Le président américain élu Joe Biden avec le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas

Par Alaa Tartir

Il y a sept ans, j’ai écrit Les Milliards de Kerry pour examiner d’un œil critique le projet économique des Etats Unis pour le Territoire Palestinien Occupé (TPO). A l’époque, le Secrétaire d’État américain John Kerry (sous l’administration Obama-Biden) avait promis des milliards de dollars aux Palestiniens (entre 4 et 11 milliards de dollars) grâce à son ‘Initiative Economique pour la Palestine’.

Le projet visait à développer l’économie de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza sur une période de trente ans, comme préalable à un règlement politique qui mettrait fin au ‘conflit palestino-israélien’. Ce projet promettait une augmentation de 50 % sur trois ans du Produit Intérieur Brut (PIB) des Palestiniens, une baisse des deux tiers du taux de chômage et un doublement virtuel du salaire moyen des Palestiniens. Kerry a appelé son projet ‘un nouveau modèle de développement’, tandis que Tony Blair, à l’époque représentant du Quintet, a déclaré que c’était unique dans l’histoire. J’avais alors mis en garde, non seulement sur l’impossibilité d’atteindre cet objectif, mais aussi sur sa conception problématique, ses conséquences nuisibles et sa justification économique défectueuse.

J’avais aussi prévenu que la ‘paix économique’ ne pouvait acheter la ‘paix politique’, et que la paix économique, en tant que prérequis pour la prospérité, était fondamentalement trompeuse en l’absence d’horizon politique. Kerry (ainsi que l’Administration Obama-Biden) a quitté la Maison Blanche, les milliards de dollars sont restés à Washington et le projet n’a pas réussi à se concrétiser ni à fournir aucun résultat concret à ce qu’il avait envisagé et promis.

L’administration Biden ne peut pas dévier des approches politiques américaines traditionnelles envers les Palestiniens de ‘paix économique’ et de ‘dividendes pour la paix’. Par conséquent, peu devraient être surpris si la nouvelle administration choisit l’aide américaine comme point d’entrée pour se réengager avec l’Autorité Palestinienne (AP) après des années de marginalisation et de négligence sous Trump. En fait, en agissant ainsi, Biden poursuivra un chemin suivi par tous ses prédécesseurs, et il échouera.

Le cadre économique de la paix de l’administration Carter a été suivi par l’initiative ‘’Qualité de la Vie’ sous l’administration Reagan, puis par la notion de ‘dividendes de la paix’ de l’administration Clinton, et ensuite par l’initiative ‘Feuille de Route pour la Paix’ de l’administration Bush avec son orientation économique axée sur la sécurité. Plus récemment, l’Administration Trump a fait de même avec son plan ‘de la Paix à la Prospérité’, vision fondée sur la même justification économique trompeuse.

Par conséquent, une présidence Biden ne fournira aucun encouragement pour sortir de l’approche de l’approche ‘paix économique’ de la politique américaine envers la Palestine. Il suffira de trouver un nouveau surnom ou un synonyme aux projets susmentionnés de ‘paix économique’ et de ‘dividendes de la paix’. Elle aura besoin aussi d’une ‘modalité hybride’ légèrement modifiée, signifiant que son intervention ne sera vraisemblablement pas seulement faite d’aide conditionnelle, mais aussi d’investissement conditionnel. Cette modalité hybride ‘aide-investissement’ pourrait être perçue comme une approche pertinente à la lumière des dits Accords d’Abraham et du chemin de ‘normalisation régionale’ entre Israël et certains Etats arabes.

Ceci dit, reprendre l’aide à l’AP nécessitera de la part de l’Administration Biden de révoquer un certain nombre de lois et de règlements décrétés ces quatre dernières années, ou de les contourner/dévier avant de redémarrer ses programmes d’aide. Ce ne devrait pas être un obstacle majeur, puisque la volonté politique foulera aux pieds, comme d’habitude, les règlements et la sphère juridique.

Finalement, et du point de vue de ceux qui ont reçu ce paquet américain anticipé d’aide-investissement – l’AP – il y aura peu de résistance à ce cadre problématique de l’aide. Avec le succès de Biden et la défaite de Trump, la direction politique palestinienne désespérée a déjà envoyé à Washington des signaux clairs pour dire qu’elle est prête à la ‘vieille normalité’. Le cadre politique qu’elle a adopté depuis la création de l’AP est en ligne avec les paramètres de l’Administration Biden et elle n’a visiblement rien appris des précédents échecs collectifs de ces dernières décennies. Elle prévoit, une fois de plus, de mettre la plupart (sinon la totalité) de ses œufs dans le panier américain et d’accepter l’aide américaine.

Etant données les finances désastreuses de l’AP, elle voit l’arrivée de l’aide américaine comme une bouffée d’oxygène très attendue, et elle acceptera de vivre avec le lot de conditions qui lui sont attachées. Cependant, ce ne sont pas de bonnes nouvelles pour la population palestinienne dans sa quête pour l’autodétermination, la liberté et la dignité.

Après tout, au long des décennies, l’aide américaine à l’AP a largement eu pour but de renforcer le rôle de cette dernière en tant que sous-traitant de l’occupation israélienne, la rendant moins onéreuse et plus durable au bénéfice de l’économie israélienne, tout en renforçant la fragmentation des Palestiniens et en déniant la possibilité d’une démocratie palestinienne. Avec un nouveau paquet d’aide de l’administration entrante, cette dynamique pernicieuse ne fera que repousser plus loin et rendre plus sombres les chances d’une paix véritable et durable.

Il est temps de dépasser la ‘vieille normalité’, mais certainement, ni l’administration américaine entrante, ni l’actuelle direction politique palestinienne ne sont ni capables ni disposées à s’orienter vers une ‘nouvelle normalité’ qui pourrait fournir la base pour une paix juste.

Alaa Tartir est chercheur et coordinateur académique à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, Global Fellow au Peace Research Institute Oslo (PRIO), et conseiller en programmes et politiques auprès d’Al-Shabaka, le Palestinian Policy Network. Les publications de M. Tartir peuvent être consultées à l’adresse http://www.alaatartir.com, et il tweete à l’adresse @alaatartir

Traduction : J. Ch. Pour Campagne BDS France Montpellier

Source : Middle East Center

Source : BDSF34
https://bdsf34.wordpress.com/…