Par Chems Eddine Chitour

l’usage de la guillotine n’est ni plus ni moins couper un homme vivant en deux.»
«La France, c’est la patrie de la Déclaration des droits de l’Homme, et quand on a donné au monde cette Déclaration, on est lié par cette parole-là.»
Robert Badinter

Résumé
Monsieur Robert Badinter est mort. Paix à son âme ! Nous allons décrire son itinéraire qui l’a vu défendre différentes causes. Pour les faiseurs d’opinion en France, son nom reste lié à l’abolition de la peine de mort : le 17 septembre 1981, il se lance dans un véritable réquisitoire. La loi est promulguée le 9 octobre 1981. le 19 février 2007, l’abolition est inscrite dans la Constitution.
Nous décrirons comment est venue cette loi voulue par le président Mitterrand qui affirme sa répulsion 25 ans après avoir envoyé à la mort 45 patriotes résistants de la Révolution algérienne. Nous donnerons aussi quelques omissions dans son plaidoyer décrivant l’histoire de la guillotine ; pas un mot sur les suppliciés en Algérie, ce qui explique l’engagement de Badinter pour différentes causes liées pour notamment à celle de sa communauté contrairement à la vingtaine d’avocats français et d’avocates (Gisèle Halimi) qui ont aidé la bonne cause de la liberté.

Qui est Robert Badinter en quelques dates
Né à Paris le 30 mars 1928 dans une famille juive émigrée de Bessarabie (l’actuelle Moldavie), il devient avocat au barreau de Paris, il défend des personnalités, des grands noms de la presse ou de l’entreprise, et plaide occasionnellement aux assises. De 1951 à 1981: avocat à la cour d’appel de Paris. En 1971: proche de François Mitterrand, il entre au PS. 1972 : défenseur de Roger Bontems, l’exécution de Bontems marque le début de son engagement militant contre la peine de mort. De 1981 à 1986 : garde des Sceaux. Le 17 septembre 1981: défend devant l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort. En1995 : président du Conseil constitutionnel. 1995/2011: sénateur PS des Hauts-de-Seine.
Comme un seul homme, tout le personnel politique a fait des déclarations où son nom est attaché à l’abolition de la peine de mort. Macron salue «une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français». «Avocat, garde des Sceaux, homme de l’abolition de la peine de mort». Il ne cessa jamais de plaider pour les Lumières. Il était une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français.
Marine Le Pen salue «une figure marquante du paysage intellectuel et juridique. «Robert Badinter était le défenseur des causes justes», déclare Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale. «Robert Badinter était non seulement un juriste hors pair mais un juste entre les justes. Mélenchon fait part de son admiration pour Robert Badinter. «J’ai tellement admiré Robert Badinter ! Il était tout simplement lumineux.»

