Des personnes retirent leurs meubles et appareils ménagers d’un bâtiment effondré à la suite du récent séisme dévastateur, dans la ville de Jinderis, dans la province d’Alep, en Syrie, mardi  14  février 2023.
[AP Photo/Ghaith Alsayed]

Par Bill Van Auken

Le bilan officiel du séisme catastrophique de la semaine dernière s’élève en Syrie à près de 6.000  morts et les nombreux morts qui gisent encore sous les décombres n’ont pas encore été recensés. Les Nations unies estiment à 5,3  millions les Syriens sans abri. Nombre d’entre eux étaient déjà déplacés à l’intérieur du pays par la guerre de changement de régime de 11  ans, orchestrée par les États-Unis, qui a dévasté le pays et coûté la vie à plus de 300.000  civils.

Les responsables de l’ONU ont admis que la part du lion de l’aide internationale était allée à la Turquie, et qu’on avait privé la Syrie d’assistance. Le peuple syrien, « se sent à juste titre abandonné. Il cherche une aide internationale qui n’est pas arrivée», a récemment, déclaré Martin Griffiths, sous-secrétaire général aux Affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence aux Nations unies.

Même avant le tremblement de terre, près de 90  pour cent de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Environ 14,6  millions de personnes – soit près de 70  pour cent de la population – avaient besoin d’une aide humanitaire. Parmi eux, 12  millions subissaient l’insécurité alimentaire dû à la flambée des prix et à la baisse des approvisionnements.

La population n’avait pas non plus accès à l’électricité pendant plus de deux heures par jour, tandis que la grande majorité des foyers n’étaient pas chauffés.

Ces conditions sont dues en grande partie à un régime de sanctions américaines unilatérales qui paralysent le pays en vertu de la ‘Loi Cesar’ qui impose des sanctions sévères à tout pays ou institution financière étrangère ou toute autre entité qui ose avoir affaire avec la Syrie.

En plus d’affamer à dessein la population syrienne, l’armée américaine a occupé militairement les champs pétroliers et gaziers du nord-est du pays, empêchant le pays d’accéder à ses principales sources d’énergie, nécessaires à une reconstruction.

Derrière cette politique se cache l’objectif non avoué, et jusqu’à présent non atteint, de précipiter la chute du gouvernement du président Bashar al-Assad. Ce que Washington n’a pas réussi à obtenir en armant et finançant des milices liées à Al-Qaïda, il cherche maintenant à l’obtenir en infligeant délibérément la misère de masse au peuple syrien, dans l’espoir de le forcer à se soulever contre le gouvernement.

Cette tactique, employée également contre l’Iran, Cuba et le Venezuela, a jusqu’à présent échoué, tout en infligeant d’immenses souffrances.

Vendredi dernier, face à l’indignation et à la pression internationales croissantes, Washington a été contraint d’annoncer une suspension temporaire et partielle des sanctions américaines afin de permettre l’entrée de secours en Syrie. Cette suspension est censée durer 180  jours, après quoi le régime de sanctions complet sera à nouveau en place.

En annonçant cette suspension, officiellement connue sous le nom de Licence générale  23 pour la Syrie, le Département du Trésor américain a déclaré qu’il autorisait «toutes les transactions liées aux secours en cas de tremblement de terre – qui seraient autrement interdites par le Règlement sur les sanctions pour la Syrie».

Cette annonce met à nu l’hypocrisie sans bornes du gouvernement américain, qui a longtemps prétendu que les sanctions draconiennes et mortelles infligées au pays n’étaient pas un obstacle à l’aide humanitaire. Elle ne fait que confirmer ce que tout le monde savait déjà en Syrie: que c’était un mensonge éhonté.

La prétendue suspension partielle des sanctions n’est intervenue que quatre jours après le tremblement de terre ; trop tard pour les milliers de gens morts dans les décombres, sans machines lourdes et autres aides suffisantes pour les en sortir vivants ; ou pour les milliers d’autres privés de soins médicaux ou d’un abri sûr immédiatement après le tremblement de terre.

