Par René Naba

Yémen AN VII : Le raid punitif des Houthistes contre Abou Dhabi, un tournant dans la guerre du Yémen.

Par René Naba

  1. Un dispositif de défense inopérant.
  2. Arabie Saoudite et Abou Dhabi, désormais sous les tirs de la balistique rudimentaire houthiste.
  3. L’opposition pétro monarchique de la Péninsule arabique fédérée sous la houlette du Hezbollah libanais.
  4. La France, puissance d’équilibre mais partenaire d’Abou Dhabi, un pays en perte de repère. En perte de crédit.

Un dispositif de défense inopérant. La triangulation sécuritaire (France- États Unis, mercenaires) caduque.

La guerre du Yémen a pris une nouvelle dimension avec le raid punitif opéré par les Houthistes contre Abou Dhabi pour châtier cet émirat d’avoir trahi ses engagements de se dégager du conflit, alors que l’agression pétro monarchique entrait dans sa 7eme année et que les États Unis engageaient leurs troupes au sol en vue d’empêcher une défaite de leurs alliés, désastreuse en terme d’image pour leur prestige, quatre mois après leur débandade de Kaboul.

Le raid houthiste, le 17 janvier 2022, a visé des installations pétrolières, près des réservoirs de stockage d’ADNOC, la compagnie pétrolière d’Abou Dhabi, la capitale de la fédération du Golfe, faisant trois morts, deux ressortissants indiens et un Pakistanais. Un «incendie mineur» s’est produit dans «la nouvelle zone de construction de l’aéroport international d’Abou Dhabi».

Des incendies causés par des «drones suicides» piégés; indice patent des progrès notables enregistrés par les Houthistes dans leur arsenal balistique.

Comparable par son impact psychologique à l’attaque contre les installations du géant pétrolier saoudien Aramco à Abqaiq et Khuraiss, le 19 septembre 2019, le raid contre Abou Dhabi frappe de caducité la triangulation sécuritaire de l’Émirat (États Unis, France, Israël).

Ce raid acte de manière spectaculaire la jonction du champ des représailles des Houthistes aux agresseurs du Yémen, l’Arabie saoudite et Abou Dhabi, désormais sous les tirs de leur balistique rudimentaire.

Situé à quelques encablures du QG de la V me flotte américaine, basée à Manama avec compétence sur une zone s’étendant du Golfe persique- à l’Océan indien, l’Émirat abrite une base aérienne française, la base Al Dhafra, à 30 km au sud d’ Abou Dabi, à 225 km des côtes iraniennes, de surcroît la plus grande base aérienne du pays, sur laquelle sont stationnés des appareils de la force aérienne des Émirats arabes unis, des États-Unis et de la France.

Si elle a confié la protection de ses champs pétrolifères à la firme israélienne AGT, qui y a édifié un barrage électronique dans la région frontalière entre les Émirats Arabes Unis et le Sultanat d’Oman afin de prévenir les infiltrations hostiles, Abou Dhabi dispose surtout, –dernier et non le moindre de ses outils–, une académie chargée de former des mercenaires à la guerre contre révolutionnaire.

Eric Prince, Academia et «The Good Harbour Security Risk Management»

Ce micro état de 67.340 m2 pour 1,145 millions d’habitants se classe parmi les plus importants clients de l‘armement. Il héberge Eric Prince, le fondateur de la compagnie militaire privée Blackwater, qui y a aménagé un important centre de formation des ressortissants du Golfe, désireux de s’entraîner aux opérations de para-commandos.

Succursale locale d’ACADEMIA, le nouveau nom de Blackwater, ce centre situé à proximité du Port Zayed a été conçu sur le modèle du Camp Peary de la CIA en Virginie.
Le projet «The Good Harbour Security Risk Management» a pour objectif de former un bataillon de commandos de haute qualification à la disposition du prince héritier d’Abou Dhabi. L’Emirat satisfait ses pulsions bellicistes par l’apport massif de mercenaires d’Afrique du Sud et d’Amérique latine et la formation sur place de cadres locaux.

Un dispositif de défense ni inviolable, ni invulnérable. L’attaque des Houthistes a démontré l’inanité d’un tel dispositif dans une guerre asymétrique, de la même façon que l’armement atomique français a démontré son inutilité dans la guerre hybride que la France mène au Sahel contre les groupements terroristes islamiques.

La jonglerie diplomatique d’Abou Dhabi. Une gesticulation d’un prince en plein désarroi panique.

Sceptique sur la valeur combative de ses troupes, à tout le moins précautionneux, le prince héritier d’Abou Dhabi s’était livré à une jonglerie diplomatique dont la pertinence s’est révélée difficilement explicable pour un observateur avisé. Une gesticulation anarchique d’un prince en plein désarroi panique.

