Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’exprime lors d’une conférence de presse, après une réunion à distance des ministres de la Défense de l’OTAN, au siège de l’OTAN à Bruxelles, le jeudi 18 février 2021 (AP Photo/Virginia Mayo, Pool)

Par Peter Symonds

En pleine guerre par procuration menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine, le sommet de l’OTAN qui débute aujourd’hui [mardi] à Madrid traitera surtout de l’avancée de l’alliance militaire atlantique dans la région Asie-Pacifique, contre la Chine. Le programme de l’OTAN découle directement de l’intensification rapide de la confrontation agressive de Washington avec Pékin, que les États-Unis considèrent comme la principale menace à leur domination mondiale.

Lors d’une conférence de presse lundi, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré que le sommet aborderait directement la Chine pour la première fois, et «les défis que Pékin pose à notre sécurité, à nos intérêts et à nos valeurs». Il a ajouté que les membres de l’OTAN «examineraient notre réponse à l’influence croissante de la Russie et de la Chine dans notre voisinage méridional»: c’est-à-dire la région indopacifique, de l’autre côté du globe, à des milliers de kilomètres du membre de l’OTAN le plus proche.

Si le langage de Stoltenberg était prudent, ce qui est proposé est une expansion extraordinaire de la portée de l’OTAN dans le monde entier qui montre clairement que l’escalade de la guerre par procuration entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie n’est pas un conflit limité et épisodique en Europe, mais qu’elle a un caractère mondial. L’expansion massive des forces militaires de l’OTAN qui sera discutée lors du sommet n’est pas seulement dirigée contre la Russie, mais aussi contre la Chine.

En préparation du sommet, Stoltenberg s’est rendu aux États-Unis début juin pour s’entretenir avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le secrétaire à la défense Lloyd Austin. Ce n’est pas surprenant qu’il se fasse l’écho de la propagande de Washington.

Alors même que les droits démocratiques fondamentaux sont vivement attaqués aux États-Unis et en Europe, Stoltenberg, lors d’un forum médiatique organisé par Politico la semaine dernière, a décrit le conflit avec la Russie et la Chine comme une compétition croissante «entre la démocratie et l’autoritarisme», ajoutant que «Moscou et Pékin contestent ouvertement l’ordre international fondé sur des règles». En réalité, les États-Unis cherchent à préserver l’ordre de l’après-Seconde Guerre mondiale, dans lequel ils fixent les règles, par des moyens militaires.

À l’instar de Washington, le chef de l’OTAN a déclaré au forum qu’il était préoccupé «par la montée en puissance de la Chine, par le fait qu’elle investit massivement dans de nouveaux équipements militaires modernes, notamment en augmentant considérablement ses capacités nucléaires, en investissant dans des technologies clés et en essayant également de contrôler les infrastructures critiques en Europe en se rapprochant de nous».

Le sommet de l’OTAN va réviser son concept stratégique, qui est en place depuis 2010 et ne fait aucune mention de la Chine. Le nouveau document, conforme à l’orientation stratégique du Pentagone, sera axé, non seulement sur la «guerre contre le terrorisme», mais aussi, comme l’a déclaré le secrétaire général adjoint de l’OTAN, Mircea Geoană lors d’une conférence à Copenhague le 10 juin, sur la concurrence entre grandes puissances – en particulier avec la Russie et la Chine.

Fait significatif, les dirigeants de quatre pays de la région Asie-Pacifique – l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud – participeront pour la première fois au sommet de l’OTAN. L’Australie, le Japon et la Corée du Sud sont tous des alliés militaires officiels des États-Unis, tandis que l’Australie et le Japon font partie du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité (ou Quad), avec les États-Unis et l’Inde, qui vise la Chine.

