Karine Bechet-Golovko. D. R.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Les dirigeants européens ont décidé tout une série de sanctions contre la Russie pour plaire à Washington. Non seulement, ces sanctions n’ont servi à rien mais elles ont plongé leurs peuples dans la misère et la précarité. Ces dirigeants amateurs et incompétents, voire corrompus à l’image de Von der Leyen, ne sont-ils pas coupables devant l’histoire d’avoir ruiné leurs pays et leurs peuples ?

Ils sont coupables et sincèrement j’espère qu’ils seront jugés. Mais pour ça, il faut changer le système. Sur leur corruption, je n’ai absolument aucun doute, mais j’ai beaucoup de doutes quant à leur incompétence. Ils me semblent très compétents, parce qu’ils font exactement ce pour quoi ils sont mis en place.

Dans la destruction…

Absolument. Ils sont là pour ça et ils remplissent parfaitement leur mission. Ne me dites pas que personne ne savait en France pour les vaccins contre le Covid, qu’il y avait des bakchichs qui tournaient, qu’il y avait des prises d’intérêt, des conflits d’intérêt. Personne n’était au courant au niveau des élites, quand ils votaient la vaccination obligatoire, quand ils votaient le pass vaccinal, etc. ! Bien sûr qu’ils étaient au courant. Combien de médecins ont mis en alerte sur la quantité des effets secondaires néfastes, qui sont recensés et dont on trouve les résultats sur le site de l’OMS ? Il y a des millions et des millions d’effets secondaires négatifs, c’est du jamais vu quand on compare avec les autres vaccins pour toutes les autres maladies. Donc, c’était impossible de ne pas savoir. Ils savaient et mettaient les choses volontairement en place. Au-delà de la dimension sanitaire, en deux ans, ils ont littéralement détruit la santé publique, mis à mal l’économie nationale, déstabilisé tout une génération avec une montée en flèche des problèmes psychologiques chez les jeunes surtout, une augmentation des suicides, et maintenant il faut les croire sur parole sous prétexte qu’ils se seraient trompés, qu’ils ne savaient pas ? En France, ils ne réintègrent toujours pas les soignants qui ne sont pas vaccinés. Qu’est-ce qu’ils ne savaient pas ? C’est purement politique. On nous explique à la fois qu’il y a des problèmes sanitaires et on détruit le système de santé. C’est logique, n’est-ce pas ?

Donc, je ne dirai pas qu’ils sont incompétents, ils sont complètement pourris, pour dire les choses très simplement, et ils ont été mis en place en raison de cette qualité première chez eux. C’est un système qui s’autolégitime de l’intérieur. Et l’on peut se poser aussi beaucoup de questions à l’égard de ces partis d’opposition qui sont extrêmement systémiques, à tel point d’ailleurs qu’ils ont l’air parfaitement à l’aise dans le rôle d’une opposition qui, surtout, ne soit jamais au pouvoir qui, de temps en temps, peut sortir dans la rue, mais qui ne va pas trop loin et qui se fait réélire. Il y a une impasse politique ici aussi puisque l’opposition ne joue pas son rôle d’alternance et fait partie du système, et elle permet à ce système de fonctionner. Il y a de temps en temps des manifestations pour faire sortir la vapeur, ce qui permet aux gens de se calmer, et ça continue pour que surtout rien ne change.

Le Guépard…

Absolument. Il y a effectivement des questions qui se posent et le problème c’est qu’il y a aujourd’hui un conflit qui dépasse largement le conflit ukrainien. C’est réellement un conflit de civilisation qui est en train de se jouer. Si la Russie et les Etats souverains gagnent, cela voudra dire qu’effectivement ces gens seront responsables de crimes devant leurs peuples. Et de crimes dans le sens direct, parce que combien de personnes sont mortes à cause d’eux, directement à cause des injections ? Indirectement, parce qu’elles ont perdu leur travail, parce que leur entreprise a fait faillite, et combien se sont suicidées ? Combien ont perdu leur famille à cause de tous les problèmes sociaux qui en ont découlé avec cette impossibilité de vivre décemment ? Combien de divorces, combien de vies brisées ? N’ont-ils pas détruit le système scolaire et mis en place une espèce de fabrique d’idiots tout juste bons à consommer ? Ne sont-ils pas responsables aussi pour ce que l’on fait aux enfants ? Tout cela explique leur fanatisme d’aujourd’hui, parce qu’ils comprennent très bien qu’ils n’ont pas le droit de perdre – sauf à devoir répondre de leurs actes. Et le soutien militaire qu’ils apportent à l’Ukraine aggrave encore leur position.