Les guillotinés de Mitterrand et la soif de pouvoir
Nous avons voulu comprendre pourquoi la guillotine pour des résistants algériens et pourquoi ensuite l’illumination de la déchéance pour ce type de sanction de la part de Mitterrand. François Malye, Philippe Houdart nous expliquent la mécanique infernale de la justice humaine, où il n’y a pas d’humanité, seule compte pour Mitterrand, c’est-à-dire le pouvoir : «Avis défavorable au recours» ou encore «Recours à rejeter» : ces deux formules tracées à l’encre bleue ont la préférence de François Mitterrand quand, garde des Sceaux, il décide de donner un avis défavorable au recours en grâce des condamnés à mort du FLN. René Coty, président de la République — et décideur ultime —, indique, d’une écriture ronde d’enfant, qu’il laissera «la justice suivre son cours». (…) Quel fut le rôle de François Mitterrand, ministre de la Justice, celui qui, vingt-cinq ans plus tard, allait obtenir l’abolition de la peine de mort ? Mais le plus surprenant, c’est surtout la minceur de ces dossiers liés à la guerre d’Algérie : entassés sur la longue table de bois clair, on constate rapidement qu’il faut empiler au moins une vingtaine d’exécutions capitales en Algérie pour obtenir un dossier aussi épais que celui d’un obscur droit commun de métropole. Quelques feuillets, deux ou trois bristols griffonnés de mains illustres ont donc suffi à mener, le plus souvent au terme d’une parodie de justice, 222 hommes à la mort en cinq ans. Ce chiffre — également inédit — est considérable. Il représente le quart de l’épuration officielle de la Seconde Guerre mondiale, et donne à lui seul la mesure du mensonge qui a entouré cette période.(1)
Mais revenons à François Mitterrand. Il était ministre de l’Intérieur quand l’insurrection a éclaté, le 1er Novembre 1954. Sa réaction d’alors est connue : «L’Algérie, c’est la France […] Quand François Mitterrand revient aux affaires, il sait qu’il va falloir donner des gages aux Européens d’Algérie qui ne demandent qu’une chose : des têtes. La première concession intervient cinq semaines plus tard, sous la signature de quatre ministres, dont François Mitterrand : le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable. Pourtant avocat de formation, François Mitterrand accepte d’endosser ce texte terrible : «En Algérie, les autorités compétentes pourront […] ordonner la traduction directe, sans instruction préalable, devant un tribunal permanent des forces armées des individus pris en flagrant délit de participation à une action contre les personnes ou les biens […] si ces infractions sont susceptibles d’entraîner la peine capitale lorsqu’elles auront été commises.» Du coup, le nombre des condamnations à mort va s’envoler. Il y en aura plus de 1 500 durant les «événements d’Algérie». Et le 19 juin, les deux premiers ‘‘rebelles’’ sont conduits à l’échafaud.»(2)
Sylvie Thénault, historienne, a interrogé Pierre Nicolas, à l’époque directeur de cabinet de François Mitterrand : «Pierre Nicolas témoigne aujourd’hui, écrit-elle, que la décision d’exécuter a été une ‘‘décision politique’’ et qu’il lui fut demandé de choisir parmi les dossiers de recours en grâce un ‘‘ type’’ mêlant ‘‘crapulerie’’ et ‘‘politique’’, ‘‘un type particulièrement épouvantable’’ pour ‘’inaugurer la série des exécutions’’ sans déclencher trop de polémiques.» Pour le «politique», difficile de fournir martyr plus idéal à la révolution algérienne que Mohamed Ben Zabana. Cet ouvrier soudeur de 30 ans est un vieux routier des geôles françaises, dans lesquelles il a passé trois années entre 1950 et 1953 pour ses activités nationalistes. Mais si M. Duval, l’archevêque d’Alger, demande à Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, de suspendre l’exécution, c’est pour une autre raison : «C’est un infirme que vous allez exécuter.» Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, qui passait pour un homme très dur, a été plus clément : sur 27 de ces exécutions, il a émis 11 avis favorables au recours en grâce, les 7 autres avis ne figurant pas dans les dossiers. Chacune de ces exécutions va pourtant peser très lourd. Car le FLN a prévenu : si des condamnés à mort sont guillotinés, il y aura des représailles. «Descendez n’importe quel Européen de 18 à 54 ans ; pas de femmes, pas de vieux.» En dix jours, 43 Européens vont être tués ou blessés par les commandos du FLN. L’escalade est immédiate : bombes des ultras européens contre un bain maure rue de Thèbes qui tuera 70 musulmans. Bombes et assassinats du FLN, exécutions capitales à Oran, Constantine, Alger.»(2)
«Le 7 janvier 1957, un autre pas est franchi par le gouvernement auquel appartient François Mitterrand : il donne tous pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour briser le FLN d’Alger. La guillotine, elle, s’emballe : ‘’Il y a eu une déviation de la justice’’, explique Jean-Pierre Gonon, alors jeune avocat du barreau d’Alger. L’instruction était inexistante et, avec la torture, on parvenait à faire avouer n’importe quoi à n’importe qui.»(5) Pourquoi François Mitterrand n’a-t-il pas démissionné ? Ses biographes, Franz-Olivier Giesbert et Jean Lacouture, apportent la réponse : «Il est clair que dans son esprit la place Vendôme était l’antichambre de Matignon.» «Il espérait, après ce passage à la Justice, avoir été assez dur pour qu’on lui confie la direction du pays. (…) Sur la peine de mort elle-même, François Mitterrand restera aussi très silencieux durant les années qui le séparent de la Présidence. Robert Badinter, dans plusieurs interviews, a rappelé le souvenir qu’avait laissé cette période de la guerre d’Algérie à François Mitterrand : «Ce souvenir lui était odieux et il évitait d’en parler […] Par tempérament, il n’était pas partisan de la peine de mort. […] Mais il n’a pas été un militant de l’abolition.»(2)

