Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Mohsen Abdelmoumen : Dans votre livre très intéressant « Comment diriger le monde« , vous abordez des questions fondamentales. Selon vous, sommes-nous vraiment dans une démocratie ?

Mario Caligiuri :Cela dépend du pays. D’une manière générale, la démocratie traverse partout une crise grave, due à la faiblesse de sa classe dirigeante. La mondialisation exige des décisions toujours plus rapides que les systèmes démocratiques sont incapables de prendre, contrairement aux États autoritaires, aux organisations criminelles et aux multinationales financières.

Vous avez également écrit « La puissance qui est en train de conquérir le monde » où vous analysez le rôle des multinationales. Pourquoi pensez-vous que la démocratie est menacée par les multinationales ?

Parce qu’elles parviennent à imposer des décisions à la politique elle-même. Leur contrôle est l’un des thèmes centraux des démocraties du XXIe siècle.

Le fait d’être dirigé par une oligarchie n’est-il pas un signe du déclin de l’Occident ?

Certainement. D’autant plus si elle est inefficace et souvent subordonnée au pouvoir économique et financier.

Selon vous, les décrets d’urgence ne déstabilisent-ils pas les services secrets ?

La pandémie oblige les États à restreindre les libertés individuelles d’une manière ou d’une autre. Cela conduit à l’expansion de l’agitation sociale qui, si elle n’est pas bien comprise et atténuée, peut à court terme entraîner un problème non pas tant d’ordre public que de sécurité nationale, menaçant potentiellement la stabilité des institutions démocratiques.

Vous êtes le président de la société italienne du renseignement. Comment évaluez-vous la menace terroriste aujourd’hui ?

En reprise possible. Tant par l’atténuation de la pandémie que par le chaos afghan.

Que pouvez-vous nous dire sur le bioterrorisme ?

Un risque réel et dangereux. Très sous-estimé, jusqu’à présent. Mais pas par tous les services.

Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur le monde du renseignement ?

Extrêmement puissant parce qu’elle change l’ordre du monde à la base. Ce n’est pas une coïncidence si Vladimir Poutine, qui est très impliqué dans le domaine du renseignement, a déclaré en 2017 que « celui qui contrôle l’intelligence artificielle, contrôlera le monde ».

Pouvez-vous expliquer le concept d’intelligence prédictive à nos lecteurs ?

Il s’agit d’utiliser des technologies qui assemblent simultanément les big data pour interpréter et anticiper la réalité.

La Libye est devenue un sanctuaire djihadiste menaçant l’ensemble du bassin méditerranéen. Comment expliquez-vous que les gouvernements occidentaux ferment les yeux sur cette menace ?

Ces évaluations font partie, à mon avis, de ce que l’économiste Dambisa Moyo appelle « les folies de l’Occident ».

L’Algérie continue de lutter contre le terrorisme et des soldats algériens tombent régulièrement au combat. L’expérience de l’Algérie dans la lutte contre le terrorisme n’est-elle pas une source d’apprentissage pour le monde entier ?

D’après ce que j’ai pu apprendre, les services secrets algériens ont développé une expérience très importante contre le terrorisme, surtout après la période noire de vingt ans entre 1990 et 2010. L’armée algérienne est à la pointe de la lutte contre les terroristes, contenant l’expansion du radicalisme au Sahel, au Maghreb et aussi indirectement en Europe. Malgré les difficultés, comme l’occupation par des terroristes de la zone pétrolière d’Ain Amenas en 2013, les services algériens travaillent d’arrache-pied pour contrer les fondamentalistes, en collaborant activement avec l’OTAN et les pays européens, notamment la France et l’Italie. Après Bouteflika, les services secrets ont été réformés et renforcés, car, avec l’Égypte, l’Algérie est une puissance militaire en Afrique du Nord.

Comment évaluez-vous la coopération entre les différents services de renseignement européens et algériens dans la lutte contre le terrorisme ?

Je n’ai pas d’informations directes, bien sûr, mais d’après ce qui ressort, il pourrait y avoir une collaboration commune d’intérêt mutuel.

Pourquoi, selon vous, les pays occidentaux tolèrent-ils les terroristes islamiques sur leur sol ?

À mon avis, ils ne les tolèrent pas du tout, ils s’y opposent et tentent de les déradicaliser. Dans certains pays, ils sont trop nombreux et ne sont donc pas faciles à contrôler. Le renseignement fait bien son travail en apportant sa contribution concrète, à tel point que depuis 2017, il n’y a pas eu d’attaque terroriste significative sur le sol européen.

Quelle est votre analyse de la gestion du Covid par les gouvernements occidentaux ? Le monde sera-t-il le même après cette crise du Covid ?

Au début, la gestion était inévitablement improvisée. Les systèmes nationaux les plus efficaces, comme celui de l’Allemagne, se sont adaptés plus tôt que les autres. D’autres sont encore en difficulté. Le monde ne sera pas le même car certaines tendances organisationnelles, comme le télétravail, seront de plus en plus développées, tandis que les écarts sociaux et territoriaux se creuseront entre les États et au sein de ceux-ci. Le nouvel ordre mondial peut être extraordinairement similaire à l’ancien, ou bien il peut être renversé. Cela dépendra des systèmes de gouvernement. De ce point de vue, les États autoritaires, les multinationales financières, les organisations terroristes et les structures criminelles ont un avantage.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est le Professeur Mario Caligiuri ?

Mario Caligiuri est professeur titulaire à l’université de Calabre, où il a fondé le premier master en renseignement, le premier cursus en renseignement et le premier centre d’étude de renseignement des universités italiennes. Il est considéré comme l’un des principaux experts scientifiques au niveau international en matière de renseignement. Ses écrits incluent le renseignement et les sciences humaines : Una disciplina accademica per il XXI secolo (2016), Cyber intelligence ; Tra libertà e sicurezza (2016), Intelligence e magistratura; Dalla diffidenza reciproca alla collaborazione necessaria (2017) et, avec Giangiuseppe Pili, Intelligence studies; Un’analisi comparata tra l’Italia e il mondo angloamericano” (2019). Pour le magazine d’intelligence italien « Gnosis », il a récemment écrit deux essais très importants : La légèreté insoutenable des élites démocratiques (2017) et de l’intelligence artificielle et du nouvel ordre mondial, et Un engagement prioritaire en matière de renseignement (2018).

Reçu de Mohsen Abdelmoumen pour publication.
Source : Algérie Résistance

https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/…