Ronen Zvulun/REUTERS

Par Pierre Barbancey

Les Israéliens voteront aux élections législatives le 1er novembre, pour la cinquième fois en moins de quatre ans. Une impasse récurrente qui en dit long sur la vie politique d’un pays où l’occupation et la colonisation sont tabous et où l’extrême droite reste faiseuse de rois.
« Bonne année aux électeurs de droite qui, l’année dernière, se sont dit : “Que peut-il arriver de pire ? Le jour des élections, j’irai à la plage.” » C’est en ces termes que l’inaltérable Benyamin Netanyahou a adressé ses vœux de bonne année (Roch Hachana a été fêté le 25 septembre) aux Israéliens juifs, quelques semaines avant le cinquième scrutin législatif du pays en trois ans et demi. La présence même de Netanyahou et ses ambitions – jamais entamées alors qu’on le disait politiquement mort – en disent long sur la vie politique israélienne et ses élections, qui évitent à chaque fois de traiter le problème majeur de cette société dominée par l’armée : l’occupation permanente des territoires palestiniens depuis cinquante-cinq ans.

Une bête politique en quête de majorité

Paradoxalement, les Israéliens sont appelés de nouveau aux urnes le 1er novembre parce que le 30 juin dernier les députés ont voté la dissolution de la Knesset (le Parlement). En juin 2021, Yaïr Lapid et Naftali Bennett avaient écrit une page de l’histoire d’Israël en réunissant une coalition de huit partis (droite, gauche sioniste, centre), incluant pour la première fois une formation arabe, afin de couper court à douze ans sans discontinuer de pouvoir de Benyamin Netanyahou. C’était compter sans l’habileté politique et manœuvrière de ce dernier. Un an plus tard, cette coalition perdait sa majorité à la Chambre, et ne parvenait même pas à faire voter le renouvellement d’une loi garantissant aux plus de 475 000 colons de Cisjordanie occupée les mêmes droits que les autres Israéliens. On voit là le paradoxe politique israélien : un parlement ultradominé par la droite et l’extrême droite, dont le liant est le sionisme à la sauce Jabotinsky, se fait hara-kiri sur la question des colons !
Or, l’accord de coalition entre Naftali Bennett et Yaïr Lapid prévoyait un partage du pouvoir, incluant une clause selon laquelle ce dernier assurait l’intérim jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement en cas de dissolution du Parlement. « Nous avons besoin aujourd’hui de retourner au concept d’unité israélienne et non de laisser les forces de l’ombre nous diviser », déclarait aussitôt Yaïr Lapid, conscient du danger représenté par le Likoud de Netanyahou. Un homme de 72 ans finalement assez peu émoussé par les accusations de corruption dans une série d’affaires qui pourtant le poursuit. Mais une bête politique toujours à l’offensive pour retrouver son poste de premier ministre. En juin, peu après la dissolution du Parlement, il lançait : « L’expérience (de la coalition) a échoué. C’est ce qui arrive lorsque vous mettez ensemble une fausse extrême droite avec la gauche radicale, le tout avec les Frères musulmans. » Et le même d’enfoncer le clou : « Aurons-nous un autre gouvernement Lapid qui sera aussi un échec ou un gouvernement de droite mené par nous ? Nous sommes la seule alternative ! Un gouvernement fort, nationaliste et responsable. » À sa manière, il lançait la campagne électorale.
Une fois de plus Benyamin Netanyahou est parvenu à se trouver au centre de l’échiquier. « Bibi or not Bibi, c’est la question », dit-on sur les marchés israéliens en utilisant le surnom de celui dont la longévité à la tête du pouvoir a dépassé celle du père fondateur, David Ben Gourion. Netanyahou a néanmoins un problème. Si les sondages le placent devant ses autres concurrents, il n’atteint jamais la barre des 50 %. D’où les contraintes des coalitions afin de rassembler les 61 députés nécessaires pour former une majorité à la Knesset. Pour ce faire, le Likoud a changé de tactique. Il se fait moins dur, moins cassant, plus social avec un certain nombre de propositions socio-économiques visant à conforter le vote des classes populaires, auxquelles il n’avait jamais pensé lorsqu’il était au pouvoir.

Meloni et Orban lui tendent le bras

Ce qui ne l’empêche évidemment pas de rechercher une alliance de fait avec l’extrême droite la plus rude. Il n’y a là rien d’étonnant. Netanyahou est proche du premier ministre hongrois Viktor Orban, connu pour sa politique raciste et anti-immigrés. La nouvelle dirigeante italienne, Georgia Meloni, nostalgique de Mussolini, a dit tout le bien qu’elle pensait du Likoud et le fils de Netanyahou, Yaïr, a félicité Meloni pour son élection. En Israël même, ce rapprochement se fait avec Itamar Ben-Gvir, le député d’extrême droite d’Otzma Yehudit (littéralement « Pouvoir juif »). Celui-ci a bien compris que les législatives de novembre ne se joueront pas à gauche, ni même au centre, mais bien à droite dans tout son éventail possible. Depuis plusieurs mois, Ben-Gvir multiplie les provocations en accompagnant les colons sur l’esplanade des Mosquées, créant toujours plus de tension à Jérusalem-Est et, au-delà, dans les territoires occupés. C’est une droite messianique pour laquelle les Palestiniens n’ont aucun droit, qui considère qu’Israël doit s’étendre du Jourdain à la Méditerranée et du Liban à l’Égypte. Dans les sondages, sa formation, Otzma Yehudit, obtiendrait huit sièges. Ce qui, dans des majorités serrées, fait de lui un faiseur de rois et surtout, dans le cadre d’une coalition avec le Likoud de Netanyahou, un futur ministre.
D’autres facteurs pourraient faciliter le retour de Netanyahou au pouvoir. Notamment les manœuvres politiciennes de certains partis arabes. Ainsi les Frères musulmans avaient déjà semé la confusion lors du dernier scrutin en créant une Liste arabe unie face à la Liste unie conduite par le communiste Ayman Odeh et rassemblant, outre le parti communiste, les autres formations arabes, Ta’al d’Ahmed Tibi et Balad. Ce dernier parti, dans un geste suicidaire (il ne passera pas la barre nécessaire pour obtenir un député), a également fait défection. Outre l’affaiblissement du camp progressiste que représente la Liste unie, pourtant prête à prendre ses responsabilités au Parlement pour empêcher la nomination de Netanyahou à la tête du gouvernement, il est à parier que l’électorat arabe se détournera des urnes. Pendant ce temps-là, l’occupation se poursuit et la colonisation s’aggrave. Quant à l’annexion par Israël des territoires palestiniens (Jérusalem-Est) et syriens (le plateau du Golan), reconnue par les États-Unis, qui en a cure ?

Pierre Barbancey
L’Humanité du 22 octobre 2022

Source : Assawra
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