Un Mitterrand complice des horreurs du régime
Comme l’avait étudié l’historien Jean-Luc Einaudi, Mitterrand se montre intraitable face à la demande de grâce de nombreux condamnés à mort. «Ce souvenir était odieux et il évitait d’en parler», confie Robert Badinter. Quelques grandes figures intellectuelles, tels Albert Camus, Germaine Tillion, Louis Massignon, René Capitant, Hubert Beuve-Méry, alertent l’opinion mais ne furent jamais entendues par Mitterrand, intransigeant, prisonnier de ses calculs politiques et de l’aveuglement du pouvoir. A l’image de cette gauche archaïque, l’ensemble du personnel politique reste insensible aux causes de la révolution algérienne. Il reste que c’est dans ce contexte historique que se révéla la part la plus trouble de la personnalité de Mitterrand. (…) Comment s’affirmer de gauche quand on combattit de la pire manière les nationalistes algériens, après avoir cru en Pétain ? La clé d’explication de cet angle mort pourrait être, comme le suggèrent les observateurs interrogés ici, l’ambition. Par calcul politique et soif du pouvoir, plus que par conviction idéologique, Mitterrand se fit le complice des horreurs du régime français durant la guerre d’Algérie.(3)

La guillotine en Algérie
On guillotine sans justice mais aussi pour l’exemple. Les premières exécutions capitales avaient créé une émotion immense. Barberousse est située en haut de La Casbah. Tous les habitants vivent cela dans leur chair. Immédiatement les femmes hurlent, font un youyou repris par des milliers de voix, pendant que les 2 000 prisonniers tapent les murs avec leurs gamelles, leurs cuillères. Tout le monde sait que c’est une guerre sans merci.
«Pour les bourreaux d’Alger, commencent alors les cadences infernales, avec les exécutions multiples qui se poursuivent jusqu’en 1958. Dans ses mémoires, le bourreau Fernand Meyssonnier rapporte. «Dans l’histoire, c’est assez rare […] En Algérie, entre 1956 et 1958, il y a eu seize exécutions doubles, quinze triples, huit quadruples et une quintuple. Oui, pendant le FLN c’était à la chaîne […] Pour arriver à de telles hécatombes, il faut des époques politiques troubles comme la Terreur pendant la Révolution, l’Occupation où il y a eu neuf exécutés d’un coup le 1er mai 1944, et… les « événements » d’Algérie.» Au total, entre 1956 et 1962 pour environ 1 500 condamnations prononcées, 222 Algériens ont été officiellement exécutés pendant la guerre d’Algérie. 142 l’ont été sous la IVe République : 45 pendant que François Mitterrand était garde des Sceaux, soit une exécution tous les 10 jours en moyenne. La plus forte fréquence revient au gouvernement Maurice Bourgès-Maunoury, qui a commis 29 exécutions en trois mois (soit une tous les trois jours). 80 exécutions ont eu lieu sous de Gaulle (soit une tous les 20 jours), bien qu’il ait amnistié 209 condamnés à mort.(4)

