Par Chems Eddine Chitour

«Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi, ensuite, nous avons pillé ses matières premières. Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichis à ses dépens, on lui donne des leçons. On oublie seulement une chose. C’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation, depuis des siècles, de l’Afrique. Il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité. De bon sens, de justice, pour rendre aux Africains, je dirais, ce qu’on leur a pris. Si on veut éviter les pires difficultés, avec les conséquences politiques que ça comporte dans un proche avenir.»
(Jacques Chirac)

Résumé
Cet aveu résume mieux que cent discours la condition des pays africains anciennement colonisés. Puis toujours sous le joug après les indépendances. Encore une remise à l’endroit de l’indépendance véritable. Graduellement, les pays africains osent. C’est surtout une réaction contre les potentats adoubés par la métropole en dépit du refus des peuples. Le coup d’État du Gabon porterait à huit le nombre de coups d’État en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale depuis 2020. Nous allons expliquer comment les indépendances des pays africains furent des indépendances bâclées. Le pouvoir colonial, en mettant en place la stratégie de contrôle des matières premières et en imposant une monnaie de sa création, le franc CFA, est arrivé à garder ces pays pendant plus d’un demi-siècle après leur indépendance laissant ces peuples désespérés. Les différents présidents français de la Ve République ont cru que le schéma de la Françafrique allait durer mille ans, par tous les moyens, au besoin en éliminant les patriotes récalcitrants et en installant des troupes d’occupation à demeure, sous prétexte de combattre le terrorisme. La nature ayant horreur du vide, des pays prennent la relève.
Les militaires qui ont pris le pouvoir de Niamey ont déclaré persona non grata l’ambassadeur de France, Sylvain Itté. La France refuse de rappeler son ambassadeur et le force à rester à Niamey, au motif qu’il aurait été accrédité auprès de l’ancien président Mohamed Bazoum. Cette décision est illégale du point de vue du droit international. Les relations diplomatiques s’établissent entre les États et non entre les régimes.
Dans la Convention de Vienne du 18 avril 1961 qui régit les relations diplomatiques et consulaires, l’article 9 précise que si un ambassadeur est déclaré persona non grata, le pays de cet ambassadeur doit obligatoirement le rappeler. Si le blocage persiste, c’est l’affrontement, comme l’explique l’analyste François Asselineau.(1)

Les vassaux de Paris reçoivent l’ordre d’attaquer : bruits de bottes au Sahel
L’Algérie a proposé sa médiation et exhorte toutes les parties à privilégier la négociation «avant que l’irréparable ne soit commis, et avant que la région ne soit piégée dans la spirale de la violence dont personne ne peut prévoir les conséquences incalculables», mais la Cedeao, sous l’injonction de ses maîtres occidentaux, maintient son intention de recourir à la force. Par ailleurs, devant les pénuries de vivres et de médicaments infligées à la population nigérienne en raison du blocus inhumain mis en place par la Cedeao, le Burkina Faso a ouvert un corridor humanitaire où une longue file de camions transportent des centaines de tonnes de vivres et autres articles vers le Niger, sous la protection des forces armées des deux pays. (…) Catherine Colonna a refusé de retirer les troupes Barkhane arguant du fait que le pouvoir des militaires est illégitime.(2)

Les six propositions de l’Algérie pour la crise au Niger
La situation est complexe et à enjeux géostratégiques multiples où face à la situation au Niger, la position de privilégier le dialogue et la mise en garde contre toute intervention miliaire est partagée par l’Algérie. Car l’Algérie partage des frontières avec des pays instables où sa sécurité est posée dont la Libye 982 km, le Mali 1329 km, la Mauritanie 461 km, le Maroc 1739 km, le Niger 961 km, la Tunisie 1010 km et le Sahara occidental 39 km. La sécurité de l’Algérie pourrait être touchée indirectement via le Mali et la Libye qui partagent des frontières communes à la fois avec le Niger et l’Algérie. Le ministre des Affaires étrangères, dans une déclaration reprise par l’APS le 29 août 2023, a défini les six propositions de sortie de crise du Niger proposées par l’Algérie avec pour impératif de prioriser la solution politique et d’écarter le recours à la force au regard des répercussions désastreuses que pourrait entraîner cette option sur la région tout entière. Premièrement, rejet de tout changement anticonstitutionnel au Niger. Deuxièmement, la définition d’un délai de six mois pour la mise en œuvre d’une solution politique devant aboutir au rétablissement de l’ordre constitutionnel.
Troisièmement, l’impératifs association et aval de toutes les parties au Niger, sans exclusion. Quatrièmement, accorder les garanties adéquates à toutes les parties. Cinquièmement, ces contacts seront engagés également avec toutes les parties concernées au Niger, avec les pays voisins (Cedeao). Sixièmement, l’Algérie se propose d’organiser une conférence internationale sur le développement au Sahel, dans le souci d’encourager l’approche de développement et de mobiliser les financements nécessaires à la mise en œuvre des programmes de développement.

