Par Luis Britto García

Après avoir racheté les parts de Total et Equinor, le gouvernement bolivarien du Venezuela place l’entreprise Petrocedeno à 100% sous contrôle public et renforce sa politique de nationalisation pétrolière au service du développement social et économique. Les exportations pétrolières remontent lentement, notamment en direction de la zone asiatique.

« Blinken, puis Harris, maintenant Sullivan… les premiers voyages états-uniens de haut niveau en 2021 ont eu lieu en Amérique latine. L’empire se concentre sur le continent, devenu front de bataille existentiel entre son « America is Back » et le « One Belt, One Road » de la Chine » explique William Serafino, historien et politologue vénézuélien qui ajoute : « Après la Guerre d’Indépendance et la construction d’une République souveraine au XIXe siècle, la résistance socialement organisée contre le blocus et l’agression des USA de ces années est l’œuvre collective et historique la plus importante du peuple vénézuélien. »

Occasion d’écouter aussi l’écrivain et historien vénézuélien Britto Garcia.

En 1919, le jeune José Rafael Pocaterra, emprisonné dans la Rotonde pour s’être opposé à la dictature de Juan Vicente Gómez, écrivit deux ouvrages, avec des moignons de crayon, qui sont fondamentaux pour comprendre le Venezuela : Mémoires d’un Vénézuélien en décadence, et le roman prémonitoire La maison de la famille Abila. Ce dernier raconte l’histoire d’une famille possédant de vastes domaines. Les héritiers sont des ahuris, des dépensiers ou des fous, qui laissent la gestion du domaine à un gendre, qui le charge de dettes fictives et d’importations fantômes. Un incendie se déclare dans une hacienda, et le gendre convoque un conseil de famille : « Nous sommes ruinés ! Nous devons tout liquider ! Nous devons nous rendre sans condition aux créanciers ! En secret ! Et sans y penser ! Bien sûr, nous ferons un grand spectacle pour le dissimuler« . Seul le plus jeune frère, Juan de Abila, a pu penser à objecter que le brûlage de quelques palissades de canne ne pouvait pas anéantir une fortune comme celle de la famille. Les proches l’insultent ; le gendre profiteur, l’administrateur, transfère tous les biens à sa succession individuelle pour une bouchée de pain, et c’est à Juancito de lutter contre la ruine dans un lointain troupeau ravagé par la peste équine, dans les marécages duquel jaillit… une mare d’huile noire.

87% de la consommation énergétique mondiale est couverte par les hydrocarbures. Le Venezuela est le pays qui possède les plus grandes réserves prouvées de pétrole, avec 302,81 milliards de barils, soit 25% du total. Il est suivi en ordre décroissant par l’Arabie saoudite, le Canada, l’Iran, l’Irak, le Koweït, les Émirats arabes unis, la Russie, la Libye, le Nigeria, le Kazakhstan, et les États-Unis à une mélancolique 12e place, avec 36,52 milliards de barils, soit un peu plus d’un dixième des réserves du Venezuela, ce qui est insuffisant pour le plus grand consommateur d’énergie fossile au monde. L’OPEP estimait qu’en 2014, il y aurait 1,65 trillion de barils de pétrole sur la planète : si la production de 83 millions de barils par jour était maintenue, il resterait à peine assez de pétrole pour 54 ans. (https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_countries_by_proven_oil_reserves). Les hydrocarbures états-uniens seront épuisés dans une ou deux décennies ; déjà, les coûts de production de la fracturation atteignent plus de quatre-vingts dollars par baril ; pour rester une puissance industrielle, les USA dépendent de notre sous-sol. Celui qui contrôle nos réserves dominera le monde. C’est à nous de décider si ce sera le Venezuela ou le capital transnational auquel nous les cédons.