«La lame qui coupe un homme vivant en deux» et l’abolition de la peine de mort
Rappelant l’abolition de la peine de mort, Catherine Politi écrit : «C’est une date historique, qui fait entrer la France dans le camp des pays européens abolitionnistes. La loi mettant fin à l’application de la peine de mort est promulguée le 9 octobre 1981. De lui, on retiendra avant tout sa lutte acharnée contre la peine de mort. Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue […]. Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort.» «La peine de mort est vouée à disparaître de ce monde comme la torture, parce qu’elle est une honte pour l’humanité. Jamais, nulle part, elle n’a fait reculer la criminalité sanglante. Il a combattu toute sa vie contre la peine de mort, un engagement né lors du procès de Roger Bontems, condamné à la guillotine. Celui qui est alors pleinement avocat défend Roger Bontems, un ancien militaire exécuté dans la nuit du 27 au 28 novembre 1972. Il avait 36 ans.» «C’était la première fois que je défendais un homme qui encourait réellement la peine de mort et j’ai probablement découvert là ce que cela signifiait comme intensité et comme angoisse», confiera vingt ans plus tard Robert Badinter. Dans sa plaidoirie, le ténor rappelle le «bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux», assure qu’une telle peine ne dissuadera pas un criminel de passer à l’acte. Patrick Henry est reconnu coupable mais condamné à la réclusion criminelle à la perpétuité : «La justice française ne sera plus une justice qui tue.»(5)

Verbatim du discours de Robert Badinter à l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981
«J’ai l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France.» «Près de deux siècles se sont écoulés depuis que dans la première assemblée parlementaire qu’ait connue la France, le Pelletier de Saint-Fargeau demandait l’abolition de la peine capitale. C’était en 1791.»(6)
Un premier commentaire. S’ensuit une belle image de la France qui s’autoglorifie dans la plus pure méthode Coué et ceci pour attendrir les députés : «La France, c’est la patrie de la Déclaration des droits de l’Homme, et quand on a donné au monde cette Déclaration, on est lié par cette parole-là.» La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité. La France est grande parce qu’elle a été la première en Europe à abolir la torture. La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage, ce crime qui déshonore encore l’humanité.(6)
«Pourquoi ce retard pour l’abolition? s’interroge-t-il. Ce n’est pas la faute du génie national. C’est de France, c’est de cette enceinte, souvent, que se sont levées les plus grandes voix. L’abolition, en tant que telle, a toujours été une des grandes causes de la gauche française. S’ensuivent des dates au cours desquelles la question de l’abolition fut posée.(6)
«La Révolution de 1830 a engendré, en 1832, la généralisation des circonstances atténuantes. La Révolution de 1848 entraîna l’abolition de la peine de mort en matière politique. En 1908, Briand, à son tour, entreprit de demander à la Chambre l’abolition. Les temps passèrent. On peut s’interroger : pourquoi n’y a-t-il rien eu en 1936? En 1945, la Libération, les épreuves terribles de l’occupation faisaient que les sensibilités n’étaient pas à cet égard prêtes. Cette analyse vaut aussi pour les temps de la décolonisation. C’est seulement après ces épreuves historiques qu’en vérité pouvait être soumise à votre assemblée la grande question de l’abolition. Nous savons bien en vérité que la cause était la crainte de l’opinion publique.»(6)
«Un deuxième commentaire est que pas un mot de compassion à l’endroit de la Révolution algérienne de Novembre 1954 qui vit près de 200 patriotes résistants suppliciés qui n’ont pas interpellé la conscience de l’avocat. Sans doute il ne voulait pas déranger le conformisme ambiant, et ne pas impliquer le président Mitterrand dont il défend une cause qui lui est venue sur le tard comme Paul sur le chemin de Damas, l’illumination de la justice.»
Suite du verbatim ! «19 ans après, arrive 1981. Le président de la République a fait connaître à tous, non seulement son sentiment personnel, son aversion pour la peine de mort, mais aussi, très clairement, sa volonté de demander au gouvernement de saisir le Parlement d’une demande d’abolition s’il était élu. Le pays lui a répondu oui. (…) le général de Gaulle, fondateur de la Ve République, n’a pas voulu que les questions de société ou, si l’on préfère, les questions de morale soient tranchées par la procédure référendaire.»(6)
S’ensuit une longue et belle envolée sur la dimension morale de la peine de mort : «Il n’a jamais, jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l’absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. (…) La vraie signification politique de la peine de mort, c’est bien qu’elle procède de l’idée que l’Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie. C’est par là que la peine de mort s’inscrit dans les systèmes totalitaires. C’est par là même que vous retrouvez, dans la réalité judiciaire, douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire : celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis : cette conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté. Quant au droit de grâce, il convient de s’interroger à son sujet. Dans une République, dans une démocratie, quels que soient ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun homme, aucun pouvoir ne saurait disposer d’un tel droit sur quiconque en temps de paix (…). Le terrorisme qui, pour moi, est un crime majeur contre la démocratie, et qui, s’il devait se lever dans ce pays, serait réprimé et poursuivi avec toute la fermeté requise.»(6)
«Dans les démocraties voisines, pourtant en proie au terrorisme, on se refuse à rétablir la peine de mort, c’est, bien sûr, par exigence morale, mais aussi par raison politique. (…) Ainsi, loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme. Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence.» Cette sorte de loterie judiciaire, quand il y va de la vie d’une femme ou d’un homme, est intolérable. La peine de mort est moralement inacceptable. (…) La peine de mort est un supplice, et l’on ne remplace pas un supplice par un autre.» Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.»(6)