Pourquoi tous ces putschs ?
Huit coups d’Etat en Afrique depuis 2020, cela veut dire qu’une lame de fond est en train de balayer l’ancien ordre colonial d’une façon apparemment irreversible, mais quelques combats d’arrière-garde subsistent. Pour Anne-Cécile Robert : «Visiblement surprise par les événements au Niger le 26 juillet dernier, la France improvise une réponse au ton martial et sentencieux. Le président Emmanuel Macron ordonne l’évacuation de plus de mille Européens. Et menace : il répliquera de ‘’manière intraitable’’ à des attaques contre des ressortissants français.» «Ce putsch est aussi révélateur d’une évolution du rapport à la démocratie et à l’Occident dans la région. ‘’Épidémie’’, ‘’contagion’’… la succession de putschs laisse les commentateurs désemparés : ces coups d’État en Afrique sahélienne depuis 2020, dans quatre pays — Mali et Burkina Faso, Guinée et Niger —, comment penser un tel enchaînement ? (…) Le politologue camerounais Achille Mbembe les qualifie de ‘’néosouverainistes’’. Tous les putschistes dénoncent en effet les ingérences étrangères, leur illégitimité autant que leur inefficacité. ‘’Ne compter que sur nous-mêmes’’, affirmait le capitaine Ibrahim Traoré, président de transition du Burkina Faso, dans un discours le 21 octobre 2022. ‘’Notre peuple a décidé de reprendre son destin en main, et de construire son autonomie avec des partenaires plus fiables’’, indiquait le colonel Sadio Camara, ministre de la Défense du Mali, le 13 août dernier, à Moscou. La succession de coups d’État au Sahel met surtout en évidence ces dix dernières années la fin de la gestion de la crise sécuritaire sous la houlette de la France et des Nations unies.»(3)

La situation vue du côté des médias français
Il est intéressant de voir comment les médias français rapportent les faits : les coups d’État se multiplient au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Le putsch d’aujourd’hui au Gabon s’inscrit dans une tendance régionale plus large. Une interview de Wassim Nasr par Baptiste Roger Lacan nous permet d’apprécier la situation au Sahel du côté médias français. Nous lisons les principaux points : «S’il est vrai que l’héritage colonial a sans doute pesé dans certaines décisions — comme l’entêtement à rester au Mali même lorsque la situation devenait irrationnelle. Certes, les ombres du passé planent, mais elles ne semblent pas être le seul facteur déterminant dans l’échiquier complexe du Sahel. Au lieu de cela, ce qui se dessine est une mosaïque de choix et de compromis, influencés mais non dictés par l’héritage colonial. (…) La croyance selon laquelle la puissance militaire occidentale peut tout résoudre est une illusion qui se retourne contre la France. La France a perdu sur tous les tableaux, non pour des raisons militaires mais en raison de décisions politiques et d’une grille de lecture dépassée. Le jeu géopolitique en Afrique ne cesse d’évoluer, et il est temps pour la France de réévaluer son approche. Quant à la Russie, elle continuera probablement à capitaliser sur les erreurs des Occidentaux, utilisant tous les moyens à sa disposition pour avancer ses pions sur l’échiquier africain.»(4)

