La vice-présidente Kamala Harris et la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, de Californie, se lèvent et applaudissent lorsque le président Joe Biden s’adresse à une session mixte du Congrès, le 28 avril 2021, dans la salle de la Chambre des représentants au Capitole des États-Unis à Washington (Melina Mara/The Washington Post via AP)

Par Patrick Martin

La conférence de presse donnée par le président Joe Biden mercredi, pour marquer la fin de sa première année de mandat, a été une démonstration de deux heures du gouffre social qui sépare la Maison-Blanche, les médias bourgeois et l’ensemble de l’establishment politique américain des préoccupations réelles de la population américaine.

Au début, Biden a parlé pendant plusieurs minutes avant de répondre aux questions. Il n’a pas fait attention aux plus de 2.374 Américains qui sont morts ce jour-là de la COVID-19: un nombre stupéfiant, l’un des pires jours depuis le début de l’actuelle vague alimentée par le variant Omicron. Il aurait pu commencer par demander une minute de silence, mais il a préféré ne pas attirer l’attention sur la preuve la plus évidente de l’échec de son gouvernement.

Quels que soient leurs désaccords politiques, le président démocrate et ses adversaires républicains partagent la même indifférence à l’égard de la mort de masse. Ils représentent et défendent les intérêts de la classe capitaliste américaine, et les milliardaires n’ont pas l’intention de laisser la considération de la vie et de la sécurité humaines interférer avec leur accumulation continue de niveaux de profit et de richesse sans précédent. C’est ce qui motive la politique qui consiste à maintenir ouverts les lieux de travail et les écoles durant une terrible pandémie.

Biden a revendiqué des «progrès remarquables» au cours de la première année de son gouvernement. Il s’est vanté d’une création d’emplois record, d’une baisse du taux de chômage officiel et d’une campagne réussie de vaccinations de masse. Il y avait un puissant élément d’aveuglement dans cette présentation, dans des conditions où la grande majorité de la population américaine ressent les conséquences de la plus grande crise de santé publique depuis 100 ans dans laquelle ils ont perdu des grands-parents, des parents, des amis, des collègues de travail et, de plus en plus, des enfants.

Le président n’a pas eu la décence de mentionner les 475.000 Américains qui étaient en vie lors de son investiture le 20 janvier 2021, mais qui sont maintenant morts, tués par la COVID-19. Il n’a pas non plus mentionné les centaines de milliers d’autres qui devraient mourir cet hiver en raison de la propagation du variant Omicron. Ce dernier fait grimper les infections à des niveaux stupéfiants et a commencé à submerger le système hospitalier – et bientôt les morgues.

Personne, lors de la conférence de presse, n’a soulevé la question de la mort de masse. Ils auraient pu se rappeler des critiques de Biden à l’encontre de Donald Trump, lors d’un débat de la campagne présidentielle le 22 octobre 2020. Il avait mentionné les 220.000 Américains morts jusqu’alors du coronavirus et avait déclaré: «Quiconque est responsable d’autant de décès ne devrait pas rester président des États-Unis d’Amérique». Aujourd’hui, le nombre de décès est près de quatre fois supérieur à ce chiffre.

Au cours de ce même débat, Biden s’est posé en défenseur des enseignants, déclarant que la politique de Trump concernant les écoles consistait essentiellement à dire: «Vous, les enseignants, n’allez pas mourir en si grand nombre, alors ne vous en faites pas». Aujourd’hui, après la mort de milliers d’enseignants, et l’apparition d’un nouveau variant de COVID-19 bien plus contagieux et dangereux pour les écoliers, la politique de Biden est celle de Trump. «Nous ne reviendrons pas au confinement», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse. «Nous ne reviendrons pas à la fermeture des écoles».

Interrogé sur le nombre croissant de grèves d’enseignants et d’autres protestations dirigées contre la réouverture des cours en présentiel durant la plus grande vague d’infections de COVID-19 jamais enregistrée, Biden a dit avec mépris que cette opposition n’était pas très importante, affirmant que 95 pour cent des écoles sont ouvertes à l’enseignement en présentiel. Son dédain pour l’opposition des travailleurs a été l’une des rares manifestations d’émotion authentique au cours de cet événement de deux heures.

La campagne américaine contre la Russie, qui prend de l’ampleur, a été le principal sujet de la conférence de presse, les représentants des médias ont pressé Biden, à plusieurs reprises, de faire des déclarations plus belliqueuses à l’appui des allégations non prouvées selon lesquelles le président russe Vladimir Poutine envisage d’envahir l’Ukraine, et de donner des assurances de représailles américaines rapides et massives s’il le faisait.