Oui, et l’on parle de plus en plus de Pfizergate à propos de Von der Leyen…

Tout à fait.

Peut-on parler de démocratie quand on assiste à l’arrestation de députés européens, dont la vice-présidente Eva Kaili du Parlement européen, pour des affaires de corruption comme celles du Marocgate qui touche le peuple sahraoui qui a été privé de ses droits, et le Qatargate ?

C’est difficile au niveau de l’Union européenne de parler de démocratie, notamment parce que ce n’est pas un Etat. Et la plupart de ses dirigeants ne sont pas élus. Les députés européens sont élus mais les autres, c’est indirect. Le fait qu’il y ait une sanction pour un abus, cela rentre dans l’idée générale du concept de démocratie. Ce qui est anormal, c’est que le système fonctionne avec une telle impunité qu’il puisse en arriver là. C’est cela qui est inquiétant. Et l’autre question qui se pose, c’est en ce qui concerne tout ce que l’on ne sait pas.

Oui, c’est l’arbre qui cache la forêt…

Absolument. D’accord, ils ont tapé fort sur deux ou trois personnes, mais n’était-ce pas simplement pour calmer un peu les ardeurs et dire qu’ils avaient tout réglé ?

Vous vivez en Russie. Comment la propagande occidentale antirusse est-elle perçue par les citoyens russes ? Quel regard portez-vous sur la russophobie qui existe en Occident ?

Les Russes sont très tristes de cette propagande, parce que, si l’on parle de pays comme la France, l’Italie, ce sont des pays qui sont beaucoup aimés en Russie, parce qu’ils ont une histoire commune. Au niveau culturel, la culture allemande est aussi très présente en Russie, que ce soit au niveau littéraire ou musical, en plus de la culture française et italienne. Les gens ont eu du mal à y croire dans un premier temps, parce que cela ne correspond pas du tout à l’image qu’ils avaient des pays européens. Ils s’y attendaient sans trop de surprise de la part du monde anglo-saxon, qui est plus brusque dans ses attitudes, mais pas en ce qui concerne les dirigeants européens. Pendant très longtemps, les Russes ont du mal à croire que Macron n’essayait pas réellement d’aider pour régler la situation en Ukraine. Mais maintenant, ils ont compris et la page est désormais tournée, les dirigeants européens s’étant complètement décrédibilisés aux yeux de la Russie. C’est regrettable, mais c’est la réalité et il sera extrêmement difficile plus tard de rétablir la confiance. Il y a donc eu une prise de conscience politique. En revanche, la russophobie au niveau culturel, elle, a été acceptée plus rapidement et plus facilement parce que la Russie a été habituée à certaines sorties contre son histoire culturelle. Les Russes comprennent aussi qu’il s’agit d’un phénomène qui va passer plus rapidement et qui ne s’adresse pas uniquement à la culture russe  je ne parle pas pour l’Ukraine et les pays de l’Est, mais de l’Europe occidentale. C’est un mouvement qui s’inscrit dans le mouvement «woke» qui, de toute façon, est un large processus d’acculturation et anticivilisationnel. En ce sens, la russophobie culturelle en Europe de l’Ouest est surtout un prolongement de ce mouvement que l’on a vu arriver des Etats-Unis avec cette réécriture et cette négation des classiques, ce culte des minorités, qui poussent au ridicule.

Concernant l’Ukraine, la russophobie est extrêmement dangereuse parce que c’est une nouvelle forme de fascisme. Il s’agit de la version ukrainienne du fascisme de la Seconde Guerre mondiale. On le voit au niveau de la législation qui a fait des Russes des hommes de seconde zone, mais aussi au niveau de la réécriture de l’histoire avec la normalisation de la collaboration fasciste de la Seconde Guerre mondiale, qui permet de donner cette légitimité à ce nouveau fascisme antirusse d’aujourd’hui. Il est, d’une certaine manière, déconnecté, parce que lorsqu’on parle du fascisme ukrainien, on s’attend toujours à ce que soit la forme classique essentiellement contre les juifs et contre les Slaves. Or, la rupture qui est opérée permet de préserver fonctionnellement la manière dont ce fascisme fonctionnait à l’époque tout en l’orientant vers une autre cible. De plus, cela génère des difficultés pour l’argumentation des opposants, puisque l’on vous rétorque «mais non, regardez, leur président est juif, donc il n’y a pas de fascisme» et cela permet d’oublier que tous ces «héros» de cette nouvelle Ukraine étaient à l’époque des collaborateurs nazis, qu’ils ont, eux, attaqué les juifs, les Polonais, les Ukrainiens aussi d’ailleurs. Ils ne se sont pas battus contre l’Armée Rouge pour une mythique «libération nationale», mais avec les nazis contre les populations civiles et contre les résistants. Donc, le pouvoir en Ukraine aujourd’hui s’est emparé d’un concept et a transformé sa substance en autre chose, d’où la difficulté pour l’appréhender. C’est un travail qui est en train d’être réalisé en Russie pour essayer de le définir, notamment juridiquement. Il est absolument fondamental, si l’on parle de la nécessité de juger tout ce phénomène décrit sous le concept de russophobie, de passer par l’établissement d’une base juridique rigoureuse pour bâtir des institutions qui permettront de clarifier les choses.

