Rassemblement et concert pour célébrer l’annexion de quatre régions d’Ukraine occupées par les troupes russes – Lougansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia -sur la Place Rouge à Moscou, vendredi.
Photo STRINGER – AFP

Par Gideon Levy

Israël ne manque pas d’air

Gideon Levy, Haaretz, 2/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’ironie baisse sa tête de honte, l’hypocrisie est embarrassée. Israël leur donne une mauvaise réputation. Le ministère israélien des Affaires étrangères a annoncé vendredi qu’ « Israël soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Nous ne reconnaîtrons pas l’annexion des quatre provinces par la Russie ».

Par où commencer ? Par un État occupant qui fait la morale à un autre État occupant ? Par un État annexant qui annonce qu’il ne reconnaîtra pas une autre annexion ? Ou peut-être avec le fossé qui s’est finalement creusé entre les gouvernements de Lapid et de Netanyahou : l’Israël de Benjamin Netanyahou était silencieux, l’Israël de Yair Lapid prêche la morale. L’un est mauvais, l’autre est encore pire.

Les questions se posent d’elles-mêmes : Qu’est-ce qui est le mieux, l’hypocrisie ou dire la vérité honteuse ? Le “je-m’en-foutisme” ou le fait de fermer les yeux sur ce qui se passe autour de soi ? Apparemment, toute action d’Israël concernant la guerre en Ukraine est répréhensible. S’il se tait, son silence est honteux ; s’il parle, son discours est hypocrite. C’est comme ça quand on se balade avec une bosse. Et pourtant, on ne peut pas se taire quand un État annexé prêche la morale à un autre État annexé.

Le déshonneur du silence et de l’inaction a été attribué à la peur de la Russie, mais qu’en est-il de l’hypocrisie ? Quel objectif sert-elle ? Y a-t-il un pays qui avale le pharisaïsme d’Israël – il ne reconnaît pas l’annexion des quatre provinces – à un moment où Israël essaie de persuader les dirigeants mondiaux de reconnaître ses propres annexions et même de les étendre encore et encore, si seulement cela était permis ?

Il n’y a pas de différence fondamentale entre déchirer l’Ukraine en lambeaux et déchirer la Palestine en lambeaux. Déchirer la Palestine est encore moins moral. Les Ukrainiens ont un État, dont des morceaux ont été arrachés ; les Palestiniens n’ont pas d’État, et le fait d’arracher les restes de leur terre signifie qu’ils n’auront jamais d’État. Un Premier ministre qui soutient cela, dans ses actions ou ses omissions, ne peut pas faire la morale à un autre pays. Il serait préférable qu’il se taise, par honte.

Il est étonnant de voir que pas un seul muscle ne tressaille sur le visage des décideurs et des citoyens ordinaires d’Israël lorsqu’ils parlent de l’occupation russe. Comme c’est moralisateur : l’occupation russe est si cruelle et si brutale, si laide ; elle viole le droit international et les résolutions de la communauté internationale. Et les soldats russes ? Avez-vous vu à quel point ils sont cruels ? Ils tuent des enfants et bombardent des maisons. Il y a tellement de victimes innocentes en Ukraine qu’on pourrait en pleurer. Et l’occupation israélienne ? Est-elle plus belle ? Plus légale ? N’est-elle pas violente et brutale ? N’a-t-elle pas tué des milliers d’innocents, dont des centaines d’enfants ? L’occupation israélienne est simplement plus ancienne et plus enracinée. Elle est permanente, et vraisemblablement éternelle.

Comment Lapid peut-il s’étonner que son homologue britannique, le Premier ministre Liz Truss, lui marmonne à l’oreille quelque chose à propos du transfert de l’ambassade de son pays à Jérusalem, une étape qui est absolument une reconnaissance de l’annexion, et dans le même souffle déclare que son gouvernement ne reconnaît pas l’annexion russe ? Comment Israël peut-il s’opposer à la réouverture du consulat usaméricain à Jérusalem-Est, une mesure manifestement anti-annexion, et ne pas reconnaître l’annexion russe ? Dans quel monde Israël peut-il même parler sans aucune honte d’autres occupations et annexions ?

Israël est quelque chose de différent. Il est toujours exceptionnel. Il est toujours autorisé à faire ce qui est interdit aux autres, y compris à la Russie. Cette terre appartient aux Juifs, uniquement à eux, pour les mêmes raisons et explications que l’Ukraine est la terre des Russes. Les Ukrainiens et les Palestiniens ne sont pas des peuples, après tout, et ils n’ont évidemment pas de droits nationaux comme les Juifs en Terre d’Israël. Nous sommes frères, Israéliens et Russes : Nous et eux sommes des conquérants effrénés.

Si la Russie continue sur sa lancée, Israël devra se joindre aux sanctions internationales auxquelles il a échappé jusqu’à présent. Ce sera le pompon : Boycott, désinvestissement et sanctions israéliens contre la Russie, beaucoup moins morales que le BDS original. Cela ne l’empêchera pas de crier que le BDS est antisémite et cherche à détruire Israël. Les sanctions sont donc appropriées, tant qu’elles sont imposées à l’Iran et à la Russie, et non à Israël. Sauvez-nous !

Source : TLAXCALA
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