Les présidents français et l’Afrique
En France, la Ve République a vu la mise en coupe réglée après leurs indépendances formelles les anciens pays colonisés de l’AOF (Afrique occidentale française) et l’AEF (Afrique équatoriale française). La France n’avait nullement l’intention de laisser ces pays libres de leurs choix. Seul Sékou Touré osa braver le pouvoir et de ce fait être indépendant. La France considérait depuis très longtemps la région du Sahel comme une de ses zones d’influence politique, comme une sorte de chasse gardée, économique, riche en ressources naturelles.
Pascal Priestley explique le cheminement depuis 1958 de la politique africaine de la France : «‘’Pré carré’’, ‘‘jardin secret’’ ou plus crûment ‘‘chasse gardée’’… même s’ils s’en défendent, les présidents de la Ve République français entretiennent le plus souvent avec le continent africain des rapports singuliers qui dépassent la relation diplomatique conventionnelle, voire rationnelle. (…) L’Afrique est restée, par-delà la décolonisation et en dépit de la relativité des enjeux économiques, un territoire symboliquement majeur pour la Ve République. Des redoutables ‘’réseaux Foccart’’ au ‘’Papamadit’’ de François Mitterrand (le fils du président socialiste étant chargé des « affaires africaines’’), les relations d’État franco-africaines ressortent jusque dans les années 80 implicitement du domaine quasi privé sinon paternel du chef de l’État, échappant à la diplomatie classique. Le 20 juin 1990, à la Baule, sont réunis en sommet 37 chefs d’État africains, François Mitterrand déclare : ‘‘La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. Il faut pour cela que l’on vous fasse confiance’’.»(5)
Avec Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar, non seulement nous avons l’outrecuidance mais aussi le mépris des peuples africains. Il convoque Hegel et sa haine de l’Afrique. Nous lisons : «Dans cet imaginaire (africain) où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. ‘’Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Le paysan africain qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès’’.»(5)
C’est le même Président qui, quinze ans après, met en garde l’Europe contre l’invasion : «les vagues migratoires ‘’d’hier et d’aujourd’hui’’ ne sont rien à côté de celles qui viennent. D’ici à 2050, le continent africain sera passé de 1,3 à 2,5 milliards d’habitants dont la moitié aura moins de 20 ans. Cette immense population sera voisine d’un continent européen en déclin démographique. Hélas, la crise migratoire n’a pas vraiment commencé !»
Avec François Hollande et Macron, nous avons l’occupation sous prétexte de défendre les pays contre le terrorisme. Ce sera les opérations Serval et Barkhane. Dix ans après, ce sera un échec. François Hollande s’emploie dans son premier voyage africain à plus flatter l’avenir qu’à évoquer les ancêtres. Dakar, octobre 2012 : «Le temps de la Françafrique est révolu.»(5)

Jacques Chirac : «Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi»
Parmi les présidents de la Ve République, Jacques Chirac est une singularité. À sa façon, il avait de l’empathie pour les Africains. Martin Mateso décrit sa «doctrine» à savoir rendre justice à ces peuples, cela n’a pas empêché la France de continuer à exploiter les ressources des pays africains. Nous lisons : «Un président (Jacques Chirac) qui, durant sa présidence, qui a duré 12 ans, a défendu l’Afrique contre vents et marées. Même à la retraite, il a dénoncé ceux qui ont saigné ce continent pendant des siècles, y compris son propre pays. Malgré les critiques sur le clientélisme de la Françafrique et son soutien aux régimes corrompus, Jacques Chirac garde une image plutôt positive auprès des Africains.»(6)
« J’aime l’Afrique, ses territoires, sespeuples et ses cultures. Je mesure ses besoins, je comprends ses aspirations.» L’Afrique, «ce sont des crises, des blessures au flanc du monde dont la communauté internationale ne peut détourner les yeux». Il mettait alors en garde contre l’abandon de ce continent qui pourrait «une nouvelle fois être mis au pillage, laissé pour compte de la prospérité et isolé dans ses difficultés». «Tout le temps de sa présidence, Jacques Chirac s’est fait l’avocat de l’Afrique dont les immenses ressources naturelles attisent bien des convoitises. (…) Jacques Chirac a reconnu que les richesses de l’Afrique ont été pillées, y compris par son pays. Et il a demandé qu’on rende aux Africains ce qu’on leur a pris.»(6)(7)

