Les députés assistent à l’ouverture de la troisième session de la 13e Assemblée populaire nationale (APN) en 2020. L’APN est au cœur du pouvoir du peuple en Chine. Elle est composée d’environs 3 000 députés élus par les provinces, les régions autonomes, les municipalités relevant de l’autorité centrale ainsi que par les forces armées. Elle se réunit une fois par an, pendant une dizaine de jours. Elle a pouvoir entre autres d’amender la Constitution, d’élaborer le Code pénal et le Code civil et autres lois essentielles ;d’élire les présidents et vice-présidents de Chine ainsi que d’examiner et approuver le plan pour le développement de l’économie nationale et le progrès social, ainsi que le budget.

Par Christine Bierre

La démocratie :
un vote tous les quatre ans ou un engagement de c
haque jour ?

Le 9 et 10 décembre, le président américain Joe Biden ouvrira en fanfare son grand sommet (visio) sur « la démocratie » (occidentale). N’y sont invités que les vassaux de Washington. La Chine n’y est évidemment pas conviée, alors que la démocratie s’y pratique au quotidien.

Sur cette question cruciale, le gouvernement chinois renvoie désormais la balle aux Occidentaux. Alors que ces derniers prétendent donner des leçons sur le sujet, la République populaire de Chine n’a cessé, depuis sa fondation en 1949, d’explorer et d’innover en la matière, adaptant toujours sa pratique au niveau de développement de son peuple et à ses traditions nationales. Quelles leçons devons nous en tirer ?

« Les haricots roulent, les haricots votent, les haricots vont dans les bons bols ! » Mais que diable les haricots ont-ils à voir avec la démocratie ? Eh bien, au début des années 1940, alors que le Parti communiste était encore basé à Yan’an, dans la province du Shaanxi, il fallut faire beaucoup de pédagogie pour initier au vote les agriculteurs chinois, encore analphabètes. Dans ce processus, les haricots remplaçaient les bulletins de vote et les électeurs étaient leurs haricots dans des bols dédiés à chaque candidat.

Aujourd’hui, 72 ans plus tard, on n’en est plus là, mais le président Xi Jinping veut faire franchir une nouvelle étape à son pays, sur le terrain de ce qu’il appelle « la démocratie populaire à tous les niveaux ». Ce terme, qu’il avait déjà employé en 2019, lors d’une visite d’inspection du sous-district de Hongqiao à Shanghai, il l’a remis au goût du jour le 1er juillet dernier, lors du grand rassemblement à Beijing pour commémorer le centenaire du Parti.

« La démocratie se définit non seulement par le droit du peuple de voter lors d’une élection, a-t-il dit, mais aussi par le droit de participer aux affaires politiques au quotidien. »

Le président Xi Jinping reste encore modéré dans ses remarques, car si aujourd’hui, dans les principales démocraties occidentales – Etats-Unis, Royaume-Uni et France y compris – les citoyens peuvent certes choisir parmi plusieurs candidats, seuls les plus riches peuvent postuler en raison des coûts prohibitifs de ces campagnes électorales. En réalité, nous ne sommes plus en démocratie, mais en ploutocratie !

Enrichir les plans quinquennaux

La Chine s’emploie donc à renforcer la participation citoyenne aux principales politiques de la nation, dans le contexte de ce qu’on peut appeler une démocratie sélective et participative. Avec un Parti communiste comme seul animateur, même s’il collabore avec huit autres partis non-communistes au niveau national – un Parti communiste qui est sous une plus grande pression populaire que n’importe quel élu dans nos pays occidentaux.

« Le but de la démocratie en Chine est de comprendre les besoins des gens, pour en tenir compte dans les objectifs de développement à long terme de la nation », nous explique Tang Yalin, professeur d’administration publique à l’École des relations internationales et des affaires publiques de l’Université de Fudan. Et M.Tang d’énumérer les canaux qu’il faut créer pour permettre aux gens d’exprimer leurs opinions : audiences d’opinion publique et colloques d’experts organisés avant la publication des principales lois, plans, politiques et projets.

En 2020, lors de l’élaboration du 14e plan quinquennal (2021-2025) et des objectifs pour 2035, le Président Xi, qui a dirigé ces travaux, a insisté sur la nécessité d’associer l’opinion publique à la conception de ce plan de haut niveau. Suggestions et conseils ont été même sollicités en ligne, première fois que cette pratique était adoptée pour la formulation d’un document aussi important. Selon les données officielles, comme nous l’explique le Quotidien du Peuple, plus d’un million de suggestions pour le 14e Plan quinquennal ont été reçues en ligne ! De plus, la direction du Parti a écouté les opinions exprimées lors de plusieurs colloques par des non-membres du Parti, des entrepreneurs et des experts dans divers domaines.

Des stations de contact

Le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale (APN) a aussi mis en place, en 2015, des stations de contact au niveau communautaire. A 81 ans, Xia Yunlong, enseignant retraité qui vit depuis 30 ans dans le district de Hongqiao, à Shanghai, a été nommé responsable de l’information d’une de ces stations de contact. Les projets de loi y sont envoyés afin que les citoyens puissent en discuter et exprimer leurs opinions aux législateurs.

