Par Ricardo VAZ

Selon AP (17/5/22), les États-Unis vont « alléger quelques sanctions économiques contre le Venezuela »…

Les sanctions décrétées par les États-Unis d’Obama à Biden en passant par Trump ont tué, même selon des estimations déjà dépassées, des dizaines de milliers de Vénézuéliens. Ces politiques unilatérales ont été largement condamnées par les organismes multilatéraux et les experts en droits humains de l’ONU Alfred de Zayas ou Alena Douhan pour leur impact meurtrier, ainsi que pour leur violation du droit international (Venezuelanalysis, 18/09/21, 15/09/21, 25/03/21, 31/01/19).
Mais les lecteurs/téléspectateurs des médias privés du monde occidental ne sont absolument pas conscients de cette réalité, car les médias de l’establishment ont fait tout leur possible pour valider les sanctions en occultant complètement leurs effets humains et sociaux (FAIR.org, 6/4/21, 12/19/20) – en écrivant par exemple que Washington a « sanctionné le gouvernement » (AP, 5/21/22) plutôt que le peuple du Venezuela.

Une récente ouverture politique de la part de Biden, microscopique au départ et fermée assez rapidement, a mis en évidence tous ces traits malhonnêtes, illustrant à quel point les responsables des États-Unis ont les coudées franches pour continuer à infliger une punition collective aux Vénézuéliens sans être remis en question ni être contrôlés par personne.

Les sténographes l’ont à la bonne…

…alors que NBC (17/5/22) dit que les « États-Unis allègent certaines sanctions » en usant de l’indicatif présent…

Le 17 mai, le département du Trésor des États-Unis a autorisé la compagnie pétrolière américaine Chevron à s’entretenir avec PDVSA, la compagnie pétrolière d’État vénézuélienne, pour discuter de ses activités dans le pays. Les responsables ont clairement indiqué qu’il était toujours interdit au géant de l’énergie de forer ou de vendre du brut vénézuélien (AP, 17/5/22).
Deux semaines plus tard, la Maison Blanche a renouvelé la licence actuelle de Chevron, qui ne permet que des travaux de maintenance, jusqu’en novembre. Néanmoins, cette brève « ouverture » a révélé quelques techniques intéressantes…

Tout d’abord, tous les médias mainstream ont pratiquement fait le même titre, écrivant que les États-Unis « assouplissent certaines sanctions » (NBC, 17/5/22), allaient « assouplir quelques sanctions économiques » (AP, 17/5/22) ou « commencent à assouplir les restrictions » (Washington Post, 17/5/22) sur le Venezuela. Et bien que la portée très étroite de l’autorisation ait laissé peu de choix de mots, elle n’a certainement pas forcé les journalistes du secteur privé à s’en tenir aux informations fournies par des « fonctionnaires anonymes« .
Pas un seul média de l’establishment n’a mentionné que les sanctions ont un impact sur les Vénézuéliens ordinaires. Au lieu de cela, le privilège de « simplement pouvoir parler » à des compagnies pétrolières a été dépeint comme une incitation pour le président Nicolás Maduro à reprendre le dialogue avec l’opposition !

…et le Washington Post (17/5/22) annonce à ses lecteurs que les États-Unis « commencent à assouplir les restrictions ».

Le rachitique arrière-plan/contexte fourni dans la plupart des articles laisse la place à de nombreuses allégations. Lorsque l’on évoque les raisons de l’échec des pourparlers entre le gouvernement et l’opposition en octobre dernier, on dit aux lecteurs que Maduro s’est retiré après « l’extradition d’un allié proche/clé » aux États-Unis (Washington Post, 17/5/22 ; AP, 17/5/22). Toutefois, il n’est jamais fait mention du fait que, selon les documents officiels divulgués par Caracas, l’ »allié » en question (Alex Saab) jouit de l’immunité diplomatique, et que Washington a violé la convention de Vienne en le faisant arrêter à l’étranger et en l’extradant (FAIR.org, 21/07/21).

Les médias privés ont continué à se faire l’écho d’accusations sans fondement contre le gouvernement élu de Nicolas Maduro comme s’il s’agissait de vérités absolues, qu’il s’agisse de fraude électorale (FAIR.org, 27/01/21), de trafic de drogue (FAIR.org, 24/09/19) ou de censure des médias (FAIR.org, 20/05/19). La conséquence est qu’à présent, aucun rédacteur en chef ne bronchera devant une description du gouvernement vénézuélien comme étant « autoritaire » (Washington Post, 17/5/22), « autocratique » (CNN, 17/5/22) ou « corrompu et répressif » (New York Times, 17/5/22).