Les méfaits de la Françafrique
Les anciennes puissances coloniales tenant les pays nouvellement indépendants d’une main de fer, ils leur proposèrent des solutions qu’ils ne pouvaient pas refuser. Ce sera la Françafrique. Nous voyons sous nos yeux comment la Françafrique est en train de se défaire. Pour l’histoire, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les empires coloniaux doivent composer avec les désirs d’autonomie et les revendications anticoloniales qui se répandent. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le président français de Gaulle, dans son discours de Dakar, avait senti le désir d’indépendance. Thomas Deltombe, Mélanie Torrent expliquent le cheminement suivi par le président de Gaulle pour arriver à la formule Françafrique : «À l’heure des décolonisations, la France cherche des solutions pour conserver ses liens avec l’Afrique. Entre 1958 et 1960, le général de Gaulle porte le projet de la Communauté française qui réunit la France et ses ex-colonies africaines. L’expérience dure seulement deux ans, jusqu’en 1960, mais la Communauté est-elle vraiment l’échec d’un Commonwealth à la française pour sauver l’empire ? (…) Dans les années 1950, alors que l’hégémonie française est ébranlée par la défaite d’Indochine, les «événements» en Algérie ou encore l’humiliation du canal de Suez, le sujet de la décolonisation des colonies se fait pressant. Alors que Charles de Gaulle revient au pouvoir au printemps 1958, il formalise le projet de la Communauté française, ce dispositif ouvre la voie à un nouveau modèle de relations entre la France et ses ex-colonies africaines, communément appelé la Françafrique. Thomas Deltombe définit cette expression comme ‘’un système de domination qui s’inscrit dans l’histoire longue de l’impérialisme français, qui est fondé sur l’alliance entre une partie des élites françaises et une partie des élites africaines”. Il ajoute que ‘’ce système a deux facettes, l’une officieuse souvent réduite à Jacques Foccart, l’autre officielle, avec la coopération et le franc CFA’’.»(8)

Le Commonwealth : un post-colonialisme évolué
Dans le même ordre, le Royaume-Uni propose une façon de perdurer le lien avec les anciennes colonies britanniques mais d’une façon beaucoup plus souple et respectueuse. Ce sera le Commonwealth créé en 1949 : «Côté britannique, le désengagement colonial prend la forme du Commonwealth, qui offre à ses anciennes colonies de peuplement l’indépendance par le statut de dominion, comme le souligne Mélanie Torrent, ‘’le Commonwealth, tel qu’il est conçu au départ par les Britanniques, est un outil de gestion de l’empire. C’est une manière de faire un certain nombre de concessions de réaménagement de façon à préserver l’ensemble impérial’’. Le Royaume-Uni poursuit cette politique après la Seconde Guerre mondiale et l’étend à d’autres territoires de son empire : l’Inde et le Pakistan en 1947, Ceylan en 1948, puis le Ghana, en 1957.»(9)
«De fait, le roi Charles III devient le chef du Commonwealth : ‘’Cette association de nations représente environ un tiers de la population mondiale et se compose surtout d’anciennes colonies britanniques. Nombre d’États membres : 56 Etats. 1949 : la déclaration de Londres autorise les républiques à devenir membres afin de permettre à l’Inde de rester après son indépendance. On compte 21 pays d’Afrique,13 des Caraïbes et Amériques, 11 du Pacifique, 8 d’Asie et 3 d’Europe. Liés par le respect des principes du Commonwealth, engagement en faveur de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance. Des pays ont quitté le Commonwealth et sont ensuite revenus ( Afrique du Sud, Pakistan…)»(9)

