Par Lahouari Addi

Le régime algérien ne veut pas qu’il y ait des partis politiques autonomes. Les seuls partis qu’il tolère sont ceux qui lui prêtent allégeance, autant dire des partis artificiels sans ancrage et qu’il a lui-même créés. Le rêve des dirigeants est une Algérie apolitique où le prix du baril de pétrole est à 100 dollars pour acheter la paix sociale. La revendication politique est perçue comme une volonté de changer de régime, ce qui est inconcevable pour un système dont les acteurs ont grandi avec l’idée que le pouvoir est un butin de guerre. Une constitution existe, mais elle a été rédigée et appliquée de telle manière à protéger légalement le pouvoir contre l’opposition. La constitution algérienne ne prévoit pas le mécanisme d’alternance électorale car un butin de guerre ne se transfère pas par les élections. La culture du butin de guerre impose aux dirigeants de percevoir tous ceux qui les critiquent comme des ennemis. C’est pourquoi les hirakistes, pourtant pacifiques, sont arrêtés, réprimés, et sont considérés comme des terroristes qui, par la subversion, veulent détruire l’Etat et disloquer la nation. La culture politique des dirigeants est guerrière et belliqueuse, et elle correspond à la volonté de faire de l’Etat un moyen de jouissance du pouvoir et un instrument d’acquisition des richesses dans une société où les classes sociales sont en formation et où les fortunes privées sont en train de se constituer. En Algérie, l’Etat n’est pas neutre dans le processus de formations des classes sociales. Il est partie prenante parce qu’il n’a pas encore acquis le caractère public qui le mettrait au-dessus des intérêts privés des dirigeants. Il est un patrimoine privatisé qui contrôle l’espace politique afin que la rente pétrolière ne serve qu’au maintien du régime et à l’enrichissement des clientèles du régime.

La dernière décision de supprimer les taxes sur certains produits révèle la nature du régime qui souhaite que le budget de l’Etat soit alimenté par la rente et non par les impôts. Le régime ne veut pas que l’Etat dépende financièrement de la société. Il préfère que la société dépende de l’Etat au point où les impôts sont supprimés. Or l’idée de démocratie est liée à l’idée des impôts. Le slogan « no taxations without representation » de la révolution américaine de 1788 signifie : « Si nous n’avons pas de représentants au niveau de l’Etat, nous ne paierons pas les impôts. Puisque vous décidez du budget alimenté par nos impôts, le minimum est que nous soyons représentés au niveau de l’instance qui décide de la répartition du budget ». Le slogan a été repris à l’envers par l’administration Tebboune avec le raisonnement suivant: « vous ne payez pas les impôts et nous choisissons pour vous vos représentants dans les institutions de l’Etat. Ainsi, vous n’avez pas besoin de partis d’oppositrion qui proposeraient une autre structure du budget. Le budget de l’Etat est à nous puisque l’Etat est à nous. Le régime algérien se plaît dans une économie rentière qui permet à l’Etat de se passer des impôts des citoyens. Mais ce schéma est viable avec un prix du baril de pétrole à 100 dollars. Si le prix de pétrole baisse à 30 dollars, comment sera alimenté le budget de l’Etat pour payer l’instituteur et le fonctionnaire? Ce sera par la dévaluation du dinar qui amputera le pouvoir d’achat et par les demandes de prêts au FMI.

Toutes les politiques économiques menées par le régime depuis 1962 ont échoué, et l’échec s’approfondit d’année en année. Mais comment, malgré cet échec structurel, les finances de l’Etat ne se sont pas taries? Elles ne se sont pas taries en raison premièrement des revenu des exportations des hydrocarbures, et aussi en raison de la diminution chronique de la parité du dinar (plus faible que la parité du dinar tunisien et du dirham marocain malgré que l’Algérie a plus de ressources financières que ces deux pays voisins). Outre la rente pétrolière, le budget de l’Etat est financé depuis des années par la perte du pouvoir d’achat des revenus des travailleurs et des fonctionnaires. L’administration Tebboune efface des impôts qui représentent 10% des revenus en oubliant que pouvoir d’achat a baissé au moins de 300% sur 20 ans. C’est facile d’observer l’évolution du pouvoir d’achat. C’est un jeu d’enfant. Il suffit de comparer les prix des produits les plus consommés sur une période, disons de 20 ans, et les comparer avec l’évolution du salaire. Quel était le prix du kg de viande, des légumes, des fuits… il y a vingt ans? L’ouvrier et le fonctionnaire, pour parler de catégories qui disposent de revenus mensuels, sont plus pauvres aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Quelle est la solution? Il faut des partis politiques autonomes qui proposent une autre politique économique. Or les partis autonomes qui cherchent à conquérir le pouvoir d’Etat par les élections sont accusés de vouloir mettre en danger le pays. Les dirigeants conçoivent l’Etat comme un butin de guerre, et les partis qui veulent accéder au pouvoir par les élections comme des ennemis. Un parti en Algérie est soit un ennemi du système, soit un harki du système.

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AMNESTY INTERNATIONAL

COMMUNIQUÉ DE PRESSE 9 février 2022

Algérie. Dans le cadre de la répression, les partis politiques se retrouvent dans le collimateur des autorités

Au cours du seul mois de janvier, les autorités algériennes ont suspendu un parti politique et ont menacé deux autres de subir le même sort, a déclaré Amnesty International le 8 février 2022. Elles ont aussi condamné le leader d’un parti politique à deux années de prison pour avoir exprimé ses opinions contre la répression dans le pays, portant à au moins 251 le nombre total de personnes actuellement détenues pour avoir exercé leurs droits de manifester pacifiquement et de s’exprimer librement.