Aujourd’hui encore, les migrants syriens aux États-Unis ne peuvent pas envoyer d’argent à leurs familles dans la zone du tremblement de terre car des sociétés comme Western Union, Ria et MoneyGram ne permettent toujours pas de transferts des États-Unis vers la Syrie. Des plate-formes comme Paypal, GoFundMe et Patreon ont retiré les pages qui sollicitaient des secours pour la Syrie et bloqué les tentatives d’acheminement de l’aide vers le pays dévasté.

Le régime de sanctions continue de bloquer toute aide qui passe par le gouvernement syrien, ce qui a pour effet d’empêcher l’importation d’équipements lourds et de carburant, de paralyser le trafic aérien et d’interdire l’utilisation des ports syriens.

Les entreprises et même les organisations d’aide qui, par crainte des représailles américaines, ont trop respecté les sanctions américaines par le passé, continuent toujours de se méfier de toute transaction avec la Syrie.

Pour sa part, le gouvernement Biden a offert une aide dérisoire de 85  millions de dollars à la Turquie et à la Syrie. Cela ne représente qu’une infime partie des milliards de dollars d’armes et d’aide versés aux forces mandataires djihadistes qui ont ravagé la Syrie durant la guerre de changement de régime menée par Washington.

Le peu d’aide fournie par les États-Unis et le Royaume-Uni vise politiquement à saper le gouvernement syrien. Elle est acheminée exclusivement vers la région d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, contrôlée par les restes des milices djihadistes affiliées à Al-Qaïda et à Daech, précédemment armées et financées par la CIA dans la guerre visant à renverser Assad.

Cela s’est accompagné d’un effort concerté pour promouvoir les Casques blancs, une prétendue organisation de sauvetage montée par le renseignement britannique. Elle avait été largement discréditée pour son implication dans la mise en scène de fausses attaques aux armes chimiques, comme à Douma en 2018. Celles-ci devaient servir de prétexte à une intervention directe des États-Unis et de l’OTAN dans la guerre de changement de régime.

Les forces djihadistes d’Idlib sont tristement connues pour voler les fournitures humanitaires internationales qu’elles revendent ensuite à des prix élevés aux réfugiés affamés, piégés dans les zones qu’elles contrôlent. Des informations récentes font état de factions armées rivales qui s’affrontent pour s’approprier les secours ayant réussi à traverser la frontière turque.

Washington et ses alliés ont également monté une nouvelle campagne de propagande qui accuse le gouvernement Assad de bloquer l’aide humanitaire, ce dont ils sont eux-mêmes responsables.

La réalité est que la Syrie ne contrôle pratiquement pas sa frontière nord. Celle-ci est aux mains de groupes djihadistes à Idlib, de milices soutenues par la Turquie et de la milice kurde soutenue par les États-Unis, les YPG, à l’est, où quelque 900 soldats américains sont déployés illégalement, en violation de la souveraineté syrienne et sans aucun mandat des Nations unies ni même l’approbation du Congrès américain.

Washington a tenté de rejeter sur le gouvernement syrien la responsabilité de l’incapacité de l’aide à atteindre les zones de la province d’Idlib contrôlées par les djihadistes. Avant le séisme, une seule voie d’accès à cette zone depuis la Turquie était autorisée par un accord entre Damas, le gouvernement turc et les Nations unies, dû aux inquiétudes face au flux d’armes et de combattants étrangers. Lorsque la Syrie a conclu un accord avec l’ONU pour en ouvrir deux autres, le chef des Casques blancs, Raed al-Saleh, a dénoncé l’accord, disant qu’il offrait au gouvernement Assad un «gain politique gratuit».