On assiste à un vrai black-out médiatique sur l’évolution du front en Ukraine. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Il y a eu plusieurs étapes sur la médiatisation de la dimension militaire de la guerre en Ukraine. Au début, le discours était focalisé sur «la pauvre petite Ukraine, qui se fait écrabouiller par l’énorme armée russe». Cela n’a pas duré longtemps, parce que la Russie a fait l’erreur d’entrer dans le mécanisme de négociations qui étaient de toutes manières vouées à l’échec, et plusieurs reculs politiques ont conduit aussi à des reculs militaires. A partir de là, le discours politico-médiatique occidental a changé pour devenir : «Vous voyez comme cette Ukraine courageuse avec sa petite armée fait reculer l’armée russe complètement dépassée.» Maintenant, il y a une espèce de schizophrénie au niveau du discours, parce qu’à la fois on trouve toujours cette armée russe avec des soldats sous-équipés et peu formés qui, soi-disant, se rendent et ne savent pas se battre, bien que le front avance et, d’autre part, on peut entendre, sur LCI, par exemple, que l’armée russe s’est dotée d’une quantité d’armes hyperpuissantes, qu’il faut faire attention, etc. Donc, je ne parlerai pas de black-out mais d’une sorte de salmigondis, un assemblage de choses qui ne vont pas du tout ensemble. Et les ingrédients changent en fonction des besoins du moment. Effectivement, cela donne un peu l’aspect du black-out, parce qu’il y a surtout un certain chaos. On ne peut pas dire en fait qu’il y a un discours, dans le sens où un discours doit être construit, il doit y avoir une logique, il est développé dans le temps. Ici, il y a des éléments de langage et des éléments de communication qui sortent de temps en temps et dont l’assemblement change sans suivi à long terme, en espérant que les gens aient des problèmes plus importants à résoudre au quotidien, surtout avec la réforme des retraites actuellement en France, que de porter attention à ces contradictions internes.

L’on remarque aussi que s’il y a une avancée de l’armée ukrainienne, elle est immédiatement surmédiatisée. S’il y a une avancée de l’armée russe, elle est d’abord niée, qualifiée de propagande russe, avant d’être reconnue mais minimisée. Le problème fondamental derrière tout cela est que l’Occident est en guerre contre la Russie par l’intermédiaire de l’Ukraine : non seulement en raison des nombreux mercenaires et volontaires mais aussi parce que l’Occident forme, fournit, finance l’armée en Ukraine. Enfin, l’Occident prête, et il va bien falloir rembourser. Soyons réaliste, il ne va pas prêter à perte. Or, cela atteint des sommes tellement importantes qu’objectivement l’Ukraine ne pourra pas rembourser, quoi qu’il se passe. Tout cela explique ce discours assez confus et chaotique, parce que les élites politiques en Occident ne peuvent pas dire à leurs populations qu’elles font la guerre pour des intérêts qui ne sont pas les leurs, sans avoir lancé les formalités juridiques préalables légitimant leur intervention, et sans avoir demandé l’avis de leurs populations. Mais pas d’inquiétude, tout se passe mal.

(Rires).

Le discours médiatique atteint des sommets d’absurdité. Je ne sais plus quel média français avait expliqué très sérieusement que la Russie récupérait les machines à laver qu’elle envoyait sur le front afin de récupérer les puces électroniques. Soit. Et en même temps, ils ont peur qu’une bombe atomique tombe en Europe. En toute logique, ils devraient alors plutôt craindre qu’une machine à laver leur tombe sur la tête. C’est vraiment absurde.

(Rires). Depuis le début de l’opération spéciale russe en Ukraine, on assiste à une propagande occidentale débridée contre la Russie. Peut-on parler de «liberté d’expression», de «droits de l’Homme» et de «démocratie» en Occident, sachant que les médias occidentaux ne jouent pas leur rôle d’informer le citoyen ?