S’inspirant de la doctrine du président turc Erdogan «zéro problème avec son environnement», Mohamad Ben Zayed a dépêché des émissaires dans la totalité des grandes capitales du Moyen orient: Téhéran et Damas, les alliés privilégiés des Houthistes, de même qu’à Ankara, le parrain des Frères Musulmans, et utile contrepoids à l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, parallèlement à la normalisation de ses relations avec Israël.

Abou Dhabi avait même conclu un engagement tacite avec les Houthistes pour se dégager militairement du Nord-Yémen pour se concentrer exclusivement sur le Sud-Yémen et les îles yéménites, notamment l’île stratégique de Socotra, en coopération avec Israël, le nouveau venu sur l’échiquier du secteur golfe persique-péninsule arabique, mais très malvenu par les Houthistes et par ricochet par l’Iran.

Cherchant, semble-t-il, à amadouer le courroux du Hezbollah, à l’origine de l’encadrement balistique des Houthistes, Abou Dhabi a démis de ses fonctions l’ambassadeur des Émirats Arabes Unis au Liban, dont les services avaient proposé de financer un groupe de personnalités chiites en vue de faire contrepoids à la formation politico militaire chiite libanaise.

La fédération de l’opposition pétro monarchique de la Péninsule arabique sous la houlette du Hezbollah.

Mais, en réplique au blocus ordonné par l’Arabie Saoudite et Abou Dhabi, le Hezbollah libanais a réussi à fédérer, sous sa houlette, l’opposition pétro monarchique de la Péninsusle arabique, dans un démarche de défi destinée à augmenter la pression sur les deux chefs de file de la contre-révolution arabe.

La réunion des opposants du Golfe s’est tenue, le 20 janvier 2022, dans la banlieue sud de Beyrouth, le fief de la formation politico militaire chiite, à la date anniversaire de l’exécution par Riyad d’un dignitaire chiite saoudien, Cheikh Nimr Al Nimr.

Abou Dhabi et non Dubaï

Le raid houstfiste a visé Abou Dhabi, la plus importante principauté des Émirats arabes Unis, et non la fantasque Dubaï, en ce que le prince héritier Mohamad Ben Zayed se veut comme le chef de file de la contre-révolution arabe, en tandem avec son homologue saoudien Mohamad Ben Salmane. Il se vit comme le génie militaire incontestable de la confédération tribale de l’ancienne Côte des pirates.

La prospérité d’Abou Dhabi repose sur la triptyque: Pétrole, investissement étranger et stabilité. La multiplication des attaques contre les installations pétrolières mettrait en cause la stabilité du pays, entraînant corrélativement une contraction des investissements et partant la prospérité de l’Émirat.

Dubaï, en contre champs, a fait profil bas dans ce conflit pour trois raisons :

  • Les principaux postes de commande de la Fédération des pétro monarchies du golfe sont aux mains de la dynastie Ben Zayed, qui gouverne Abou Dhabi, tant le chef de la fédération malade, que le prince héritier et ministre de la défense Mohamad Ben Zayd (MBZ), que le ministre des Affaires étrangères, frère du prince héritie, que que le conseiller à la sécurité nationale, M. Tahnoun.
  • L’occupation de souverain dans une longue et coûteuse procédure de divorce avec son épouse, sœur du Roi de Jordanie.
    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/23/l-emir-de-dubai-la-princesse-de-jordanie-et-le-divorce-a-650-millions-d-euros_6107082_3210.html
  • Le fait que Dubaï, la mercantile, fait office de poumon du commerce régional de l’Iran, qui permet à la République Islamique d’atténuer les rigueurs du blocus américain, mis en place depuis 40 ans. Les échanges entre Dubaï et Téhéran se sont élevées en 2021 à 14 milliards de dollars. Quiconque a pu faire escale au gigantesque aéroport international de Dubaï pa pu constater la fréquence des vols quotidiens Dubaï à destination des villes iraniennes, notamment Bandar Abbas, Abadan et Téhéran.

Le raid contre Abou Dhabi a été qualifié par le porte-parole houthiste de «châtiment» en ce qu’il violait les engagements tacites de l’Émirat de se désengager du conflit du Yémen. Abou Dhabi avait, en effet, amorcé un retrait de ses troupes en 2019, alors qu’un vif conflit opposait les deux princes héritiers Mohamad Ben Zayed et Mohamad Ben Salmane, un conflit qui s’est manifesté, en juin 2021 au sommet de l’OPEP.

L’engagement au sol des forces spéciales américaines

Le retour sur le champ de bataille d’Abou Dhabi s’est fait, semble-t-il, sur l’insistance conjointe des États Unis et de l’Arabie saoudite, à l’arrière plan des négociations irano-saoudiennes en vue de la stabilisation des relations des deux chefs de file du Monde musulman et des négociations Vienne sur le nucléaire iranien. Un revers des alliés des Américains auraient considérablement affaibli leurs positions de négociations, tant vis à vis de l’Iran que de ses Houthistes.