La cause algérienne pas importante pour l’avocat Badinter
On l’aura compris, Badinter dit que les pays démocrates ne guillotinent pas ! Il fait, sans le vouloir, vingt-cinq ans après, le procès de la IVe puis de la Ve République qui ont toutes les «qualités» de pays totalitaires qui décident de la vie et de la mort. Il fait sciemment l’amalgame entre le patriote algérien résistant à un ordre injuste et le terroriste qui agit par nihilisme. Cet assaut de mea culpa à travers la nécessité de «remoraliser» la justice est venu trop tard pour les 220 guillotinés algériens. C’est à se demander pourquoi ces belles idées n’ont pas effleuré la conscience de Robert Badinter, vingt ans plus tôt. Pourquoi l’engagement de Monsieur Badinter envers Monsieur Mitterrand a-t-il eu lieu ? Quand il déclare que la peine de mort doit être abolie, il aurait dû refuser d’accepter de porter le texte sachant que le président Mitterrand avait mis à mort 47 résistants algériens.
Pourtant, nombreux furent les avocats qui crurent en la cause de la liberté et de l’indépendance de l’Algérie. Citons Abdessamad Benabdallah, Mourad Oussedik, Jacques Vergès, Michèle Beauvillard, Maurice Courrégé, Jeanine Courrégé, Claudine Nahori, Nicole Rein, Marie-Claude Radziewsky, Jacques Likier et Michel Zavrian. La défense des principaux accusés français sympatisants de la cause algérienne est tenue par Roland Dumas, Maurice Gautherat, Jacques Libertatis et Gisèle Halimi. Où était Robert Badinter quand ces avocats, mettant leurs vies en danger, au nom de la justice, de la liberté, proposèrent à la Fédération de France du FLN leur aide? La Fédération de France a constitué un collectif d’avocats liaison avec les détenus, afin de maintenir ces derniers dans la lutte. Ce collectif d’avocats reste incarné par la figure de Jacques Vergès, le théoricien de la «défense de rupture». Les autres, Maurice Courrégé et Michel Zavrian, Jean-Jacques de Félice et plus tard Robert Dumas, l’avocat Serges Mouroux pour les avocats belges, Mourad Oussedik, Ali Haroun et Aboubeker Belkaïd ont encadré le collectif.

