Nada Salah 

Par Gideon Levy

 Gideon Levy, Haaretz, 22/10/2021. Photos : Hadas Parush 
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les colons juifs ont détruit des cultures et vandalisé des oliviers appartenant à un couple de Palestiniens d’une soixantaine d’années. Au cours des deux dernières semaines, 18 attaques de colons ont eu lieu en Cisjordanie. Quelque 8 000 oliviers ont déjà été victimes cette année – et la saison ne fait que commencer.

Cela aurait pu et aurait dû être leur heure de gloire. La récolte des olives. Une fête familiale saisonnière qui implique une rencontre avec la nature, le travail de la terre et une récolte dans l’oliveraie, dont les arbres ont été plantés par les ancêtres de la famille. C’est aussi censé être leur source de revenus la plus sûre, face à une économie instable et fragile, où personne ne sait ce que l’avenir lui réserve ni ce que décidera un soldat au hasard d’un checkpoint.

Cette belle saison est devenue un cauchemar. Un autre cauchemar. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans que les colons n’attaquent, ni un matin sans que l’on découvre des arbres abattus, mutilés ou dépouillés de leurs fruits. Depuis le début de l’année, 8 000 arbres ont déjà été vandalisés en Cisjordanie, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies, par des centaines de colons qui ont pris part aux pogroms. Rien qu’au cours des deux dernières semaines, 18 incidents de ce type ont eu lieu, selon Yesh Din-Volontaires pour les droits humains, une ONG israélienne.

Alors que toute la Cisjordanie est désormais peinte aux couleurs de la récolte – il n’y a pas une route sans couvertures ou bâches (sur lesquelles tombent les fruits), sans échelles et sans familles entières rassemblées à côté et cueillant des olives – il y a apparemment peu de personnes qui n’ont pas ressenti le bras brutal et maléfique de leurs voisins juifs. Ceux qui volent des sacs d’olives à des personnes qui les ont soignés pendant des années et qui ont très peu d’autres sources de revenus, voire aucune ; qui frappent les troncs et les branches avec des haches ; qui brûlent les bosquets et déracinent les arbres.Eretz Israël – si beau, entier et indivis. La haine et la méchanceté nationalistes écrasantes s’accompagnent de la haine de la terre et de la haine de la nature, de la terre et de ses fruits.

Ibrahim et Nada Salah

Cette semaine, nous étions les invités de deux agriculteurs sexagénaires qui n’ont pas connu de récolte paisible depuis des années. Mais cette année, le pillage et les actes de mutilation des colons semblent être plus intenses que jamais. Ce sont des gens qui savent que rien de mal ne leur arrivera s’ils volent, déracinent ou brûlent. Ils sont juifs – et les soldats des forces de défense israéliennes sont sous leur emprise et les protégeront presque toujours, même quand ils agissent hors la loi. Ibrahim Salah se tenait sur une échelle en haut d’un arbre lorsque nous sommes arrivés dans son verger du village de Far’ata, à l’ouest de l’agglomération d’Ariel. Le corps et le visage cachés par les branches, il cueillait les olives les unes après les autres et les déposait sur la couverture étalée en dessous. Sa femme, Nada, était assise sur le sol, triant et jetant les olives, séparant les brindilles et les feuilles. Nada et Ibrahim, qui sont cousins, sont nés la même nuit il y a 68 ans. Ils sont mariés depuis l’âge de 18 ans et ont sept enfants. Aujourd’hui, ils sont au travail dans la parcelle familiale. Les olives que Nada met dans les sacs sont vertes et brillantes ; c’était une bonne année pour les olives.Toute sa vie, Ibrahim a travaillé comme carreleur et dans la rénovation en Israël. « Mais c’était assez », dit-il en hébreu. Ibrahim connaît l’histoire de chaque arbre de ce bosquet de plusieurs dizaines d’arbres. Il raconte qu’un arbre en particulier, flétri et sans vie, a été déplacé d’un autre endroit et s’acclimate maintenant à son nouvel environnement.

