Manifestants à Tel Aviv samedi dernier contre les projets du nouveau gouvernement visant à affaiblir le système judiciaire. Photo : Corinna Kern/Reuters

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 9/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En fin de compte, c’est une guerre de classe. La lutte pour la démocratie sert de toile de fond, de manteau respectable en termes de principe et d’idéologie. Mais la véritable bataille est interclasses et interculturelle. La guerre tourne supposément autour de la nature du régime en Israël, entre deux camps qui prétendent être les vrais démocrates. Aucun d’eux ne l’est. Les partisans du coup d’État constitutionnel prétendent qu’il mènera à la démocratie, qui à leurs yeux est la tyrannie de la majorité (qui n’est pas la démocratie).

Ses opposants affirment avec la même passion que ce plan détruira la démocratie, même si celle-ci ne peut absolument pas exister dans un État d’apartheid. Aucun des deux camps ne compte de véritables démocrates. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui est certainement aussi motivé par sa colère contre le système judiciaire et sa tentative d’échapper à son procès, le ministre de la Justice Yariv Levin et Simcha Rothman, président de la commission de la Constitution, des lois et de la justice de la Knesset, ne sont pas des démocrates, ce sont des ennemis de la démocratie.

Mais les organisateurs de la manifestation de protestation ironique du Shabbat à Efrat ne sont pas non plus des démocrates. Le changement de régime proposé est un désastre, il annonce le fascisme, mais la guerre contre ce dernier ne concerne pas la démocratie, vu que la plupart de ceux qui la mènent ne sont pas des démocrates. Un démocrate se battrait pour la démocratie pour tous dans son pays. La plupart des héros de l’opposition actuelle ne se sont jamais intéressés à l’état de la démocratie à une heure de route de chez eux, c’est pourquoi il est difficile de les considérer comme des démocrates.

Ceux qui sont en train de provoquer le coup d’État ne sont certainement pas intéressés par la démocratie. Pour eux, ce n’est qu’un moyen de combattre l’ordre ancien, de punir et de se venger des classes et de la culture qui ont déterminé la conduite d’Israël depuis sa création. La guerre actuelle est donc menée pour quelque chose de plus profond que le régime : l’ordre social.

Les opposants au coup d’État du régime sont l’ancienne élite, même si cela ne sonne pas bien. Les enseignants, les architectes, les psychiatres, les généraux, les écologistes, les gens de la haute technologie, les économistes, les juristes et, bien sûr, Aharon Barak [ancien président de la Cour suprême de 1995 à 2006, NdT] et Ehud Barak. Ils sont tous issus d’une classe très spécifique de la société israélienne. En face d’eux se dresse la nouvelle élite, qui tente de se frayer brutalement un chemin vers le centre de la scène, après de longues années au sein d’un gouvernement qui n’y est pas parvenu.

C’est pour cela qu’ils se battent, pour faire reconnaître qu’ils sont une élite. Ils veulent une clause de dérogation judiciaire et une composition différente pour le comité de nomination des juges afin que ce soit eux qui décident qui seront les juges, afin que les juges soient comme eux, à leur image. Au passage, ils veulent éliminer tout contrôle juridique du gouvernement – un coup mortel pour la démocratie, mais cela est également dû à ce qu’ils considèrent comme la composition déformée de la Cour.

Si l’avocat Zion Amir était le président de la Cour suprême, il est douteux qu’ils s’attaquent au contrôle constitutionnel ou qu’ils modifient la composition du comité de nomination des juges. Les opposants ne veulent pas changer la composition du comité pour la même raison : Ils veulent que les juges continuent à être à leur image.

Peu de gens savent si la présidente de la Cour suprême Esther Hayut est une juriste importante et si elle est vraiment meilleure qu’un candidat que les politiciens de droite parachuteraient. Mais elle est l’une des nôtres. Peu importe que la Cour ait trahi son rôle pendant des années et n’ait pas surveillé les autorités qui ont commis des crimes de guerre. D’autre part, personne n’a menacé de déclencher une guerre civile, ni d’utiliser des armes à feu.

La guerre de classe est menée par des personnes qui sont également issues de l’ancienne élite. Netanyahou, Levin et Rothman n’ont pas grandi à Hatzor Haglilit [ville de Haute-Galilée habitée par des mizrahim, NdT], mais ils ont réussi à être considérés comme la voix fidèle et authentique des classes inférieures. Vous ne les convaincrez pas qu’ils ont tort. Leur amour pour Netanyahou n’est pas quelque chose qui peut être facilement changé. Il est beaucoup plus facile de lutter contre le coup d’État légal si nous acceptons les courants profonds qui le motivent.

La moitié d’Israël se sent exclue. Quelqu’un a réussi à les convaincre que la réforme est l’espoir d’un changement de son statut, que la nouvelle Knesset d’Israël, assemblage assez embarrassant de dignitaires, est sa représentante, et qu’il faut lui donner tous les pouvoirs : que c’est ça la démocratie. Il n’y a pas de mensonge plus dangereux, mais pour pouvoir le neutraliser, il faut commencer par comprendre ses motivations.

Source : TLAXCALA
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