fois-ci, l’invasion israélienne a eu pour principale effet de lancer une rébellion encore plus large dans les territoires palestiniens occupés, créant un nouveau clivage dans les relations déjà détériorées entre les Palestiniens, d’une part, et Abbas et son Autorité Palestinienne [AP], d’autre part.

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En effet, quelques jours seulement après la fin de l’attaque israélienne sur le camp, Abbas est sorti avec des centaines de ses sbires pour avertir les réfugiés endeuillés que « la main qui brisera l’unité du peuple […] sera coupée de son bras ».

Cependant, alors que la rébellion populaire continuait à prendre de l’ampleur en Cisjordanie, les services de renseignements israéliens ont commencé à évoquer un « plan » élaboré par le responsable adjoint du bureau politique du Hamas, Saleh Arouri, visant à déclencher une Intifada armée.

Selon le journal israélien Yedioth Ahronoth, citant des sources israéliennes officielles, la solution consistait à assassiner Arouri.

En effet, l’attention et la contre-stratégie d’Israël se sont concentrées sur la Cisjordanie, car le Hamas, qui se trouvait à Gaza à l’époque, semblait, du point de vue d’Israël, ne pas vouloir d’une confrontation générale.

Mais pourquoi Israël est-il parvenu à une telle conclusion ?

Un mauvais calcul

Plusieurs événements majeurs, qui auraient pu pousser le Hamas à riposter, se sont produits sans que la Résistance à Gaza ne réagisse sérieusement par une confrontation armée.

En décembre dernier, Israël a investi son gouvernement le plus réactionnaire de son histoire.

Les ministres fascistes Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich sont arrivés sur la scène politique avec pour objectifs déclarés d’annexer la Cisjordanie, d’imposer un contrôle militaire sur la mosquée Al-Aqsa et d’autres lieux saints palestiniens musulmans et chrétiens et, dans le cas de Smotrich, de nier l’existence même du peuple palestinien.

Leurs promesses ont été rapidement traduites en actes sous la direction du Premier ministre israélien Netanyahu. Ben-Gvir tenait à faire savoir à ses électeurs que la prise de la mosquée Al-Aqsa par Israël était devenue imminente.

Il a effectué ou ordonné des attaques répétées sur Al-Aqsa à une fréquence sans précédent.

La plus violente et la plus humiliante de ces incursions a eu lieu le 4 avril, lorsque des fidèles ont été tabassés par des soldats alors qu’ils priaient à l’intérieur de la mosquée pendant le mois sacré du Ramadan.

Les groupes de résistance de Gaza ont menacé de riposter. En fait, plusieurs roquettes ont été tirées de Gaza en direction d’Israël, rappelant ainsi symboliquement que les Palestiniens sont unis, quelle que soit leur position sur la carte géographique de la Palestine historique.

Israël a cependant ignoré le message et a utilisé les menaces de représailles par les Palestiniens et les attaques sporadiques de « loups solitaires » – comme celle de Muhannad al-Mazaraa dans la colonie illégale de Maale Adumim – comme des opportunités pour enflammer la ferveur religieuse de la société israélienne.

Même la mort du prisonnier politique palestinien Khader Adnan, le 2 mai, ne semble pas avoir modifié la position du Hamas. Certains ont même suggéré qu’il y avait une rupture entre le Hamas et le Jihad islamique [PIJ] palestinien à la suite de la mort d’Adnan, victime d’une grève de la faim à la prison de Ramleh.

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Le même jour, le PIJ a tiré des roquettes sur Israël, car Adnan était l’un de ses membres les plus éminents. Israël a répondu en attaquant des centaines de cibles à l’intérieur de Gaza, principalement des habitations et des infrastructures civiles, ce qui a entraîné la mort de 33 Palestiniens et en a blessé 147 autres.

Une trêve a été déclarée le 13 mai, toujours sans participation directe du Hamas, ce qui a conforté Israël dans l’idée que son assaut sanglant contre la bande de Gaza avait atteint plus qu’un objectif militaire – souvent appelé « tondre la pelouse » – mais aussi un objectif politique.

L’estimation stratégique d’Israël s’est toutefois révélée erronée, comme en témoignent les attaques bien coordonnées du Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël, visant de nombreuses bases militaires, des colonies et d’autres positions stratégiques.

Mais le Hamas avait-il la volonté de fourvoyer Israël ? Cachait-il ses véritables objectifs stratégiques en prévision de cet événement majeur ?

