Par Luc Michel

# AFRIQUE.MEDIA.LIVRES/ REVUE DE PRESSE/ ‘L’AFRIQUE DEPOSSEDEE’, RACONTEEE PAR L’AMERICAINE D’ORIGINE CAMEROUNAISE IMBOLO MBUE

2021 03 24/

* PUISSIONS-NOUS VIVRE LONGTEMPS
par Imbolo Mbue
Traduit de l’anglais par Catherine Gibert
Éditions Belfond

Revue de Presse :
L’AFRIQUE DEPOSSEDEE, RACONTEEE PAR L’AMERICAINE D’ORIGINE CAMEROUNAISE IMBOLO MBUE (FRANCE24)

Originaire du Cameroun anglophone et aujourd’hui citoyenne américaine, Imbolo Mbue s’est fait connaître en 2016 en publiant son premier roman, Voici venir les rêveurs, devenu un best-seller mondial. Son nouveau roman, Puissions-nous vivre longtemps, est un récit épique sur l’Afrique postcoloniale prise au piège de ses matières premières et de la corruption. L’espoir est incarné dans ces pages par la jeune génération, qui se montre plus militante que ses aînés et aussi plus consciente des enjeux écologiques du développement. Venue aux États-Unis à la fin des années 1990 pour faire carrière dans la finance, Imbolo Mbue s’est lancée dans l’écriture à la suite de sa découverte des œuvres de Toni Morrison et de Gabriel Garcia Marquez, devenus ses modèles à jamais indépassables.   

Il y a cinq ans, l’Américaine d’origine camerounaise Imbolo Mbue faisait irruption sur la scène littéraire en publiant Voici venir les rêveurs, un premier roman très réussi sur l’immigration et le lent dévoiement du rêve américain. L’écrivaine revient cette année sur le devant de la scène avec un nouveau roman dont l’action se déroule dans l’Afrique qu’elle a quittée il y a 25 ans, mais dont le devenir lui tient toujours à cœur.

Puissions-nous vivre longtemps est une épopée polyphonique sur l’Afrique qui vit, l’Afrique qui meurt. Dans les pages de ce beau roman construit comme une tragédie grecque, le continent est ressuscité par sa jeunesse en révolte contre les conglomérats occidentaux qui se sont accaparé des richesses des pays africains. Ils ont pour complices des satrapes locaux nommés Mobutu, Bongo, mais aussi Paul Biya, le dictateur à la tête du Cameroun natal de l’auteure.

Expliquant les origines de son nouveau roman, Imbolo Mbue raconte que ce projet, elle le porte depuis longtemps. Elle en avait écrit les premières pages en 2002, inspirée par sa lecture du Chant de Salomon de Toni Morrison. Admiratrice inconditionnelle du Prix Nobel de littérature américain, elle aime répéter que « si Dieu pouvait écrire, il écrirait comme Toni Morrison ». « Il y avait quelque chose de divin dans sa façon d’écrire », s’extasie la romancière, sans oublier de rappeler sa dette envers cette grande dame des lettres américaines : « Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je pourrais faire de l’écriture mon métier. C’est Toni Morrison qui m’a permis de sauter le pas. J’ai découvert, en lisant son roman Le Chant de Salomon, combien l’expérience afro-américaine était fondamentale au devenir américain. Cette lecture m’a encouragé à m’emparer, à mon tour, du vécu africain, afin d’expliquer ce que « être Africain » voulait dire et de raconter cette suite d’épreuves douloureuses qu’ont été, pour nous les Africains, la colonisation, la dictature et aujourd’hui la mondialisation dont notre continent ne connaît que les ravages. »

COSMOPOLITES

Originaire de la petite ville de Limbe, au Cameroun, Imbolo Mbue fait partie de la nouvelle génération d’écrivains africains qui ont émergé à partir des années 1990 et qui ont progressivement pris le relais des Chinua Achebe, Wole Soyinka, Mongo Beti, Ngugi wa Thiong’o, Ayi Kwei Armah, les monstres sacrés des lettres africaines du XXe siècle. Ces auteurs de la nouvelle génération, qui sont en train de renouveler l’écriture africaine, sont de véritables cosmopolites, partageant leur vie entre l’Afrique et les grandes métropoles occidentales où ils se sont installés au gré de leurs errances et des opportunités de travail.

Exilée de son pays, Imbolo Mbue vit pour sa part à New York, où elle est arrivée en 1998, à l’âge de 16 ans. Elle a fait des études de commerce et de gestion à l’université Rutgers, dans le New Jersey, mais s’est tournée vers l’écriture lorsque la société des médias qui l’employait a fait faillite après la crise des subprimes en 2008.