You Yuanchao, fonctionnaire de l’Assemblée populaire du district de Changning, travaille aussi dans cette station de contact.
Il rapporte que des commentaires du public ont été recueillis à propos de 55 lois et que plus de 1000 suggestions ont été faites, dont 92 ont été adoptées. Un mécanisme de travail a été créé à partir de rien, rapporte M. You, « comprenant huit étapes, allant de l’acceptation d’une enquête législative à la soumission des suggestions finales ».

Les responsables de l’information recueillent ces opinions, avec l’aide d’experts. « Des organes judiciaires locaux et des avocats (…) contribuent à transformer la langue familière des gens en une terminologie adéquate pour la législation », explique M. You.

Exemple, Wu Xinhui, associée et avocate au cabinet d’avocats K&M, qui fournit des conseils juridiques au sous-district de Hongqiao depuis 2010 et qui est aussi responsable de l’information au poste de contact. Spécialisée depuis 12 ans dans les affaires civiles et domestiques, maître Wu reconnaît que grâce à ce processus, elle est plus à même de découvrir les lacunes qui doivent être corrigées dans les législations en vigueur. Sa suggestion d’inclure les personnes âgées dans la loi contre les violences domestiques a été adoptée. Suite à une affaire qu’elle avait traitée, elle avait en effet découvert que les droits d’une personne âgée avaient été violés par ses propres enfants.

Maître Wu a également soumis des suggestions pour le projet du premier Code civil du pays, ainsi que des amendements aux lois sur la protection des mineurs et la prévention de la délinquance juvénile.

Aide aux personnes âgées

En 2020, Li Dianbo, responsable d’un village de la bannière de Dalad, en Mongolie intérieure, a suggéré en ligne la mise en place d’un modèle d’assistance mutuelle aux personnes âgées dans les zones rurales. Les deux tiers des quelque 1200 résidents permanents dont il s’occupe sont des personnes âgées dont les enfants sont partis travailler dans les villes.

Il a proposé que dans les zones rurales densément peuplées, le gouvernement construise des cantines publiques et des dortoirs pour les personnes âgées désireuses de vivre ensemble. Ceux qui sont relativement plus jeunes et plus aptes pourraient s’occuper de leurs aînés plus faibles, formant ainsi un système de soutien mutuel et de soins aux personnes âgées. Son idée a été incorporée dans le document directeur par les autorités centrales.

Une démocratie efficace

Eclairage sur la Chine : Numéro spécial sur La démocratie à tous les niveaux.

Comme l’a déclaré au Quotidien du Peuple, Evandro Carvalho, ancien chercheur invité en Chine et professeur de droit à la Fondation Getulio Vargas (un groupe de réflexion économique brésilien), la démocratie socialiste chinoise n’est « pas seulement une démocratie dans la forme, elle l’est aussi dans le fond ». Elle ne se limite pas au processus de prise de décision démocratique mais se concentre également sur ses résultats.

Mais c’est M. Tang, de l’Université Fudan, qui a les propos les plus acerbes et les plus justes contre la démocratie électorale occidentale.

Pour lui, c’est une manifestation des intérêts des partis politiques et du capital, voire même un « scrutin populiste carnavalesque » organisé par les politiciens pour manipuler l’opinion publique en faveur de leurs intérêts spécifiques.

« Le mécanisme de fonctionnement de la démocratie en Chine ne repose pas sur des élections basées sur la compétition multipartite, dans lesquelles les gens votent pour des dirigeants toutes les quelques années, mais participent à peine aux affaires nationales dans leur vie quotidienne », a noté M. Tang. La démocratie en Chine n’est pas un processus de vote étroit. Au contraire, c’est un processus dans lequel les opinions des gens sont entendues et même intégrées dans les politiques nationales.

Quid de la France ?

En Occident, le « système des partis », qui va à l’encontre du bien commun, a pris nos peuples en otage, comme le dit très justement M. Tang. Pouvons-nous pour autant adopter le modèle chinois ? Comme le soulignent les Chinois, la démocratie a forcément un caractère national ; il n’y a pas de modèle unique pour tous les pays. Une centralisation à la Chinoise, via un Parti unique, ne correspond pas au caractère un peu rebelle du peuple français, qui est, par ailleurs, prêt à respecter un pouvoir centralisé, quand celui-ci est juste et républicain. Le système présidentiel, avec un scrutin à deux tours, comme celui approuvé par le Général De Gaulle pour la France, permet de dégager une majorité très nette en faveur du gagnant, au nom d’une politique d’intérêt commun.

Par ailleurs, un système de consultation populaire, à la Chinoise, doit être développé. Dans son programme présidentiel de 2017, Jacques Cheminade proposait la création d’une assemblée de 500 citoyens tirés au sort assistés par des experts, pour réfléchir, entre-autres, à la mise en oeuvre d’une réelle démocratie participative. Notre riche calendrier électoral, pourrait être l’occasion aussi des consultations à tous les niveaux.

Source : Solidarité & Progrès
https://solidariteetprogres.fr/…

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