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13 février 1962 : Les funérailles des huit personnes tuées par la police lors de la manifestation algérienne à la station de métro Charonne à Paris – Photo: archives

Par Crystal M. Fleming

Macron sait bien que l’assassinat n’est pas « inexplicable », mais tant que la France ne reconnaîtra pas le racisme institutionnel, rien ne changera.

Cette semaine, la police française a brutalement tué un jeune de 17 ans en plein jour lors d’un contrôle routier. La police a d’abord menti en accusant l’adolescent d’avoir tenté d’écraser un agent.

Comme c’est souvent le cas, les médias nationaux ont rapporté les fabrications de la police comme des faits – jusqu’à ce que la vidéo d’un téléphone portable d’un passant montre la vérité dévastatrice.

À l’heure actuelle, le monde entier a vu les images choquantes de la police française brandissant des fusils et menaçant les occupants d’un véhicule jaune à Nanterre, en banlieue parisienne, avant d’exécuter sommairement le conducteur adolescent d’une balle au niveau du coeur.

Contrairement aux affirmations mensongères de la police, aucun agent ne se tenait devant la voiture ni n’a été menacé physiquement par l’adolescent qui était au volant.

Les images de la fusillade ont produit ce que le sociologue français Émile Durkheim aurait appelé un « choc de la conscience collective ». Des manifestations ont éclaté dans tout le pays, qui se sont soldées par le déploiement de milliers de policiers, l’utilisation de gaz lacrymogènes et la promesse de rétablir « l’ordre public ».

Malheureusement, il n’est pas surprenant que Nahel, l’adolescent français dont la vie a été tragiquement détruite par la police, soit d’origine algérienne.

La France a une longue et sordide histoire de racisme colonial et de violence à l’encontre des personnes considérées comme « non blanches », qui s’étend d’Haïti, de la Guadeloupe et de la Martinique dans les Caraïbes à l’île de la Réunion dans l’océan Indien, en passant par l’Afrique du Nord et de l’Ouest et le Viêt Nam, parmi bien d’autres populations.

La France a opprimé sans pitié le peuple algérien en particulier.

En effet, la colonisation française de l’Algérie remonte au début des années 1800 et s’est accompagnée d’un recours généralisé à la violence brutale et aux massacres pour établir la domination française.

Pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), des centaines de milliers d’Algériens, voire plus d’un million, ont été massacrés et systématiquement torturés par le régime français dans une tentative désespérée de maintenir son empire colonial au nom de la « liberté, de l’égalité et de la fraternité ».

Les violences policières ont aussi historiquement visé les Arabes et les Noirs en France. En 1961, la police française a tué plus de 100 Arabes français qui manifestaient pacifiquement à Paris.

Des dizaines de milliers de personnes avaient défilé pour soutenir l’indépendance de l’Algérie et protester contre le couvre-feu imposé pour réprimer la contestation. En réponse, la police a tué des Français d’Algérie dans les rues, noyant même des manifestants dans la Seine.

Le plus jeune décès rapporté a été celui d’une adolescente, Fatima Beda, âgée de 15 ans.

À une époque bien antérieure à celle des smartphones, les autorités françaises se sont engagées dans une dissimulation effrontée et largement réussie qui a duré des décennies.

Il a fallu plus de 50 ans pour qu’un président français reconnaisse ce qui s’était passé. Aujourd’hui encore, il n’y a pas d’excuses officielles.

Le contexte historique du racisme colonial et des pratiques de maintien de l’ordre qui ont conduit à l’assassinat de Nahel à Nanterre, est largement absent des récits dominants des politiciens français blancs et des experts des médias.

Bien que les meurtres commis par la police en France soient en augmentation et que la majorité des victimes soient noires ou arabes, la réalité du racisme systémique en France est régulièrement et agressivement niée par les autorités françaises sous le double voile de l’indifférence à la couleur et de l’arrogance culturelle.

Les Français blancs, en particulier, sont plus à l’aise pour interpréter l’assassinat d’un jeune Français d’origine nord-africaine en 2023 comme résultant des problèmes insolubles de l’immigration et de la pauvreté dans les banlieues ou comme la conséquence d’un policier mal formé à ses tâches et qui a appuyé sur la gâchette – le proverbial « fruit pourri ».

À la suite de manifestations massives, le président fMacron a qualifié l’assassinat d’ « inexplicable ». Mais il s’agit là encore d’un artifice typiquement français et d’une forme de déni persistant. La mort de Nahel n’est pas un mystère insoluble – elle est le résultat d’un racisme systémique.

Des études ont depuis longtemps démontré l’existence de préjugés raciaux importants dans les services de police français, visant en particulier les Arabes et les Noirs.

En 2020, le médiateur français des droits de l’homme a constaté que les jeunes hommes considérés comme arabes ou noirs sont 20 fois plus susceptibles d’être profilés et interpellés par la police.

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a depuis longtemps mis en garde contre la discrimination raciale perpétrée par la police française, et les communautés sur le terrain reconnaissent souvent le lourd tribut payé à la diabolisation et au harcèlement résultant de l’idéologie raciste.

Les noms de ceux issus des minorités racialisées et qui ont été victimes de violences policières en France au cours des deux dernières décennies – Zyed et Bouna, Adama Traoré, Théo, entre autres – ont laissé une trace angoissante de l’impunité policière.

Lorsque ce type de meurtres policiers se produit aux États-Unis, comme c’est souvent le cas, les médias, les libéraux et les radicaux reconnaissent généralement que le racisme en est la cause fondamentale.

En France, les libéraux et la prétendue gauche s’associent souvent aux extrémistes de droite pour nier l’existence du racisme français.

En fait, comme je l’affirme dans mon livre Resurrecting Slavery : Racial Legacies and White Supremacy in France, la réputation mondiale des États-Unis en tant que société particulièrement raciste est un facteur clé qui permet à la France et à d’autres nations européennes de minimiser et de nier leur propre intolérance et discrimination raciale.

De nombreux écrivains et intellectuels afro-américains de premier plan qui se sont installés en France entre le début et le milieu du XXe siècle ont également alimenté le mythe de l’indifférence à la couleur de la France.

James Baldwin était une exception notable à la règle. Réfléchissant à son expérience en France, il a écrit : « J’ai surtout vécu parmi les Misérables – et, à Paris, les Misérables [étaient] algériens ».

Aujourd’hui, les Misérables, ceux qui sont la cible du racisme, de l’islamophobie et des fusils de police, sont presque toujours des Algériens.

Le temps est venu pour la France de dépasser le cycle familier de la violence d’État et du déni pour reconnaître honnêtement le racisme systémique et s’engager à mettre en œuvre des politiques visant à lutter contre la discrimination et les préjugés généralisés dans la police, l’emploi, l’éducation et la politique.

La véritable violence en jeu n’est pas seulement l’incendie de bâtiments et la destruction de biens – c’est le coût humain très réel de victimes comme Nahel qui s’ajoutent au inombrables morts produits par des siècles d’oppression française.

Auteur : Crystal M. Fleming

* Crystal M. Fleming est professeur de sociologie et d’études africaines à l’université de Stony Brook et auteur de Resurrecting Slavery : Racial Legacies and White Supremacy in France.
Son compte Twitter.

30 juin 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…

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