Puisant sa matière dans les turbulences de la récession qui a suivi, Mbue a publié en 2016 son premier roman Voici venir les rêveurs, qui raconte l’effritement du rêve américain à travers les destins liés d’une famille blanche et d’une famille d’immigrants camerounais. À travers un récit classique des rêves et des déceptions des migrants piégés entre deux mondes, ce roman explore aussi le mythe américain du « self-made man », fragilisé par la dérive des valeurs morales et humanistes sur lesquelles les États-Unis ont été fondés. Ce livre pour lequel le plus grand éditeur américain, la Random House, avait versé un à-valoir d’un million de dollars, inédit pour un premier roman, a été un best-seller, mondialement acclamé. Il a surtout révélé le formidable talent de conteuse de son auteure et son écriture toujours au plus près du réel.

HOMMAGE AUX REVOLUTIONNAIRES AFRICAINS

Ainsi, on comprend aisément pourquoi le deuxième roman, qui vient de paraître, sous la plume d’Imbolo Mbue, était particulièrement attendu. Avec Puissions-nous vivre longtemps, nous changeons de continent. C’est l’Afrique qui est, cette fois, au premier plan, l’Afrique postcoloniale où l’auteure a grandi, témoin de moult frustrations et de révoltes. « Ce livre est un hommage aux révolutionnaires africains tels que Thomas Sankara, Patrice Lumumba ou encore le Camerounais Ruben Um Nyobé. Les récits de leurs vies racontant leurs révoltes et leurs sacrifices m’ont toujours fascinée », affirme la romancière.

Le village fictionnel de Kosawa, quelque part en Afrique de l’Ouest, où Mbue a campé son roman, est secoué lui aussi par des révoltes populaires. La colère gronde à Kosawa contre une entreprise pétrolière américaine qui pollue impunément les terres du village et ses cours d’eau, dans sa recherche du précieux or noir. Kosawa est la métaphore ici d’un continent africain dépossédé de sa souveraineté politique et économique.

La révolte des habitants vise aussi le gouvernement, en particulier le dictateur qui a bradé les terres du village. L’homme n’est pas nommé, mais son « chapeau en peau de léopard incliné sur la droite » n’est pas sans rappeler un certain maréchal zaïrois qui a régné sur son pays d’une main de fer des décennies durant. On pense aussi au dictateur nigérian qui, dans les années 1990, fit pendre haut et court l’activiste Ken Saro-Wiwa qui était en guerre contre la multinationale Shell.

 « Il n’y a pas un seul thème, mais une foultitude de thèmes qui s’entrecroisent dans ces pages, explique l’auteure. Au cœur de ce roman, il y a la lutte acharnée que livrent les protagonistes contre les pollueurs de leurs terres. Il se trouve que le village où se déroule l’action se situe dans un pays dirigé par un dictateur. Les habitants doivent également composer avec le lourd héritage de la colonisation. La dictature est le prolongement de la domination coloniale. Tout comme l’est la mondialisation, incarnée ici par une multinationale américaine, qui exploite les ressources pétrolières du pays sans se soucier de la santé des populations et de l’environnement. »

ENGAGEMENT ET EMPATHIE

Le roman s’ouvre sur les lamentations d’un chœur villageois, comme dans le théâtre antique. C’est à travers une dialectique féconde entre ce chœur narrateur et les protagonistes du mouvement de résistance de Kosawa qu’évolue l’action de ce récit. À travers une alternance de voix, évocatrices des horreurs et des faillites du présent, se dessine le chemin escarpé vers un avenir prometteur.

La grande réussite d’Imbolo Mbue est aussi d’avoir su livrer, avec ce second roman, un récit à la fois nostalgique et militant. Son opus s’inscrit dans la lignée des grands romans engagés et puissants dont l’Afrique littéraire a le secret, mais son écriture se caractérise aussi par une sensibilité touchante, une empathie profonde pour les personnages et les causes perdues. « J’écris avec mon cœur », confie la romancière, avant de poursuivre : « Lorsque j’étais enfant, les injustices me tenaient éveillée la nuit. Cela ne signifie aucunement que je vais dire aujourd’hui aux gens comment ils doivent se comporter. Il me semble que ma mission, en tant qu’écrivain consiste simplement à porter un témoignage, rapporter ce que j’ai vu et entendu, ce qui a retenu mon attention ou ce qui m’a choquée. Il faut pouvoir tout inscrire sur la page blanche, tout raconter et ensuite laisser aux lecteurs la possibilité de réagir. Certes, c’est formidable d’être un écrivain engagé, mais moi j’attache plus d’importance à marquer mes récits de l’empreinte de mon cœur. »

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