Le franc CFA : une décolonisation inachevée des pays africains
Pour pouvoir contrôler l’économie des pays africains, il faut contrôler la monnaie : «Le franc CFA naît officiellement le 26 décembre 1945. 14 pays utilisent cette monnaie. le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, Pourtant, il s’inscrit dans une histoire plus ancienne : celle de l’imbrication des colonies à un système monétaire et économique plus vaste, qui sert avant tout les intérêts de la métropole.»(10)
«Une histoire monétaire qui débute bien avant la Seconde Guerre mondiale, dans les colonies françaises d’Afrique. Le franc CFA, histoire de la ‘’dernière monnaie coloniale’’ : dès le XIXe siècle, l’administration française impose la monnaie métropolitaine dans ses colonies d’Afrique subsaharienne. En 1945, la France annonce la création d’une nouvelle monnaie : le franc CFA. Elle permet à la métropole de sécuriser son approvisionnement en matières premières en créant des marchés captifs, elle encourage le commerce entre les colonies et la métropole ; en un mot, elle répond aux besoins du colonisateur plutôt qu’à ceux du colonisé. Olivier Vallée nous éclaire sur la portée symbolique de cette nouvelle monnaie : ‘’Le CFA signifie la tache coloniale d’abord. Je tiens à rappeler que le CFA est une monnaie gaullienne’’.»(10)
«Rapidement contestée, la nouvelle monnaie est rejetée par certains États africains, comme la Guinée et le Mali, au lendemain des indépendances. Pourtant, de nombreux États restent dans la zone franc, et cette monnaie continue de cristalliser de nombreuses appréhensions. Martial Ze Belinga souligne que ‘’le franc CFA est le lieu d’observation de quelque chose d’absolument inédit. Dans tous les pays du monde où il y a eu des décolonisations, l’indépendance a entraîné en général des monnaies locales. Il y a quelque chose de très anthropologique dans cette idée de battre sa monnaie et d’avoir ses institutions. En 1960, toutes les réserves de change restent centralisées au niveau du Trésor public. C’est-à-dire que les pays africains de la zone franc qui souhaitent acheter des biens et services en dehors de la zone doivent aller demander au Trésor public pour pouvoir faire des achats à l’extérieur alors qu’ils sont déjà indépendants depuis une décennie. Cette dimension montre à quel point il était extrêmement difficile pour les dirigeants aux commandes d’accepter ce système-là. Oui, il y a un problème avec le franc CFA et particulièrement avec les pays d’Afrique subsaharienne’’. Alors, le franc CFA est-il le signe d’une décolonisation inachevée ?(10) Comment sortir aujourd’hui de ce système que certains perçoivent comme une servitude monétaire ?»(11)
Le FCFA est une aubaine pour les entreprises françaises implantées en Afrique qui peuvent rapatrier leurs bénéfices en Europe sans aucun risque de change, ce qui profite à des multinationales comme Bolloré, Bouygues, Orange ou encore Total… Outrageusement avantageuse pour l’économie française, cette monnaie, entièrement contrôlée par la France, coûte en revanche aux citoyens africains. Insulte à la souveraineté de quatorze nations africaines, le franc CFA (FCFA) est un système anachronique car la France est le seul pays au monde qui se paie encore le luxe de gérer la monnaie de ses ex-colonies, et ce, plus d’un demi-siècle après leur indépendance. le FCFA reste néanmoins intégralement sous la tutelle du ministère français des Finances. Il est donc une aubaine car la libre circulation des capitaux, qui est son corollaire, permet aux entreprises françaises implantées dans ces 14 pays d’Afrique de rapatrier leurs bénéfices en Europe sans aucun risque de change, ce qui profite à des multinationales comme Bolloré, Bouygues, Orange ou encore Total»…(11)
Cette servitude monétaire — et, par-delà, économique — n’est-elle pas confirmée même au sein du Fonds monétaire international (FMI) où c’est le représentant de la France (et non de ces pays africains) qui élabore le rapport annuel dédié à la zone franc ? Cette insulte à la souveraineté de ces nations n’est-elle pas consacrée par leur impossibilité d’imprimer leurs propres billets de banque, lesquels sont fabriqués exclusivement sur le territoire français ? Ce néocolonialisme subtil, où la France dispose du droit de vie et de mort sur des économies et sur des pays dits ‘’indépendants’’, perpétue en fait sa domination sous des formes plus insidieuses.(11)

Montée en puissance de la «Nouvelle Afrique»
Pepe Escobar apporte d’autres arguments à cette avalanche de remises en cause de l’ordre ancien avec une explication détaillée des méfaits du franc CFA. Il écrit : «Tels des dominos, les États africains tombent l’un après l’autre. Le Tchad, la Guinée, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et maintenant le Gabon. Le continent est aujourd’hui confronté à d’énormes difficultés dans sa lutte contre les institutions financières et politiques profondément enracinées de la colonisation, en particulier lorsqu’il s’agit de briser l’hégémonie monétaire française sous la forme du franc CFA – ou de la Communauté financière africaine (CFA). Des officiers militaires ont décidé de prendre le pouvoir au Gabon après que le président hyper pro-France Ali Bongo a remporté une élection douteuse qui ‘’manquait de crédibilité’’».(12)
«(…) Le Gabon est un pays de richesses minérales – or, diamants, manganèse, uranium, niobium, minerai de fer, sans parler du pétrole, du gaz naturel et de l’hydroélectricité. Il est absolument impossible pour quiconque dans le Sud mondial, la Majorité mondiale ou le Globe mondial de comprendre les troubles actuels de l’Afrique sans comprendre les rouages du néocolonialisme français. La clé, bien sûr, est le franc CFA. Le racket du CFA fait passer la mafia pour des punks de rue. Il signifie essentiellement que la politique monétaire de plusieurs pays africains souverains est contrôlée par le Trésor français à Paris. En réalité, plus de 80% des réserves de change des pays africains se trouvent sur des ‘’comptes d’opération’’ contrôlés par le Trésor français depuis 1961. Le Trésor français utilise les réserves africaines comme s’il s’agissait de capitaux français (…) Les politiques sont élaborées par le président de la République française et sa ‘’cellule africaine’’. Il est essentiel pour le néocolonialisme d’exploitation d’empêcher ces pays riches en ressources d’utiliser leurs propres ressources pour développer leurs propres économies.»(12)

