Par Jean Shaoul

Après son voyage de deux jours en Israël, le président américain Joe Biden est arrivé vendredi matin à Djeddah, ville portuaire de l’ouest de l’Arabie saoudite. Là, il fut accueilli au palais royal d’Al-Salam, sans sourire et d’un salut poing contre poing, par le prince héritier et meurtrier sanguinaire Mohammed bin Salman. On était loin de l’accueil traditionnel à l’aéroport réservé aux présidents américain par les membres dirigeants de la famille régnante.

Après une visite de courtoisie au roi Salman, âgé et infirme, Biden a tenu une «séance de travail» avec bin Salman, le dirigeant de fait, et ses ministres. Bien que Biden se soit engagé pendant sa campagne électorale à traiter l’Arabie saoudite comme un «État paria» dû à son effroyable bilan en matière de droits de l’homme et à la signature par bin Salman de l’assassinat macabre de Jamal Khashoggi en 2018, les besoins pressants des intérêts géostratégiques de Washington ont pris le pas sur ses scrupules.

Samedi, il a participé à un sommet avec les dirigeants des six États du Golfe – Arabie saoudite, Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn, Koweït, Qatar et Oman – et de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Irak.

L’objectif de Biden est de réaffirmer la position de Washington auprès de certains des dirigeants les plus tyranniques de la planète. Il veut les rallier à la guerre par procuration qu’il mène contre la Russie en Ukraine et qu’il justifie cyniquement en appelant à «mettre fin à la mort de masse et à une catastrophe humanitaire». Cette guerre a reçu une réponse résolument froide de la part des dirigeants israéliens et arabes.

Biden cherche également à cimenter une alliance anti-Iran dans le cadre d’efforts plus larges de l’impérialisme américain pour limiter l’influence économique et politique croissante de la Chine dans un Moyen-Orient riche en énergie.

Biden est venu directement d’Israël, gardien clé des intérêts américains dans la région qui lui garantit une exemption des normes en matière de droits de l’homme qu’on attend des adversaires de Washington. En dépit de sa façade parlementaire, Israël se distingue par son système d’apartheid à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, sa répression militaire de près de 5     millions de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza et ses meurtres quasi quotidiens de Palestiniens. Les forces de sécurité israéliennes ont tué au moins 60     Palestiniens au cours des six premiers mois de cette année. Tout cela se passe sans un murmure de la part de ce «leader du monde libre» et promoteur en chef des «droits humains».

La visite même était une sorte de spectacle secondaire. Son principal objectif était de donner plus de substance à sa tournée au Moyen-Orient et de limiter l’opinion largement répandue qu’il allait voir les Saoudiens humilié et quémandant.

Le fragile gouvernement de coalition israélien, un rassemblement disparate de huit partis politiques dirigés par le farouchement droitier Naftali Bennett, unis seulement par leur antipathie envers l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, s’est effondré moins d’un an après la médiation du gouvernement Biden. C’est le Premier ministre intérimaire Yair Lapid, qui restera en fonction jusqu’aux élections du 1er     novembre, les cinquièmes en quatre ans, que Biden a rencontré.

On n’a pas entendu les termes de «droits de l’homme», «autodétermination» et autres mots à la mode. Pour ce qui est des Palestiniens, Biden a donné à Lapid tout ce qu’il voulait. Il n’y eut aucune demande de gel des colonies ou de concessions aux Palestiniens. Il n’a même pas soulevé la question de l’assassinat par Israël de     Shireen Abu Akleh, journaliste chevronnée et très respectée du réseau arabe Al Jazeera, alors qu’elle possédait la double nationalité américaine et palestinienne. Les Palestiniens étaient furieux que les enquêteurs américains aient confirmé que la balle ayant tué Akleh avait été tirée par un soldat israélien alors qu’elle couvrait un raid israélien sur Jénine en Cisjordanie, mais qu’ils aient déclaré que l’homicide n’était «pas intentionnel», alors qu’elle était clairement visible et portait une veste et un casque de presse.

Biden a fait une rapide visite au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Bethléem. Là, il a jeté un peu de menue monnaie aux Palestiniens: jusqu’à 100     millions de dollars pour le réseau hospitalier de Jérusalem-Est, 201     millions de dollars pour l’UNRWA, l’Office de secours des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, et enfin 15     millions de dollars en aide alimentaire via le Programme alimentaire de l’ONU et deux ONG. Mais il n’eut que des platitudes à dire sur les relations israélo-palestiniennes. Abbas, lui, a réitéré sa volonté de reprendre les pourparlers avec Israël, même si les États-Unis ont permis à celui-ci de consolider son occupation de la Cisjordanie.

Biden a également tenu une réunion virtuelle avec les dirigeants d’Israël, de l’Inde et des Émirats arabes unis pour discuter d’investissements dans les infrastructures stratégiques.