En 2006, le fils des Salah, Basel, a été violemment frappé à la tête et à l’épaule par des colons pendant la récolte des olives ; il a été hospitalisé et souffre toujours d’un léger handicap permanent. En mars 2019, nous avions rendu visite à Ibrahim après que des colons de Havat Gilad ou de ses satellites eurent déversé des carcasses de moutons dans son puits pour empoisonner l’eau. La vue des carcasses, qu’il a hissées hors de l’eau sous nos yeux, était épouvantable, la puanteur insupportable. Depuis 2002, il n’a pas eu une seule récolte tranquille. Il se souvient d’une occasion où lui et sa famille s’étaient assis pour manger sur leurs terres et où une femme colon s’est plainte de l’odeur du labaneh [fromage blanc de chèvre, NdT] et du poisson qu’ils mangeaient ; elle a exigé que les soldats à proximité les fassent dégager. Une autre fois, ils se reposaient pendant une pause café et des colons se sont plaints qu’ils n’étaient pas au travail, ce qui était la raison pour laquelle ils avaient reçu un permis d’être là ; l’armée est intervenue et ce fut la fin de la pause café.

Ibrahim Salah cueille des olives dans l’oliveraie de sa famille, cette semaine. Depuis 2002, dit-il, ils n’ont pas eu une seule récolte tranquille 

Les Salah possèdent 35 dunams (3,5 ha) d’oliveraies près de Far’ata et 18 autres près de Havat Gilad, à plusieurs centaines de mètres. Comme trois de leurs parcelles sont si proches de la colonie, ils doivent coordonner le labourage du sol et la récolte des olives avec les FDI. C’est une première mondiale : une personne n’est autorisée à accéder à ses terres que quelques jours par an et uniquement sur autorisation – essentiellement parce que ses voisins sont violents. Chaque fois qu’Ibrahim est autorisé à accéder à ses terres, il est stupéfait.

« Chaque année, il y a quelque chose de nouveau », nous dit-il. Cette année, il a découvert que les fruits d’une cinquantaine d’arbres âgés de 70 ans avaient été volés avant même qu’il n’arrive dans les bosquets situés à côté de la colonie. « Il y a sept ou huit ans, ajoute-t-il, ils ont construit une maison et monté une tente sur mon terrain. J’ai déposé une plainte, mais rien ne s’est passé. Ils sont restés. J’ai déposé plus de 27 plaintes, mais rien n’y a fait.

« Cette année, j’ai déjà déposé trois plaintes. Dans une parcelle, ils ne m’ont pas laissé une seule olive, dans la deuxième ils ont coupé cinq arbres et dans la troisième ils ont volé [les olives de] trois arbres et ont commencé à y construire une maison. Nous voulions leur parler et leur dire de ne pas construire, ils ont commencé à nous crier dessus et à nous poursuivre jusqu’à ce que l’armée arrive et nous protège ».

Cela s’est passé le lundi 11 octobre. Ibrahim se tord les mains, expliquant qu’une femme colon et deux jeunes, apparemment ses enfants, les ont attendus sur le chemin du retour et ont commencé à les malmener – lui et Nada, deux personnes de presque 70 ans. Les soldats ont aidé à les protéger cette fois-là. Le jour suivant, quelques volontaires israéliens sont arrivés pour aider les Salah et les protéger, et cette fois ils n’ont pas été attaqués. Mais personne n’a rendu la récolte des 50 arbres que les colons avaient volée auparavant.

Structures construites par des colons dans des oliveraies palestiniennes

Pour sa part, Yousef Hammoudeh, un résident de 64 ans de Yasuf, à l’est d’Ariel, a effectivement fait l’expérience de soldats lui rendant ce que les colons avaient volé, mais bien sûr personne n’a été traduit en justice pour ce vol. Comme Ibrahim et Nada Salah, Hammoudeh a subi de nombreuses attaques contre ses bosquets. Il nous raconte également qu’une partie des terres de sa famille a été expropriée il y a des années afin d’établir la colonie de Kfar Tapuah.Auparavant, Hammoudeh a travaillé comme enseignant ; il a également été employé par l’Autorité palestinienne en tant qu’expert en analyse de photographies aériennes. Aujourd’hui à la retraite, avec huit enfants et douze petits-enfants, il dépend des olives pour sa subsistance. Des sacs d’olives sont dans sa cour, attendant d’être transportés au pressoir. Il vient à notre rencontre au volant d’un véhicule tout-terrain.

Jeudi dernier, le 14 octobre, Yousef s’est rendu avec son frère Ibrahim, 45 ans, sur leurs terres, mais les colons qui en avaient pris le contrôle les ont chassés comme s’ils étaient des chiens errants, à coups de menaces et de pierres. Leur propriété est située le long de la route 60, au pied de Rehelim, un village perché sur une colline. Le bosquet, qui a été acheté par le grand-père des hommes, contient 70 arbres dispersés dans la vallée entre le village et l’autoroute. Des colons violents et maraudeurs y ont érigé quelques huttes il y a sept ou huit ans. Les colons ont essayé de voler les échelles que la famille avait apportées pour la récolte, mais ils ont réussi à les sauver et les colons se sont enfuis, mortifiés.