Les journalistes de l’establishment se sont montrés assez enthousiastes dans le relai des menaces de style mafieux de leurs sources anonymes, à savoir que les États-Unis « calibreront » leurs sanctions en fonction des progrès jugés acceptables dans les pourparlers entre le gouvernement et la droite (Reuters, 17/5/22 ; NBC, 17/5/22 ; AFP, 17/5/22 ; AP, 17/5/22). Les responsables états-uniens font référence aux politiques qui tuent des milliers de civils comme s’il s’agissait d’un commutateur qu’ils peuvent baisser ou remonter à volonté, et leurs complices dans les médias ne voient aucune raison de s’en alarmer. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il s’en alarmer ?

Le New York Times (17/5/22) a titré de manière plus correcte que les États-Unis allaient « offrir un allégement mineur des sanctions ».

Pour sa part, le New York Times (17/5/22) a décrit les mesures comme un « allégement mineur des sanctions« , ce qui, malgré l’adjectif, semble encore un peu exagéré, considérant que les sanctions impliquent un embargo pétrolier et qu’il n’y a eu en tout qu’une simple conversation avec Chevron. Le journal de référence a également essayé de dépeindre les sanctions comme ayant peu à voir avec l’effondrement de l’industrie pétrolière du Venezuela, en écrivant qu’elles n’ont commencé qu’en 2019. En fait, les premières mesures prises à l’encontre de PDVSA – la coupant du crédit international – datent de la mi-2017, après quoi la production s’est effondrée, passant de près de 2 millions de barils par jour à 350 000 en trois ans (Venezuelanalysis, 27/08/21), faisant perdre comme l’a rappelé l’ex-président économiste Rafael Correa 99% de ses revenus à l’État vénézuélien.

Simultanément, l’espagnol Repsol et l’italien Eni ont obtenu des licences d’exploitation de pétrole en contrepartie de dettes qui « ne profiteront pas financièrement à [PDVSA] » (Reuters, 6/5/22). Et aucun journaliste de média privé n’a trouvé à redire sur le fait que, d’une manière ou d’une autre, c’est le département du Trésor américain qui a le pouvoir « d’autoriser » les entreprises européennes traiter avec le Venezuela.

Toutes les critiques ne sont pas égales…

Wall Street Journal : L’allégement des sanctions contre le Venezuela est un piège pour Biden. Mary Anastasia O’Grady (Wall Street Journal, 19/5/22) a averti que les États-Unis « se dirigeaient sur la pointe des pieds vers un rapprochement avec le dictateur Nicolás Maduro ».

Le fait que l’administration Biden revisite ne serait-ce qu’un peu sa politique de sanctions a généré une réaction féroce qui a alimenté le parti pris des médias d’entreprise. La section d’opinion du Wall Street Journal a fourni son extrémisme habituel, avec un membre du comité éditorial, Mary Anastasia O’Grady (26/5/22) écrivant que les États-Unis pourraient se diriger « sur la pointe des pieds vers un rapprochement avec le dictateur Nicolás Maduro qui abandonnera la cause de la liberté vénézuélienne« .

La chroniqueuse du Wall Street Journal a qualifié le « président intérimaire » vénézuélien non élu de l’opposition, Juan Guaidó, de « reconnu internationalement« , alors que le nombre de pays qui le reconnaissent effectivement n’est plus que de 16 (Venezuelanalysis, 12/8/21). Elle a en quelque sorte présenté le coup d’État militaire, médiatique et patronal d’avril 2002, soutenu par les États-Unis et qui a brièvement renversé le président démocratiquement élu Hugo Chávez, comme « des opposants qui défendent l’État de droit en utilisant les institutions« .

Mais les reportages étaient également très partiaux lorsqu’il s’agissait de peser le pour et le contre de l’initiative de l’administration Biden. En effet, seules les critiques « bellicistes » de la politique officielle sont diffusées (FAIR.org, 5/2/22).

Un groupe de personnalités de la droite vénézuélienne, allant d’économistes à des analystes politiques en passant par des chefs d’entreprise, a écrit une lettre à l’administration Biden en avril pour demander un allègement des sanctions (Bloomberg, 4/14/22). Bien qu’ils aient reconnu le rôle supposé des États-Unis dans la résolution de la crise politique du pays, ils ont souligné l’évidence : les sanctions nuisent au peuple vénézuélien. Néanmoins, lorsqu’il a été temps de discuter de la politique de sanctions, aucune de ces personnalités n’a été contactée par les journalistes des médias privés pour faire un commentaire.

The Guardian : L’Occident ne doit pas lever les sanctions contre Maduro, affirme l’opposition vénézuélienne
La levée des sanctions contre le Venezuela « donnerait la victoire à une alliance autocratique dirigée par Vladimir Poutine », selon celui que le Guardian (14/5/22) appelle « le vice-ministre des affaires étrangères du pays ».

