Par Mehdi Messaoudi

A l’occasion de la commémoration du 50 ème anniversaire de l’assassinat du révolutionnaire algérien Mohamed Boudia par le Mossad,coïncidant avec la date du 28 juin, Algérie 54 est allée rencontrer  son fils Rachid Boudia.

C’est en souvenir de la mémoire d’un révolutionnaire algérien, Mohamed Boudia, une voix de la résistance anticoloniale et anti-impérialiste, assassiné par des agents des services secrets israéliens à Paris 5e , le 28 juin 1973, que nous avons eu  l’honneur de rencontrer son fils Rachid, afin d’accompagner la lutte contre l’oubli  de cette grande figure  également de la lutte pour la liberté des peuples opprimés.

Écoutons Rachid Boudia : « Mon père était un bon vivant, toujours souriant et il incarnait l’amour de la vie. Je garde aussi le souvenir d’un bon père de famille. Il était attaché aux causes sociales, était proche du peuple,  et c’est ce qui explique peut-être son attachement au théâtre populaire ».

Mohamed Boudia est né le 24 février 1932, dans une famille très modeste de la Casbah d’Alger. Il avait  trois frères et une sœur (qui a perdu la vie car elle n’a pas pu accéder aux soins dont elle avait besoin sous le régime colonial ségrégationniste). Ce fût l’une de ses premières prises de conscience de l’injustice terrible d’un système de domination des populations autochtones, et une blessure coloniale indélébile.

Travaillant dès son jeune âge pour aider sa famille dans la nécessité, chez un tailleur et couturier qui avait refusé de le rémunérer, il se servit la caisse de son employeur, ne prenant que son dû ! Ce dernier n’a pas hésité à l’accuser de vol, ce qui lui a valu un emprisonnement au centre d’incarcération pour mineurs à Birkhadem. C’est à sa libération qu’il prend ses premiers cours de théâtre, sous la direction de Mustapha Gribi.  Il rejoint alors la troupe artistique du Front de Libération Nationale, dirigée par Mustapha Kateb, et arrive en France en juillet 1955.

Cet homme de grande culture marchera toujours sur deux pieds : le théâtre et la résistance à l’oppression, au point d’être surnommé par l’administration coloniale « l’agitateur culturel »; il dispensait en effet des cours de théâtre jusque dans les prisons (les Baumettes, Fresnes, Rouen et enfin Angers), pour éveiller les consciences des détenus, à qui il a fait même jouer « Molière » à la prison des Beaumettes.

C’est lors de son passage à la prison de Fresnes qu’il rencontre Etienne Bolo, un anticolonialiste du réseau Francis Jeanson, ami de l’Algérie, qui lui prête sa machine à écrire, lui permettant de rédiger et d’imprimer  ses pièces de théâtre « Naissances en trois actes », suivie de « l’Olivier ».

Membre de la Fédération de France du « Front de Libération Nationale », Mohamed Boudia a assuré aussi le rôle de coordonnateur de la résistance en Ile de France, et a occupé le poste de Chef régional à Paris. Cible de la « guerre des cafés », orchestrée par le régime colonial pour briser la résistance (où il y aurait eu 300 morts en 1956 et autour de 4000 entre 1956 et 1962), il aurait été soigné dans un appartement parisien.  Il a été ensuite exfiltré à Marseille et nommé « Chef Super régional », pour diriger autour de 3000 militants, en 1957.

Aux côtés de Omar Boudaoud (Chef de la Fédération de France de 1957 à 1962), et des résistants de la « Spéciale » : Méziane Cherif et de Mohamed Aissaoui, il concourt à l’opération appelée « Mourepiane ». Pour limiter les flux militaires incessants de la France vers l’Algérie, réduire la souffrance du peuple algérien et de l’ALN, les dirigeants de la résistance algérienne avaient décidé alors d’exporter la guerre sur le territoire métropolitain. C’est dans ce cadre que l’explosion  des dépôts pétroliers de Mourepiane (7 sur 14 bacs d’hydrocarbures) a été décidée (25 août 1958) lors de réunions organisées à Paris, afin de ne pas attirer l’attention. La première charge a été déclenché vers 22h15, et pour limiter le déploiement des pompiers, des foyers d’incendies ont été déclenchés dans le massif de l’Estérel. La seconde charge a été déclenchée autour de 8h du matin. L’incendie a duré 3 jours.

Arrêté à cette occasion, Mohamed Boudia a été condamné à 20 ans de prison, et a gardé une obsession de l’évasion durant toutes ses années d’incarcération, jusqu’en septembre 1961 où il réussit à s’enfuir de la prison d’Angers, grâce à l’appui du réseau des porteurs de valise d’Henri Curiel.

Militant anticolonial, Mohamed Boudia s’est engagé activement pour les droits du peuple palestinien dans les années 1970,  ce qui lui a malheureusement coûté la vie.

Écoutons à nouveau Rachid Boudia : «  Je l’ai vu la veille de son assassinat, le 27 juin 1973; il était venu comme à son habitude sans s’annoncer, par surprise, à la sortie de mon pensionnat à Fontenay/Bois. On s’apprêtait à voyager le 2 juillet 1973 vers Beyrouth, j’étais tout excité et joyeux de partir en vacances en sa compagnie !».

Ce jour là, après des échanges familiaux affectueux, nous avons pris la route dans deux voitures distinctes. Il roulait avec son ami, derrière la voiture où j’avais pris place avec ma mère et mon frère. C’est à hauteur d’un feu tricolore, qui passait à l’orange, qu’il a subitement accéléré pour nous laisser à l’arrêt. Un véhicule dans lequel avaient pris place des personnes aux visages troublants s’est alors brusquement arrêté à notre hauteur, et les occupants, aux regards fuyants, évitaient de nous regarder…

Arrivé chez lui, Rachid Boudia a passé sa soirée à pleurer, comme s’il avait le pressentiment  d’un danger, vu le mauvais sort réservé à son père, Mohamed Boudia, le 28 juin 1973, qui avait été tué par une charge d’explosifs (appelé par les militaires « le brisant ») d’environ 200 gr, planquée à l’arrière du siège conducteur, de façon à projeter l’occupant vers l’avant, contre le pare-brise…

Pour Rachid Boudia, les assassins du « Kidon (service-action du Mossad) »  n’ont pas ouvert les 4 portières pour accéder au véhicule et installer  les explosifs. Son père, vivant toujours sur ses gardes, avait l’habitude de faire le tour de sa voiture, et de poser des cheveux sur les poignées des portières, pour s’assurer qu’on n’avait pas touché à son véhicule. Ce qui laisse penser que le commando du Mossad a introduit les explosifs par la portière arrière (coffre) du véhicule de Mohamed Boudia.

En France, depuis la convocation de Madame Boudia au Quai des Orfèvres, où elle a été reçue, en compagnie de son fils Rachid  par le commissaire Bouvier, rien n’a filtré, et l’enquête est restée figée depuis la liquidation de Mohamed Boudia en 1973, en dépit du fait que le commando a été identifié en Norvège (quatre hommes et deux femmes), après l’assassinat   d’Oslo du 21 juillet 1976, opéré par la même équipe composée d’une quinzaine d’acteurs du Mossad.

Pour lui rendre hommage, son buste a été installé récemment (il y a 2 à 3 ans) au square « Port Saïd » à Alger, devant le TNA (Théâtre National Algérien), en attendant, et c’est notre souhait,  la remise en état de la tombe de ce géant de la lutte d’indépendance de l’Algérie et des peuples opprimés.

Source : Algérie 54
https://algerie54.dz/…

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