Les causes qui tiennent à cœur à l’avocat Badinter
Défendant aussi sa communauté, et avant de devenir ministre de la Justice, il fit le procès contre le négationniste Robert Faurisson, qui avance que les chambres à gaz n’ont été utilisées que comme instrument d’épouillage et non pour tuer des hommes.
Il est qualifié de «faussaire de l’histoire» par Robert Badinter. Dans un jugement du 6 juin 2017, le tribunal de grande instance de Paris établit qu’écrire que Faurisson est «un menteur professionnel», un «falsificateur» et «un faussaire de l’histoire» est conforme à la vérité. Il sera condamné pour négation de la Shoah. Dans le même ordre, aux débuts de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, Robert Badinter réagit en se disant sur France Inter indigné par la «mise à mort médiatique. En 2012, il prend la défense de l’ex-directeur du FMI sur RTL. Pour autant la cause de la liberté du peuple, il l’a portée quand il a eu à défendre, bien après l’indépendance, la famille de Maurice Audin, mort sous la torture pendant la guerre.

Torture en Algérie : l’exigence de vérité demeure
Ce ne fut pas du goût de la droite : La droite était vent debout contre sa nomination en tant que ministre. «En Allemagne, ils ont la bande à Baader, nous, nous avons la bande à Badinter», s’était ainsi exclamé le général Bigeard, associé aux tortures pratiquées en Algérie. (7) S’agissant de la torture, ses interventions sont toujours décalées, comme la cause des résistants algériens, il s’intéresse sur le tard à la torture et quarante ans après la guerre d’Algérie : «la veille du procès d’Aussarresses pour ‘‘complicité d’apologie de crimes de guerre’’ en 2001, Robert Badinter appelait de ses vœux une ‘‘Commission Vérité’’. Qui n’a jamais vu le jour. (…) Composée de personnalités indépendantes, de magistrats et d’historiens, elle aurait pour mission d’établir en toute clarté et en toute objectivité, après des décennies, la vérité sur les crimes commis par les forces de l’ordre pendant la guerre d’Algérie.(8)

Badinter dans sa dernière interview appelle à juger Poutine
Le 26 avril 2023, face à Léa Salamé, Robert Badinter dépeignait alors un président russe, emporté par l’hubris. «Je pense que nous ne réalisons pas assez, nous Français, qu’il y a une guerre en Europe. Aujourd’hui. À deux heures et quart d’avion de Paris. J’ai connu la guerre, je sais ce qu’est la guerre. Elle est là, elle existe», en faisant référence à la guerre en Ukraine. «Ce que Poutine entendrait s’il comparaissait devant une justice pénale internationale. Mais pour ça, il faut qu’il quitte le pouvoir…»(9)

Badinter et la cause palestinienne
Avec un parti-pris, il fait sciemment la confusion entre antisionisme et antisémitisme. Nous lisons cet extrait où il légitime la création d’Israël comme dette des Nations unies mais s’en lave les mains de dire comment régler le conflit : «Cela a suscité aux Nations unies, nouvellement créées, un puissant mouvement en faveur de la création d’un État juif, comme les Alliés s’y étaient engagés d’ailleurs dès 1914-18. La création d’un État juif en Palestine, qui découle d’une décision des Nations unies, la résolution 181 du 29 novembre 1947, n’a pas été acceptée par tous, et le résultat a été la guerre lancée par les armées des États arabes voisins. Ils envahirent la Palestine, le conflit a tourné à l’avantage des Juifs, on connaît la suite : le conflit israélo-palestinien n’a, en fait, jamais cessé depuis la création de l’État d’Israël. Je ne vais pas discuter ici de la légitimité des droits des uns et des autres, ni de la meilleure solution pour parvenir à la fin de ce conflit. Mais le fait est là. Ce qui est certain, c’est qu’à la faveur du conflit israélo-palestinien, l’antisémitisme s’est à nouveau largement déployé sous la dénomination d’antisionisme. Il faut avoir la lucidité de reconnaître que, sous cette dénomination qui renvoie au sionisme, ce sont bien les Juifs, et les Juifs partout dans le monde, qui sont visés. Et je dirai que l’antisionisme n’est en profondeur rien d’autre que l’expression contemporaine de l’antisémitisme, c’est-à-dire de la haine des Juifs.»(10) Cette contribution qui date de 2017 a été actualisé par l’Unesco le jour de la mort de Robert Badinter. Est-ce à dire que l’Unesco appuie ce texte ? Tout est dit.