Au lieu de cela, le Guardian (14/5/22) a tendu la main aux partisans de la ligne dure, allant jusqu’à interviewer une personne ayant un emploi fictif dans le « gouvernement intérimaire » de Guaidó et l’appelant « vice-ministre des affaires étrangères du pays« . La politicienne parrainée par les États-Unis s’oppose à l’allègement des sanctions sans concessions politiques et – suivant les dernières tendances en matière de propagande – prévient que « si Maduro est aidé, Poutine l’est aussi. »

Un certain nombre de démocrates de la Chambre des représentants des États-Unis s’opposent de plus en plus vivement à la politique vénézuélienne de l’administration, en raison de ses conséquences humanitaires. Quelques jours avant les timides ouvertures, ils ont écrit une autre lettre à Biden (The Hill, 5/12/22). Mais lorsqu’il a fallu évaluer la dernière mesure, cette lettre n’a mérité qu’une seule phrase dans un seul rapport (AP, 17/5/22).

En revanche, le sénateur Marco Rubio (Guardian, 19/5/22) et le représentant Michael McCaul (New York Times, 17/5/22), tous deux républicains d’extrême droite, étaient présents pour accuser l’administration d’ »apaiser » ou de « capituler » devant Maduro. Le seul démocrate présent était le faucon anti-Cuba et anti-Venezuela notoire Bob Menendez, dont le rejet de toute pitié envers le Venezuela a été largement diffusé (AP, 17/5/22 ; AFP, 17/5/22 ; NBC, 17/5/22 ; Washington Post, 17/5/22 ; Reuters, 17/5/22).

Il est remarquable que, même après la décision de l’administration Biden de repousser l’octroi de la licence à Chevron jusqu’aux élections de mi-mandat, des agences comme Associated Press (27/5/22) n’ont fait que soutenir les partisans de la ligne dure. Et donc, avec pratiquement aucun changement dans les efforts de « pression maximale » de Trump, le public des médias privés verra la Maison Blanche critiquée pour « s’être pliée en quatre pour apaiser un despote du pétrole« , mais pas pour avoir causé la sous-alimentation de 30% de la population vénézuélienne (Venezuelanalysis, 22/08/21).

Des impérialistes au pays des merveilles

Bloomberg : Les États-Unis ont besoin d’en voir plus de la part de Maduro pour alléger les sanctions contre le Venezuela. « La levée unilatérale des sanctions contre le Venezuela ne va pas améliorer la vie des Vénézuéliens », a affirmé de manière absurde un haut conseiller de la Maison Blanche à Bloomberg (19/5/22).

Si les journalistes occidentaux ne sont pas désireux de dire à leur public ce que les sanctions ont signifié, ils sont encore moins désireux de contester les faussetés flagrantes provenant de personnalités haut placées du Beltway.

Dans un reportage de Bloomberg (19/5/22), les rédacteurs Patrick Gillespie et Erik Schatzker ont emprunté un chemin familier en permettant au conseiller principal de la Maison Blanche Juan Gonzalez de jouer les preneurs d’otages, en exigeant que l’allègement des sanctions nécessite des « mesures démocratiques » non spécifiées et des « libertés politiques plus grandes« . Mais dans le processus, ils ont publié un mensonge scandaleux et flagrant.

« La levée unilatérale des sanctions à l’encontre du Venezuela ne va pas améliorer la vie des Vénézuéliens« , a déclaré M. Gonzalez, cité par Bloomberg. Étonnamment, les auteurs ont publié cette déclaration sans émettre la moindre réserve ou critique, alors qu’en fait la levée des sanctions est la chose la plus évidente que les États-Unis pourraient faire pour améliorer la vie des Vénézuéliens.

Le gouvernement vénézuélien, des personnalités/groupes de la droite vénézuélienne, des rapporteur(se)s spéciaux des Nations Unies, des groupes de réflexion, des économistes, des représentants des États-Unis et même la Chambre de commerce états-unienne ont documenté ou au moins reconnu les conséquences néfastes des sanctions unilatérales. Ne pas inclure une seule de ces sources pour équilibrer les propos de Gonzalez est un choix aussi délibéré que malhonnête.

La dernière apparition du Venezuela sous les projecteurs a montré une fois de plus à quel point les médias privés sont essentiels pour défendre la politique étrangère des États-Unis. Avec leurs efforts « calibrés » pour dissimuler les conséquences des sanctions, les journalistes occidentaux ont en fait rendu invisibles au public des milliers et des milliers de victimes vénézuéliennes. Ce sont eux qui mériteraient d’être sanctionnés.

Ricardo Vaz

Source : https://fair.org/home/calibrated-dishonesty-western-media-coverage-of-venezuela-sanctions/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

Source : le blog de Thierry Deronne
https://venezuelainfos.wordpress.com/…

Notre dossier Venezuela