Pour prévenir une nouvelle déconfiture de leur poulain saoudien, qui serait désastreuse pour leur prestige régional, les Américains ont débarqué leur troupes de choc, aménageant une piste d’atterrissage pour gros cargos à proximité du champ de bataille, en parallèle à l’entrée en action du «Liwa al Amalika, la «brigade des géants» du général Tareq Saleh, neveu de l’ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh, rallié aux Houthistes et assassiné de ce fait. Dans le prolongement de l’engagement américain, les Britanniques ont aménage un centre d’espionnage électronique pour décrypter les communications des Houthistes.

Cette intervention conjointe est destinée à compenser les revers successifs des traditionnels «chairs à canon» des pétromonarchies du Golfe: Le parti Al Islah, la branche yéménite des Frères Musulmans et Al Qaida pour la Péninsule Arabique (AQPA), –deux formations pourtant inscrites sur la liste noire du terrorisme à l’initiative de l’Arabie saoudite–, complètement discréditées désormais tant par leur revers militaires que par leur leur stratégique erratique.

Raids de représailles sans discernement de l’aviation saoudienne: 300 morts yéménites en deux jours.

Ivre de colère devant cette humiliation, l’aviation saoudienne s’est déchaînée contre le Yémen. En un vieux remake des bombardements massifs de l’aviation américaine contre Hanoi au plus fort de la guerre du Vietnam, l’Arabie saoudite a multiplié les raids sans discernement. Près de 350 yéménites ont été tués vendredi 22 et samedi 23 janvier 2022 dans des raids de la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite dans la région stratégique de Ma’rib, assiégée depuis septembre 2021 par les Houthistes..

Number of killed & wounded detainees in Saudi/UAE airstrikes yesterday climbs to 347.

MSF counted at least 82 dead & more than 265 wounded in the airstrike.

France 24 parle de rebelles plutôt que de prisonniers, sans doute pour atténuer la responsabilité de la coalition monarchique et de lui épargner les accusations de crime contre l’humanité.

La France, une puissance d’équilibre, en perte de repères. En perte de crédit.

En route pour le Golfe, en décembre 2021, le président Emmanuel Macron avait théorisé la nouvelle doctrine stratégique de la France, propulsant son pays au rang de «puissance d’équilibre». Mais en s’engageant à livrer 80 rafales à Abou Dhabi, un pays agresseur, le balnéaire du Touquet confère une prime à l’agression. Une prime aux agresseurs du plus pauvre pays arabe par les plus riches pays arabes.

Dans cette optique, sa «puissance d’équilibre» vise en fait à équilibrer – à compenser en fait– l’islamophobie virulente d’une fraction de la population française, par une quête désespérée des royalties du Golfe, pour combler le déficit abyssal des comptes publics français, de l’ordre de 118 pour cent du PIB. Drôle d’équilibre pour une drôle de compensation de la «Patrie des droits de l’Homme».

Sous Jupiter de France, la «politique arabe de la France» est désormais un champ de ruines, marquée par un alignement inconditionnel et absolu du Roi dollar.

Épilogue

Les pétro monarchiques, qui ont financé des guerres de déstabilisation aux quatre coins de Monde musulman pour le compte de leur parrain américain, subissaient au Yémen leur baptême de feu avec un double objectif :

  • Pour le prince héritier saoudien en vue de se conférer une légitimité à sa nomination au poste de ministre de la défense et, dans l’hypothèse d’une victoire facile, de déblayer la voie à son accession au trône hors des règles de la dévolution dynastique du pouvoir wahhabite.
  • Pour le Prince héritier abou dhabien d’assouvir sa soif de reconnaissance internationale en tant que stratège hors pair.

Alors que la guerre du Yémen s’engage dans sa 7eme année, l’Iran apparaît désormais comme un acteur incontournable du conflit, du fait des piètres performances de ses rivaux et des exploits de ses poulains houthistes. Un schéma identique à l’Irak, où l’Iran s’est imposée par effet d’aubaine de la déconfiture américaine.

Vaincus à Ma’rib, les combattants d’Al Qaida ont cherché à se dégager de la ville assiégée, pour d’autres contrées musulmanes, vers la Turquie. Le parti Al Islah est, lui, complètement hors jeu au propre comme au figuré.

Les potentats du Golfe sont des impotents. De peu de poids face à des guerriers ascétiques et furtifs. Piètre stratège, mais mégalocéphalite à l’extrême.

Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien).

Illustration

La ville de Sanaa a été la cible de frappes aériennes.
AFP

Source : Madaniya
https://www.madaniya.info/…

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