Le groupe djihadiste dominant, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une émanation d’Al-Qaïda en Syrie, a lui aussi dénoncé la tentative du gouvernement syrien d’acheminer un convoi de camions d’aide du Croissant-Rouge dans la zone, via un passage à Saraqeb. Un porte-parole de HTS a déclaré à Reuters: «Nous ne laisserons pas le régime profiter de la situation pour montrer qu’il aide». Selon certaines informations, le HTS avait exigé un paiement de 10.000  dollars pour chaque camion autorisé à entrer.

Le découpage de la Syrie dont des milices rivales soutenues par les États-Unis et la Turquie contrôlent la frontière nord, s’est avéré un obstacle majeur à l’acheminement de secours en cas de tremblement de terre.

Al Jazeera rapporte que les corps de réfugiés syriens retirés des décombres du sud de la Turquie traversaient plus fréquemment la frontière que l’aide humanitaire. «Mercredi matin, 1.413  Syriens étaient rentrés dans leur pays dans des sacs mortuaires», rapporte la chaîne. Même à cet égard, le démembrement de la Syrie se fait sentir ; les corps des victimes du séisme ayant fui les zones contrôlées par le gouvernement syrien sont empêchées de retourner dans leurs villages et on les enterre avec les milliers de morts en Turquie.

En dépit des horreurs du tremblement de terre et de la prétendue unité du monde en faveur de ses victimes, les actes de guerre se poursuivent sans relâche en Syrie.

Le commandement central américain (CENTCOM) a annoncé mercredi que ses forces avaient abattu un drone iranien qui surveillait, selon lui, les troupes américaines sur le Site de soutien de la Mission Conoco, une base américaine assise sur les champs pétrolifères syriens et portant le nom (Conoco) de la société énergétique américaine qui les exploitait autrefois.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a déclaré qu’un drone turc avait frappé un véhicule militaire appartenant, selon lui, à la milice YPG, soutenue par les États-Unis, dans la ville syrienne de Kobané, tuant apparemment un milicien et en blessant d’autres.

Les forces liées à Daesh ont déclenché une attaque armée au sud de la ville syrienne de Palmyre, tuant quatre personnes, dont une femme, et en blessant dix.

Et dans la zone d’Idlib occupée par les djihadistes, les ‘rebelles’ du HTS ont affirmé que les forces gouvernementales avaient lancé une attaque d’artillerie non provoquée. Damas a répliqué que ses troupes avaient répondu à une attaque de drones menée par les milices liées à Al-Qaïda.

Une chose est sûre, Washington n’a pas renoncé à son objectif de renverser le gouvernement bourgeois national d’Assad et d’installer un gouvernement fantoche soumis aux intérêts impérialistes américains. Il continuera à cette fin d’utiliser la violence et la coercition.

Le gouvernement Biden ne considère pas la Syrie comme un pays nécessitant une aide humanitaire urgente après près de douze ans de guerre et un tremblement de terre massif. Le pays est bien plutôt considéré par l’appareil militaire et étatique de Washington comme un autre champ de bataille dans la guerre menée en Ukraine contre la Russie, qui soutient Assad et dont la seule base navale à l’étranger se trouve dans le port méditerranéen de Tartous, en Syrie.

Après trois décennies de guerre ininterrompue au cours desquelles il a mis en ruines des sociétés entières, de l’Afghanistan à la Libye, en passant par l’Irak et la Syrie, l’impérialisme américain est prêt à tuer des centaines de milliers gens supplémentaires, par la faim et le froid ou par un nouveau conflit armé, dans la poursuite sa campagne de contrôle des ressources énergétiques stratégiques du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

Les travailleurs, les étudiants et les jeunes du monde entier doivent exiger une fin réelle et permanente de toutes les sanctions américaines visant la Syrie, et le retrait immédiat de toutes les troupes américaines occupant le pays. Ces demandes doivent être liées à la construction d’un mouvement de masse contre la guerre comme partie de la lutte pour mettre fin à sa source, le système de profit capitaliste.

(Article paru d’abord en anglais le 16 février 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

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