Sa visite s’est terminée par la signature de la «Déclaration de Jérusalem», qui réaffirme l’engagement des États-Unis envers la sécurité d’Israël. En plus de l’aide de 3,8     milliards de dollars par an que les États-Unis donnent à Israël, Tel-Aviv recevra un milliard de dollars supplémentaires pour son bouclier de défense Iron Dome – développé et construit avec plus de 1,6     milliard de dollars des États-Unis – afin de remplacer les intercepteurs de missiles utilisés lors de l’attaque de 11     jours sur Gaza l’année dernière. Il s’est aussi engagé à fournir un soutien supplémentaire si des circonstances exceptionnelles se présentaient, souscrivant ainsi à toute attaque future contre Gaza, le Hezbollah au Liban, ou ailleurs.

Alors que cette déclaration réitère le soutien des États-Unis à la «solution des deux États» et à des négociations à cette fin, Biden n’a pas même appelé Lapid à reprendre les pourparlers avec les Palestiniens, notant simplement lors de la conférence de presse qu’il ne s’attendait pas à ce qu’un tel État vienne «à court terme».

C’est seulement pour ce qui est de l’Iran que Biden n’a pas réussi à satisfaire Lapid. Alors que la déclaration réaffirme l’engagement des États-Unis à construire une alliance contre l’Iran et ses mandataires, Biden a refusé de fixer une date limite pour des discussions visant à relancer l’accord sur le nucléaire de 2015, que le gouvernement Trump avait unilatéralement abrogé en 2017 tout en réimposant des sanctions, ou tracer une «ligne rouge» qui, si l’Iran la franchissait, entraînerait une action.

Mais la principale signification politique de la déclaration est qu’elle a forcé Lapid à s’engager aux côtés des États-Unis dans la guerre en Ukraine. Bien qu’elle ne mentionne pas nommément la Russie, la déclaration dit que «les États-Unis et Israël réitèrent leurs préoccupations concernant les attaques en cours contre l’Ukraine, leur engagement envers la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et ils affirment l’importance de poursuivre l’aide humanitaire au peuple ukrainien».

Quelques heures avant le départ de Biden pour l’Arabie saoudite, les responsables de l’aviation saoudienne ont annoncé que le pays allait ouvrir son espace aérien à tous les transporteurs aériens vers et en provenance d’Israël, autorisant les vols charters directs depuis Israël pour les Palestiniens se rendant au pèlerinage de La Mecque. Cela été salué par Biden comme un petit pas vers une normalisation des relations avec Israël  :  «  La décision de l’Arabie saoudite peut aider à créer un mouvement pour intégrer Israël plus dans la région, y compris avec l’Arabie saoudite.  »

À la conférence de presse qui conclu sa visite, Biden a déclaré ouvertement que son but était de renforcer la position de l’Amérique dans la région, qui s’était affaiblie sous son mandat. «Je pense que nous avons l’opportunité de réaffirmer ce que nous avons, à mon avis, commis l’erreur d’abandonner: notre influence au Moyen-Orient,» a-t-il déclaré, ajoutant: «Je veux qu’il soit clair que nous pouvons continuer à jouer un rôle de premier plan dans la région et ne pas laisser un vide, vide qui sera comblé par la Chine et/ou la Russie».

Les relations avec les États du Golfe se sont refroidies après le refus du président Barack Obama de soutenir le président égyptien Hosni Moubarak durant les manifestations de masse qui devaient faire tomber son gouvernement en 2011, et sa menace des clients saoudiens à Bahreïn et au Yémen. Elles se sont tendues après que Washington eut signé les accords nucléaires de 2015 avec l’Iran, que Riyad et Abou Dhabi accusent de soutenir les rebelles houthis au Yemen. Ceux-ci ont évincé le gouvernement fantoche de Riyad en 2014, et selon eux, l’Iran n’a rien fait pour contrer les attaques de missiles de leur part.

De son côté, le gouvernement Biden a été frustré par le refus de l’Arabie saoudite d’augmenter sa production de pétrole et de contribuer à faire baisser les prix des carburants suite à l’attaque de l’Ukraine par la Russie, et il risque de perdre les élections de mi-mandat à l’automne. Un quart des exportations de carburant du Royaume vont vers la Chine, ce qui en fait le plus grand fournisseur de celle-ci après la Russie. Il est aussi question qu’il envisage d’accepter le yuan chinois au lieu du dollar américain pour ses ventes de pétrole, sapant ainsi la domination du dollar.

S’exprimant brièvement après sa rencontre avec bin Salman et des responsables saoudiens vendredi après-midi, Biden a énuméré un certain nombre d’accords d’investissement formalisés dans le but de contrer la présence économique de la Chine en Arabie saoudite, les qualifiant de «marchés importants».

Biden a déclaré qu’avec la chute des prix du pétrole ces derniers jours et les faibles capacités de réserve, il n’était pas clair combien l’Arabie saoudite pouvait produire de plus et à quel rythme. Le résultat potentiel de sa visite sur le marché de l’énergie ne se ferait pas sentir «avant deux semaines».

(Article paru d’abord en anglais le 16 juillet 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…