Requiem pour le post-colonialisme en Afrique
«Une fois de plus, écrit Philippe Leymarie, la France est contrainte de faire ses bagages… La fin de ‘’l’armée d’Afrique’’ ? Le putsch militaire au Niger est un nouveau revers pour la France en Afrique de l’Ouest, sa zone de prédilection. Et surtout pour ses forces militaires, restées présentes sur le continent plus de soixante ans après la vague des indépendances, et de moins en moins supportées par les populations et les classes politiques locales. Depuis la défection du Mali, puis du Burkina Faso, le Niger était – avec le Tchad, également gouverné par un régime de type militaire – le seul pays sahélien à accueillir, et même à demander le secours de forces étrangères. (…) La France est contrainte en 2022 d’évacuer ses bases au nord et au centre du Mali, puis au début de cette année son emprise de «forces spéciales» au Burkina Faso. Au total, les effectifs des troupes françaises au Sahel auront déjà été divisés par deux en quelques mois. (…) Pour la France, déjà évincée de fait en République centrafricaine avant de l’avoir été dans plusieurs pays du Sahel, et dont les principaux alliés en Afrique de l’Ouest et du Centre (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal) risquent d’être confrontés à des contextes difficiles de succession, le putsch au Niger fait figure de nouvel échec politique, après plusieurs autres dans les parages. Aucun bilan de la ‘’guerre perdue’’ au Mali, par exemple, n’a été mené jusqu’ici, à l’échelon militaire comme politique.»(13)

Conclusion.
Plus largement, il y a un vent de liberté qui souffle, les Africains acceptent d’avoir des problèmes mais ce sont leurs problèmes. Le continent africain ne fait pas exception. La France, malgré ses atouts, a perdu pied car elle est encore prisonnière de l’image du bon temps des colonies et de «Y a bon Banania». Les coups d’État s’enchaînent et les réactions diplomatiques sont plus catastrophiques les unes que les autres. Plus rien ne sera comme avant. L’Occident est devenu peu à peu un repoussoir pour tous les pays souverains qui aspirent à le rester. Pendant que l’Occident creuse sa tombe, les Brics, eux, bâtissent le monde de demain avec une philosophie bien différente de coopération. Ainsi va le monde.
C. E. C.

1.https://www.youtube.com/watch?v=w2t02R7KOdk&ab_channel=UnionPopulaireR%C3%A9publicaine
2. Mohsen Abdelmoumen https :// reseauinternational .net/les-vassaux-de-paris-recoivent-lordre-dattaquer-bruits-de-bottes-au-sahel/ 23 08 2023
3.Anne-Cécile Robert https://www.monde-diplomatique.fr/2023/09/ROBERT/66087
4.Baptiste Roger-Lacan Mali, Niger, Gabon… l’Afrique face aux révolutions kaki, une conversation avec Wassim Nasr | Le Grand Continent 30 août 2023
5.Pascal Priestley https :// information .tv5monde. com/afrique/les-presidents-francais-et-lafrique-paroles-damours-et-de-desamours-27884 24 déc. 2021
6.Martin Mateso https ://www. francetvinfo. fr/ monde /afrique/politique-africaine/jacques-chirac-nous-avons-saigne-lafrique-pendant-quatre-siecles-et-demi_3633009. html#xtor=CS2-765-[share]- 26/09/2019
7.Jacques Chirac, 2008 https://youtu.be/fzWvhXRLAYA
8.Thomas DeltombeMélanie Torrent https:/ /www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/la-communaute-ou-l-echec-d-un-commonwealth-a-la-francaise-3351122
9.https://www.lesaffaires.com/secteurs/general/le-commonwealth-relique-du-passe-colonial-du-royaume-uni/635802
10.https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/franc-cfa-histoire-de-la-derniere-monnaie-coloniale-1323673
11.Michel Santi https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/franc-cfa-cle-de-voute-de-la-francafrique-807222.html 14 Févr 2019,
12.Pepe Escobar https://reseauinternational.net/pas-de-repit-pour-la-france-face-a-la-montee-en-puissance-de-la-nouvelle-afrique/ 2 09 2023
13. PhilippeLeymariehttps://reseauinternational .net/la-fin-de-larmee-dafrique/ 2 09 2023

Par le Professeur
Chems Eddine Chitour
école polytechnique, Alger

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur

Source : Le Soir d’Algérie
https://www.lesoirdalgerie.com/…