Biden a déclaré qu’il pensait que Poutine allait envahir l’Ukraine, mais lorsqu’il a dit que cela restait incertain et a souligné qu’une véritable guerre entre l’OTAN et la Russie présentait des dangers, ses interlocuteurs ont semblé mécontents. La réaction négative s’est intensifiée lorsque Biden a tenté de faire la distinction entre une invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, qui donnerait lieu à une guerre économique totale, et une «incursion mineure», dont les conséquences pourraient être différentes.

Les critiques à l’encontre de Biden pour avoir soi-disant donné le «feu vert» à Poutine pour recourir à la force contre l’Ukraine ont fait la une des journaux dans les minutes qui ont suivi la conférence de presse, et les collaborateurs de la Maison-Blanche ont déjà publié des «clarifications» selon lesquelles toute attaque russe contre l’Ukraine entraînerait une réaction agressive des États-Unis.

L’élément le plus révélateur de la conférence de presse a été la confession de Biden selon laquelle il n’avait pas prévu à quel point les républicains chercheraient à saper son gouvernement et à s’y opposer. «J’ai complètement sous-estimé le Parti républicain», a-t-il admis.

Qu’y a-t-il à «sous-estimer»? Le Parti républicain a essayé de renverser l’élection. L’ensemble de la direction du Congrès s’est ralliée à Trump, qui a prétendu pendant de nombreuses semaines que le résultat de l’élection était douteux, malgré la victoire décisive de Biden au vote populaire et au collège électoral.

Deux tiers des républicains de la Chambre des représentants ont voté contre la certification de la victoire de Biden, même après l’attaque du Capitole par des partisans fascistes de Trump, qui a échoué dans son objectif de prendre des otages et de forcer le Congrès à permettre à Trump de rester à la Maison-Blanche. Le Parti républicain est dominé par Trump, qui traite Biden de président illégitime. Comment Biden peut-il être surpris qu’ils s’opposent à ses politiques?

Biden a exprimé son incrédulité devant le degré de subordination du Parti républicain à l’autorité personnelle de Trump et de la réticence des membres du Congrès et des sénateurs républicains pour s’engager dans le marchandage bipartisan habituel en politique capitaliste. Mais il n’a lancé aucun avertissement à la population américaine sur le danger pour la démocratie que représente la transformation du Parti républicain en un mouvement fasciste sous la dictature de l’ancien président.

Au contraire, tout au long de la conférence de presse, il a cherché à faire appel aux républicains – ceux-là mêmes qui ont cherché à le renverser. Il a flatté les républicains du Sénat, faisant l’éloge de Mitt Romney, décrivant le chef de la minorité Mitch McConnell comme son ami, et invoquant le nom de John McCain comme si ce belliciste avait été un saint. Le seul sénateur qu’il a désavoué est Bernie Sanders. En réponse à une question provocatrice de Fox News, il a nié qu’il essayait de «tirer le pays si loin vers la gauche». Il a poursuivi: «Je suis un démocrate traditionnel. (…) Je ne suis pas un socialiste, je suis un capitaliste.»

L’acuité de la crise politique a éclaté à un moment donné, lorsque Biden a souligné la transformation rapide de la société sous l’impact des développements révolutionnaires de la technologie. «Dans 10 ans, nous vivrons dans un monde différent», a-t-il dit, ajoutant qu’il y aurait plus de changements dans la prochaine décennie que dans le demi-siècle précédent. «Pouvons-nous maintenir les institutions démocratiques ici et dans le monde?» a-t-il demandé. Sa réponse: «Ça va être difficile».

Le monde est au bord du précipice d’un changement radical, admet le président américain. Ce changement va exploser au cours des dix prochaines années, prévoit-il. La démocratie survivra-t-elle? Biden se gratte la tête. «Qui sait?» Ce remarquable monologue est un indicateur de la nervosité, voire la peur, qui les habite. Biden craint sans aucun doute la menace fasciste. Mais il ne peut pas dire son nom. C’est parce que lui, et la classe qu’il représente, ont une crainte plus grande encore: un mouvement d’en bas, des grandes masses de la classe ouvrière, qui se déplace vers la gauche, pas vers la droite.

La question n’est pas la survie de ce que le dirigeant du pays impérialiste le plus puissant appelle «démocratie». Il veut dire en réalité le capitalisme, le système de profit, qui a produit un niveau d’inégalité économique totalement incompatible avec toute démocratie véritable. Au contraire, il génère des mouvements fascistes dans le monde entier, qui visent à abolir tous les droits démocratiques et à soumettre la classe ouvrière à la dictature ouverte des riches.

L’enjeu est le socialisme ou la barbarie. La classe ouvrière doit mobiliser ses forces sur une base internationale, rompre avec toutes les institutions qui soutiennent la domination capitaliste, y compris le Parti démocrate et les syndicats contrôlés par les sociétés, et construire un mouvement politique de masse pour le socialisme. C’est la tâche entreprise et dirigée par le Parti de l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site.

(Article paru en anglais le 20 janvier 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

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