Le gouvernement algérien a fait valoir que les trois partis avaient enfreint la loi en organisant des « rassemblements non autorisés » et leurs congrès en retard. Ces trois partis critiquent haut et fort le gouvernement, ont boycotté les élections présidentielle, législatives et locales, et jouent un rôle actif dans le Hirak, un mouvement de protestation massif appelant à un changement politique dans le pays depuis 2019.

« Les autorités algériennes veulent à tout prix se maintenir au pouvoir et s’efforcent d’écraser leurs opposant·e·s en piétinant les droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression. Rien ne justifie de poursuivre des militant·e·s politiques et de suspendre des partis d’opposition, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.

« L’Algérie doit en finir avec sa répression implacable contre toutes les formes de dissidence. Le droit international relatif aux droits humains et la Constitution algérienne garantissent les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique pour les partis politiques. Les autorités doivent cesser immédiatement leurs attaques contre les libertés fondamentales en Algérie. »

Suspension ou menaces de dissolution visant les partis politiques

Le 20 janvier 2022, le Conseil d’État algérien a ordonné la suspension « provisoire » du Parti socialiste des travailleurs (PST), le contraignant à cesser toutes ses activités et à fermer ses locaux. S’il refuse de s’y conformer, le ministère de l’Intérieur peut soumettre une requête en dissolution auprès du Conseil d’État. La décision se fondait sur la Loi n° 12-04 sur les partis politiques, qui confère des pouvoirs très élargis au ministère de l’Intérieur et lui permet de demander que l’État dissolve les partis politiques qui violent leurs obligations légales.

Le même jour, le Conseil d’État a rejeté une autre demande du ministère de l’Intérieur concernant la suspension de l’Union pour le Changement et le Progrès (UCP). Ce parti attend un jugement sur le fond de cette affaire.

En avril 2021, le ministère de l’Intérieur a recommandé aux deux partis de veiller à respecter la Loi n° 12-04, en leur demandant d’organiser leurs congrès. Ils ont soumis les documents requis et notifié le ministère, mais n’ont pas reçu de réponse. Pourtant, les autorités ont décidé de maintenir la demande de suspension.

Le 6 janvier 2022, le ministère de l’Intérieur a adressé au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), grand parti d’opposition algérien, un avis officiel lui demandant de se conformer à la Loi n° 12-04 sur les partis politiques. Il a indiqué qu’une rencontre organisée au siège du parti le

24 décembre n’était pas alignée sur les objectifs du parti et n’avait pas été autorisée. Cette réunion portait sur la répression du militantisme politique en Algérie.

Le droit international relatif aux droits humains protège le droit à la liberté d’association, qui englobe le droit de former des partis politiques. Aucune restriction ne doit être imposée à l’exercice de ce droit, à l’exception de celles prescrites par la loi et nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sûreté nationale ou de la sécurité publique. Organiser des meetings pour débattre de la situation politique ou exprimer des opinions critiques ne doit jamais donner lieu à la suspension ni à la dissolution d’un parti politique.

Poursuivre les leaders et les membres des partis politiques

Le 9 janvier, un juge du tribunal de Bab El Oued, à Alger, a condamné Fethi Ghares, coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), à deux ans de prison et à une amende de 200 000 dinars algériens (1 250 euros) pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression.

Fethi Ghares est poursuivi pour « incitation à un rassemblement non armé », « outrage à corps constitué » et diffusion d’informations pouvant « porter atteinte à l’intérêt national ». Il avait critiqué les autorités sur les réseaux sociaux et lors d’un meeting au siège du parti en juin 2021. Son épouse, Messaouda Cheballah, a déclaré à Amnesty International que la police a perquisitionné leur domicile et saisi des documents politiques, un ordinateur et des photos de manifestants du Hirak détenus le 30 juin, le jour où Fethi Ghares a été interpellé. Il est détenu à la prison d’El Harrach, à Alger, où il attend une date pour son procès en appel.

Fethi Ghares est le deuxième membre du Mouvement démocratique et social (MDS) à être illégalement détenu pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression et de réunion.

Le 14 mai 2021, Ouahid Benhallah a été arrêté alors qu’il se rendait à une manifestation du Hirak.

Deux jours plus tard, il a été condamné à un an de prison pour cinq infractions au Code pénal, dont « incitation à un rassemblement non armé » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Il a été libéré trois mois plus tard, la Cour d’appel ayant réduit sa sentence à une amende de 60 000 dinars algériens (375 euros).

Pas moins de 60 membres du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dont des anciens parlementaires et des élus locaux, ont été poursuivis. Quatre sont toujours en détention.

Complément d’information

Depuis la naissance du mouvement du Hirak, les autorités ont arrêté, poursuivi et détenu des centaines de manifestant·e·s et militant·e·s pacifiques qui ont exprimé leurs opinions en ligne ou hors ligne.

Le 13 octobre 2021, les autorités ont dissout le Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), une célèbre organisation de la société civile algérienne, pour de fausses accusations portant sur l’organisation d’activités ne correspondant pas à ses statuts.

Source : la page FB de l’auteur
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