Vendredi dernier, les Hammoudeh – Yousef et sa femme, Haoula, 55 ans, leur fille Khanin, 33 ans, et leur fils Souheib, 23 ans, et Ibrahim et son fils, Salah, 15 ans – ont à nouveau essayé d’accéder à leur verger, cette fois-ci par le haut, depuis les collines. En s’approchant, ils ont rencontré une femme, Juma’ana Abdel Raziq, qui récoltait ses olives à proximité. Elle leur a dit que des colons l’avaient volée : Ils ont volé son téléphone portable et son sac à main, ainsi que les olives qu’elle avait cueillies avec deux ouvriers qu’elle avait engagés depuis la ville voisine de Salfit ; les ouvriers avaient fui.

Yousef Hammoudeh

Alors que Juma’ana racontait son histoire, des volées de pierres se sont abattues sur les membres de la famille Hammoudeh qui tentaient de rejoindre leurs terres. Une pierre a frappé Yousef à la tête, une autre a touché la jambe de sa femme et une troisième s’est écrasée dans le dos de Souheib. Quelques pierres ont touché leur voiture, causant des dégâts. Tout cela s’est passé à côté de l’autoroute principale. Des soldats sont arrivés sur les lieux et ont ordonné aux Palestiniens de partir. Juma’ana s’est allongée sur le sol et a déclaré qu’elle ne partirait pas tant que ses biens ne lui seraient pas rendus. La famille Hammoudeh l’a rejointe en disant : nous ne bougerons pas non plus. Ils savaient très bien d’où le voleur était venu – pas très loin, de l’une des cabanes qui parsèment leur terrain. Dans un geste rare, pour ne pas dire inédit, un soldat s’est rendu à l’habitation du colon et a rapporté le téléphone, le sac et les olives de Juma’ana.

Samedi dernier, les frères Hammoudeh et leur famille ont tenté une nouvelle fois de récolter leurs cultures. Cette fois, le fils de Yousef, Hamzi, 30 ans, un policier palestinien en congé, les avait rejoints.Les soldats ont dit au groupe qu’ils ne pourraient pas travailler leur terre sans le coordonner à l’avance avec l’armée. « Je vais vous dire la vérité, les soldats ne se sont pas mal comportés », admet maintenant Yousef. Mais ensuite, ajoute-t-il, une unité de la police des frontières est arrivée et le tableau a changé. La famille avait même apporté des boulettes de falafel pour les soldats (« Je pensais qu’ils nous protégeaient »), mais les officiers qui se sont présentés les ont écrasées sous leurs pieds. « C’est devenu un champ de bataille », dit Yousef. 

Les agents de la police des frontières ont battu Hamzi, qui a essayé de leur dire que c’était la terre de sa famille, de protester et de discuter avec ses homologues, les policiers israéliens. Ils ont fait tomber Souheib au sol, et il a été coupé par des épines. Finalement, un officier a saisi Haoula à la gorge. Des images vidéo prises par Yousef montrent la bagarre entre la famille et les officiers. Ces derniers étaient sur le point d’arrêter Hamzi, mais les volontaires israéliens qui accompagnaient la famille ont pu l’empêcher.

Le petit-fils des Salah 

Les Hammoudeh sont rentrés chez eux après une demi-heure. Maintenant, sur ordre des FDI, ils ont un jour pour récolter leurs olives, le 27 octobre, mais il est peu probable qu’ils y parviennent, même si environ la moitié de la récolte a été cueillie. Le plan est de recruter de l’aide dans leur village. Pour l’instant, bien sûr, Yousef n’ose pas s’approcher du verger sans coordination avec l’armée.  Nous y sommes cependant passés plus tard sans lui et avons vu la vallée avec les oliviers, les cabanes des envahisseurs et les maisons de Rehelim perchées sur la colline qui surplombe ses terres.  Pendant ce temps, dans le bosquet que possèdent Nada et Ibrahim à Far’ata, le couple avait ramassé quelques petites branches, allumé un feu et fait du thé. La terre était couverte d’un tapis vert d’olives, Ibrahim était de retour dans l’arbre et Nada était au sol, jetant et triant les olives.

Tout pourrait être si beau ici.

Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…