Le premier ministre du Parti travailliste australien, Anthony Albanese, arrivé récemment au pouvoir, a immédiatement réitéré, lors de son arrivée à Madrid, le soutien de son gouvernement à la guerre par procuration de l’OTAN. Il s’est dit préoccupé par le fait que la Chine «devient de plus en plus agressive» et se rapproche de la Russie. Il a déclaré que l’Australie accueillerait favorablement une coopération militaire accrue avec les autres membres des «quatre pays de l’Asie-Pacifique», à savoir le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. Une réunion des dirigeants de ces quatre pays est envisagée en marge du sommet.

Depuis qu’il a prêté serment, le mois dernier, le gouvernement travailliste australien s’est engagé dans une activité diplomatique frénétique dans la région Asie-Pacifique, notamment en participant à une réunion des dirigeants de la Quadrilatérale à Tokyo alors qu’il était à peine en fonction et en envoyant la ministre des Affaires étrangères, Penny Wong, dans les États insulaires du Pacifique pour tenter de contrer l’influence de la Chine dans la région. Le nouveau gouvernement a pleinement approuvé le pacte AUKUS avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, dirigé contre la Chine, qui équipera l’Australie de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire.

Dimanche, lors de la réunion des dirigeants du G7, le premier ministre japonais, Fumio Kishida, s’est adressé à la Chine de manière à peine voilée. Il a déclaré qu’un front uni était nécessaire pour éviter que d’autres pays ne tirent les «mauvaises leçons» de la guerre de la Russie en Ukraine. Le Japon s’est joint aux États-Unis et à d’autres alliés pour accuser la Chine de se préparer à envahir Taiwan, dans le but de renforcer leurs liens avec l’île, même s’ils acceptent tous officiellement, en vertu de la politique de la Chine unique, que Taiwan fait partie de la Chine.

Pékin est profondément préoccupé par les efforts agressifs déployés par les États-Unis pour établir des alliances militaires, des partenariats stratégiques et des accords de bases militaires dans toute la région indopacifique, conjointement avec l’OTAN. Lors du sommet des BRICS, qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud la semaine dernière, le président chinois Xi Jinping a appelé à rejeter la «mentalité de la guerre froide» et a mis en garde contre le type de sanctions unilatérales paralysantes imposées par les États-Unis et leurs alliés à la Russie.

Jeudi dernier, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a explicitement accusé l’OTAN de s’engager dans un effort «très dangereux» pour créer des blocs hostiles en Asie. «L’OTAN a déjà perturbé la stabilité en Europe. Elle ne devrait pas essayer de faire de même en Asie-Pacifique et dans le monde entier», a-t-il déclaré.

L’évolution de l’OTAN vers une confrontation avec la Chine et la Russie est liée à la forte escalade des tensions géopolitiques associées à la pandémie de COVID-19 et à l’instabilité économique et financière grandissante. Auparavant, les puissances européennes cherchaient à équilibrer leurs liens économiques avec la Chine par leur alliance militaire avec les États-Unis. Désormais, elles ont rejoint la guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine, tout en se préparant à jouer un rôle militaire bien plus important dans l’Indo-Pacifique.

En 2019, la Chine a été mentionnée pour la première fois dans un sommet de l’OTAN, dans une phrase qui déclare que Pékin présentait «à la fois des opportunités et des défis». En 2021, cependant, un communiqué conjoint de l’OTAN a adopté une approche nettement différente, accusant la Chine de «défis systémiques pour l’ordre international fondé sur des règles».

L’année dernière, la Grande-Bretagne a rejoint l’alliance AUKUS et a commencé à déployer des navires de guerre dans la mer de Chine méridionale, au large de la Chine continentale. La France et l’Allemagne ont également dépêché des navires de guerre dans ces eaux stratégiques contestées.

Le sommet de l’OTAN marque un tournant décisif dans l’accélération de la guerre par procuration avec la Russie et l’implication des alliés militaires des États-Unis en Europe dans la confrontation agressive de Washington avec la Chine. Cela pose le danger bien réel d’une guerre mondiale entre des puissances dotées de l’arme nucléaire.

(Article paru en anglais le 28 juin 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

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