Jusqu’à présent, les États-Unis ont obtenu les hydrocarbures vitaux en forçant les producteurs à les vendre en échange d’un papier vert sans support : le fameux pétrodollar. La Chine, première puissance mondiale, se prépare à le remplacer par une monnaie adossée à l’or. À cet égard, nous citons à nouveau Víctor Cano, ministre du Développement minier écologique en 2018, qui a déclaré :  » Dans la seule zone 4 de l’Arc minier de l’Orénoque, nous estimons qu’il y a 8 000 tonnes d’or présumé. Nous avons certifié 2 300 tonnes sur ces 8 000 tonnes. Cela ferait de nous la deuxième plus grande réserve d’or au monde, mais nous pourrions être les premiers ». (https://www.conelmazodando.com.ve/venezuela-podria-tener-la-reserva-de-oro-mas-grande-del-planeta)
C’est à nous de décider si la future monnaie mondiale dépend de notre or, ou si nous le cédons en échange de l’espoir de recevoir un quelconque papier vert sans garantie.

Abrégeons le catalogue de nos ressources, en commençant par l’énergie hydroélectrique en Guyane, puis l’eau douce, le fer, l’aluminium, le coltan, le cuivre, le thorium, la biodiversité et la faune marine. Passons au plus grand de tous, la splendide main-d’œuvre de 14.167.281 personnes, soit presque la moitié de la population, dont 6.274.817 sont des travailleurs intellectuels et 2.267.003, soit presque un cinquième, se qualifient comme professionnels, techniciens et travailleurs assimilés. Ils sont la source du travail, la source de toute valeur et richesse. C’est à nous d’utiliser leurs pouvoirs créateurs pour développer le pays, ou de les enterrer dans des zones spéciales où ne s’appliqueront ni les lois ni les tribunaux vénézuéliens, ni les droits du travail ni les droits syndicaux, exploités par des transnationales qui s’empareront de nos ressources sans payer d’impôts.

Le Venezuela n’est pas en faillite : ce sont les puissances qui sont en faillite, elles qui ne peuvent pas survivre sans nos ressources, ni nous les enlever par la force brute, car cela déclencherait un conflit mondial aux conséquences incalculables. Si les bombes ne pleuvent pas sur notre pays, c’est en raison d’un équilibre tendu des menaces entre blocs géopolitiques où se joue l’hégémonie mondiale. Avec une maladresse brutale, le bloc dirigé par les États-Unis, au lieu de parvenir à un accord raisonnable, judicieux et équitable avec le Venezuela, a choisi une politique de confrontation qui ne peut que creuser les distances et les conflits sans solution possible par la force directe, obligeant notre pays à renforcer ses liens avec des blocs concurrents.

Ainsi, les États-Unis ont fait bouger leurs alliances internationales en vain, n’obtenant ni l’isolement diplomatique du Venezuela, ni son expulsion des Nations unies, ni une action décisive ou une condamnation de la communauté internationale à son encontre. Ils ont parrainé un gouvernement fantoche, sans autre résultat qu’une succession de larcins et de détournements de fonds qui ont discrédité à la fois les commanditaires et les parrainés. Ils ont poussé leurs alliés militaires à soutenir des attaques ratées, des infiltrations désordonnées, des mutineries, des invasions farfelues – des politiques qui n’ont pas réussi, et qui ne semblent pas devoir s’intensifier, étant donné la situation interne délicate de la Colombie, dont le gouvernement lutte pour sa propre survie.

Le blocus et les embargos sur les avoirs vénézuéliens à l’étranger ne sont rien d’autre qu’un aveu flagrant de l’échec de toutes les politiques d’agression directe et, comme elles, obligent le Venezuela à se rapprocher toujours plus du groupe dirigé par la Chine, à accroître ses relations commerciales et sa dette publique avec elle. La richesse du Venezuela est suffisante et excédentaire pour plus que rembourser toute dette sans nous livrer à qui que ce soit. La seule certitude est que plus les mesures coercitives du pouvoir du Nord dureront, plus nous nous en éloignerons. Dans cette confrontation, il nous appartient d’être fidèles à un équilibre que nous avons tous le pouvoir de faire pencher en notre faveur.

Source : https://ultimasnoticias.com.ve/noticias/opinion/venezuela-no-esta-en-quiebra-luis-britto-garcia/

Traduction : Thierry Deronne

Source : le blog de Thierry Deronne
https://venezuelainfos.wordpress.com/…