Conclusion
Pour nous, Robert Badinter ne manquait pas d’élégance dans ses plaidoiries. C’est aussi un homme qui défend surtout son clan. La Révolution algérienne ne le concernait pas. D’ailleurs, dans sa plaidoirie pour l’abolition de la mort, il a décrit l’usage de la peine de mort depuis 1791 en omettant la Révolution algérienne qui vit la France faire passer de vie à trépas 220 résistants algériens dont une cinquantaine durant Mitterrand qui découvre sur le tard son aversion pour la peine de mort en 1981. Non ! Nous ne pouvons pas dire en conscience, que Monsieur Badinter avait pour sacerdoce la défense des bonnes causes contrairement à la vingtaine d’avocats français qui ont bravé les interdits et se sont portés à la disposition de la Révolution.
Le combat de Robert Badinter contre la peine capitale s’inscrit dans un combat plus large, celui de la lutte pour les droits fondamentaux. On annonce déjà, alors qu’il n’est pas enterré, sa prochaine demeure, le Panthéon ! C’est dire que la mécanique sioniste est bien huilée. On fait dire la demande par un goyim, elle amplifiera au fur et à mesure, et il n’est pas interdit de penser que Badinter sera panthéonisé ! Pour nous Algériens, Gisèle Halimi qui défendait les bonnes causes sans arrière-pensées très jeune et notamment la résistante algérienne Djamila Boupacha méritent mieux cette dignité.
Le narratif occidental de l’omnipotence et l’omniscience des pays occidentaux ne fait plus illusion. Tout est calibré en fonction des intérêts. La seule chose sur laquelle nous sommes d’accord est qu’il n’y a pas de morale. C’est la guerre de tous contre tous et malheur aux vaincus.

Par le Professeur Chems Eddine Chitour
école polytechnique, Alger

1.https://www.lepoint.fr/politique/les-guillotines-de-mitterrand-31-08-2001-56908_20.php 31/08/2001
2.https://ia600307.us.archive.org/27/items/BenjaminStoraEtFrancoisMalyeFrancoisMitterandEtLaGuerreDAlgerie
3.https://www.lesinrocks.com/actu/un-docu-revele-le-role-trouble-de-mitterrand-dans-la-guerre-dalgerie-107825-04-11-2010/
4.https://fr.wikipedia.org/wiki/Ex%C3%A9cutions_en_France
5. Catherine Politi https : // www .20minutes.fr/justice/4075396-20240209-robert-badinter-ancien-ministre-battu-contre-peine-mort-decede
6.https://www.lemonde.fr/culture/video/2024/02/09/le-discours-de-robert-badinter-pour-l-abolition-de-la-peine-de-mort-en-1981_6097730_3247.html#
7.https://www.vanityfair.fr/article/robert-badinter-quand-la-droite-fustigeait-la-nomination-de-lavocat-des-assassins
8.https://www.nouvelobs.com/societe/20131204.OBS8066/torture-en-algerie-l-exigence-de-verite-demeure.html 4 décembre 2013.
9. https://www.lefigaro.fr/international/nous-ne-realisons-pas-assez-nous-francais-qu-il-y-a- une-guerre-en-europe-alertait-robert-badinter-dans-sa-derniere-interview-20240209#
10. https://www.unesco.org/fr/articles/antisemitisme-tirer-les-enseignements-de-lhistoire-1Mise

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur

Source : Le Soir d’Algérie
https://www.lesoirdalgerie.com/contribution/…