Un torrent furieux

message à Israël : « Nous viendrons à vous comme un torrent furieux. Nous viendrons à vous avec des roquettes à n’en plus finir ; nous viendrons à vous dans un flot illimité de combattants… comme la marée qui se répète ».

La réponse immédiate à l’attaque du Hamas a été la collusion américano-occidentale avec Israël à laquelle il fallait s’attendre, les appels à la vengeance, la destruction complète et l’anéantissement de Gaza et les plans remis d’actualité d’expulsion massive des Palestiniens de Gaza vers l’Égypte – et en plus, des Palestiniens de la Cisjordanie vers la Jordanie.

La guerre israélienne contre la bande de Gaza, qui a également commencé le 7 octobre, a fait un nombre de victimes sans précédent par rapport à toutes les guerres israéliennes contre Gaza, en fait contre les Palestiniens, à n’importe quel moment de l’histoire moderne.

Rapidement, le terme « génocide » a été utilisé, d’abord par des analystes et des militants, puis par les experts eux-mêmes en droit international.

« L’assaut génocidaire d’Israël sur Gaza est tout à fait explicite, ouvert et sans honte », a écrit le 13 octobre Raz Segal, professeur associé d’études sur l’Holocauste et le génocide à l’université de Stockton, dans un article intitulé « A Textbook Case of Genocide » (Un cas d’école de génocide).

Malgré cela, les Nations Unies n’ont rien pu faire. Le 8 novembre, le secrétaire général Antonio Guterres a déclaré que les Nations unies n’avaient « ni l’argent ni le pouvoir » d’empêcher un éventuel génocide à Gaza.

En substance, cela signifie que les systèmes juridiques et politiques internationaux ont perdu toute signification car toutes les tentatives du Conseil de sécurité pour exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent ont été bloquées par les États-Unis et les autres alliés occidentaux d’Israël.

Alors que le nombre de morts augmentait au sein d’une population maintenant soumise à la famine à Gaza – totalement privée de nourriture selon l’estimation du 28 novembre du Programme alimentaire mondial – les Palestiniens ont résisté dans l’ensemble de la bande de Gaza.

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Leur résistance ne s’est pas limitée à attaquer ou à tendre des embuscades aux soldats israéliens qui envahissent le territoire, mais elle s’est appuyée sur la fermeté légendaire d’une population qui refusait d’être écrasée ou déplacée de force.

Sumud

Ce sumud a persisté, même lorsqu’Israël a commencé à attaquer systématiquement les hôpitaux, les écoles et tous les lieux qui, en temps de guerre, sont considérés comme des « lieux sûrs » pour une population civile assiégée.

En effet, le 3 décembre, Volker Türk, responsable des droits de l’homme des Nations unies, a déclaré qu’ « il n’y a aucun endroit sûr à Gaza ». Cette phrase a été souvent répétée par d’autres officiels de l’ONU, ainsi que d’autres expressions telles que « Gaza est devenu un cimetière pour les enfants », comme l’a noté pour la première fois le porte-parole de l’UNICEF, James Elder, le 31 octobre.

M. Guterres n’a donc eu d’autre choix que d’invoquer, le 6 décembre, l’article 99, qui permet au Secrétaire général de « porter à l’attention du Conseil de sécurité toute question qui, à son avis, peut menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

La violence israélienne et la ténacité palestinienne se sont également étendus à la Cisjordanie.

Consciente du potentiel de résistance armée en Cisjordanie, l’armée israélienne d’occupation a rapidement lancé des raids massifs et meurtriers sur d’innombrables villes, villages et camps de réfugiés palestiniens, tuant des centaines de personnes, en blessant des milliers et en arrêtant des milliers d’autres.

Mais Gaza est restée l’épicentre du génocide israélien.

Hormis une brève trêve humanitaire du 24 novembre au 1er décembre, couplée à quelques échanges de prisonniers, la bataille pour Gaza – en fait, pour l’avenir de la Palestine et du peuple palestinien – se poursuit, au prix d’un nombre inégalé de morts et de destructions.

Les Palestiniens ont clairement conscience que le combat actuel signifiera soit une nouvelle Nakba, comme le nettoyage ethnique de 1948, soit le début du renversement de cette même Nakba – comme dans le processus de libération du peuple palestinien du joug du colonialisme israélien.

Alors qu’Israël est déterminé à mettre fin à la résistance palestinienne une fois pour toutes, il est évident que la détermination du peuple palestinien à gagner sa liberté dans les années à venir est plus forte que jamais.

Auteur : Ramzy Baroud

* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l’auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s’intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.

29 décembre 2023 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…