Par Karine Bechet-Golovko

Alors que le ton ne cesse de se durcir entre les instances européennes, quelles qu’elles soient, et la Russie, ce qui est finalement la reconnaissance de la montée en puissance de la Russie sur la scène internationale et d’une certaine divergence avec le monde global, la question de l’intérêt de la participation de la Russie au Conseil de l’Europe divise les élites russes de manière assez habituelle entre globalistes et étatistes autour de la stratégie à adopter : participer pour participer ou imposer sa vision stratégique.

Le représentant de la Russie au Conseil de l’Europe semble exaspéré par les papiers soulignant la possible sortie prochaine de la Russie de cette institution, ce qui lui « complique » le travail, alors qu selon lui, rien de tel n’est prévu. En effet, il voit une coopération possible dans des domaines Ô combien fondamentaux pour la stratégie globaliste de la Russie, comme l’IA, la biotechnologie ou l’écologie. Il aurait pu ajouter les migrants et les LGBT pour être complet, car il est certain que, sur ces questions, une coopération profonde et totale avec le monde global est attendue. Mais c’est … pour plus tard ?

D’autres partagent cette vision globaliste à long terme. Alors que des pressions sans précédent sont exercées sur la Russie à propos de Navalny, pour faire plier le pays, que la CEDH viole les principes juridiques de séparation des pouvoirs et de souveraineté des Etats (voir notre texte), le Procureur général de la Fédération de Russie, très content de sa visite au Conseil de l’Europe et de sa rencontre avec le représentant des droits de l’homme, promet un renforcement de la coopération – dans le cadre du programme que cette institution tente de lancer en Russie auprès des Universités HELP. C’est très simple et l’appellation ne laisse placer aucun doute, des « spécialistes » vont expliquer aux pauvres universitaires russes, donc incompétents, lors de « training » ce que sont les principes juridiques européens. Avec la dégradation du niveau des décisions rendues par la CEDH en raison de sa politisation grandissante et de son idéologisation, ça promet en effet d’être intéressant … Une sorte de retour colonial des années 90, qui semble pleinement satisfaire le Procureur général.

Heureusement, l’on trouve aussi des personnes, qui ont une vision stratégique. C’est notamment le cas du président de la délégation russe au Conseil de l’Europe, Piotr Tolstoï, qui estime que la Russie ne doit pas rester à n’importe quel prix dans cette institution et qu’elle ne peut accepter une politique la rabaissant, notamment la mise en oeuvre de la procédure de sanction tripartite. Dans ce contexte particulièrement conflictuel, de diabolisation de la Russie, il est fondamental pour elle de déterminer ce qu’elle attend de cette institution et quels sont ses alliés. Surtout que la place de la Russie se renforçant sur la scène internationale, les relations ne vont pas s’améliorer. Il est vrai que si l’APCE s’est abaissée au point d’être l’otage consentant des représentations de la délégation ukrainienne, qu’elle en assume les conséquences.

L’on retrouve ici, comme ailleurs, cette ligne de partage en Russie entre les globalistes et les étatistes : peu importe les intérêts nationaux, si l’on peut collaborer, évidemment, dans les domaines sacrés de l’IA et de l’écologie vs. l’importance de déterminer une vision stratégique d’ensemble, car les intérêts locaux ne peuvent avoir de sens que s’ils ne remettent pas en cause l’intérêt général du pays.

Et la question de la participation de la Russie dans le Conseil de l’Europe se pose rationnellement à plusieurs titres :

  • La participation n’est pas un but en soi, il faut qu’elle permette de réaliser les intérêts nationaux, sinon elle perd son sens. Or, si la Russie se retrouve encore une fois privée de ses droits et sanctionnée, quel est l’intérêt d’une participation humiliante ? 
  • Ensuite, en dehors du Conseil de l’Europe, d’autres plateformes globalistes permettent de continuer le même discours, qu’il s’agisse par exemple de l’OSCE ou des nombreux organes de l’ONU. L’apport spécifique du Conseil de l’Europe est très limité.
  • Enfin, c’est un rapport de force à deux niveaux : les pays européens peuvent parfaitement collaborer de manière individuelle avec la Russie, qui par son départ remettrait fortement en cause l’intérêt de l’existence du Conseil de l’Europe. 

Mais cela est une décision stratégique, qui demande une pacification, au moins temporaire, de cet éternel combat idéologique interne à la Russie, avant entre occidentalistes et slavistes, maintenant entre globalistes et étatistes.

Source : Russie politics
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