Je vais juste reprendre vos termes. On peut parler de «liberté d’expression», de «droits de l’Homme» et de «démocratie» en Occident, absolument, puisque ce sont des expressions typiquement occidentales, donc à partir du moment où les Occidentaux ont eux-mêmes défini les concepts, ils les appliquent (rires). Ainsi, les gens sont libres de dire ce qu’ils sont autorisés à dire dans les limites très serrées du champ d’expression. A l’intérieur du précarré, les hommes sont totalement libres. Il est vrai que les frontières de cette «liberté d’expression» sont de plus en plus réduites, mais comme les gens semblent réagir de moins en moins, ça se passe plutôt bien. Quant aux «droits de l’Homme», il est assez intéressant de voir que les droits de l’Homme en tant que tels ne sont pas remis en cause, c’est au changement de la conception de l’homme à laquelle nous assistons. C’est-à-dire que tous les êtres humains ne sont manifestement plus des hommes dignes d’avoir des droits. Ainsi, il semble que, dès le départ, le concept était totalement fourvoyé et ethnocentrique. Maintenant, il est devenu surtout très idéologisé. En ce qui concerne la démocratie, il me semble que, justement, pour revenir sur l’exemple avec lequel on a commencé, à savoir la Géorgie, celle-ci illustre parfaitement la conception actuelle de la démocratie en Occident.

Ces trois concepts que vous avez utilisés sont très symboliques, parce que ce sont les meilleurs slogans de ce monde occidental. «Liberté d’expression», «droits de l’Homme» et «démocratie», je pense que lorsqu’on a dit ça, on a à peu près tout dit sur l’Occident, surtout quand on ne rentre pas dans les détails. Ils illustrent parfaitement cette espèce de Pax Americana dans laquelle nous sommes tombés depuis un certain nombre d’années. En revanche, on voit avec plaisir la montée de la contestation de ce monde, notamment avec les manifestations. Ainsi, les gens, malgré une intensité de propagande inégalée et parfaitement intrusive, ne se laissent pas tous avoir, beaucoup osent lever la tête. On voit se développer aussi des médias alternatifs, d’autres sources d’information, même si la répression est présente. Vous comprenez très bien de quoi je parle.

Oui, les cas de Russia Today, Sputnik, etc. interdits en Europe…

En effet, mais pas seulement. Quand on ne travaille pas dans la ligne, on ne reçoit pas que des messages de félicitations. Ceci démontre cette évolution presque «normale», à partir du moment où le système devient ouvertement totalitaire  ce qu’il est en train de se passer aujourd’hui. Nous étions avant dans une forme de totalitarisme soft où les frontières étaient floues. Il était plus difficile à combattre car plus difficile à saisir. A partir du moment où l’on arrive à une forme de totalitarisme rigide, le mouvement de résistance intellectuel, humain, se met naturellement en place, l’instinct de survie se réveille. Souhaitons à la résistance de grandir et de grandir rapidement. Elle est vitale.

Une autre question qui me tient à cœur. Depuis un bon moment, l’Algérie subit des attaques de la part de sénateurs et députés américains et aussi de députés européens parce qu’elle achète son armement auprès de la Russie. Comment expliquez-vous une telle arrogance et cette ingérence de la part des Occidentaux vis-à-vis des pays tiers ?

C’est exactement ça, de l’arrogance. Comme on l’a dit tout à l’heure, tous les pays n’ont pas le droit d’être souverains. L’Algérie, en ayant fait des choix qui sont politiquement courageux, a osé la souveraineté, ce qui a été considéré comme un affront personnel par ce monde atlantiste. L’Europe s’est écrasée, comment l’Algérie ose-t-elle lever la tête ? Lors de la diffusion, par exemple, des débats politiques sur AL24News, beaucoup de mes lecteurs qui sont en France me disent que, désormais, c’est en Algérie que l’on trouve la liberté d’expression et non plus en France. L’effet positif, que je note avec plaisir, est que ça réveille les liens qui unissent nos peuples et personnellement j’en suis très heureuse. Si l’on peut se retrouver, au-delà des élites politiques sur lesquelles il vaut mieux éviter de compter, si les peuples arrivent à se retrouver autour de ces valeurs réelles, autour de cultures que l’on a en commun, je trouve que ce sera une très bonne chose et c’est justement l’un des moyens fondamentaux pour lutter contre cette globalisation qui dévore les Etats, mais qui dévore aussi les hommes et les sociétés, parce qu’elle détruit nos cultures, nos valeurs et notre civilisation.

Dans ce conflit, je trouve que l’Algérie a eu une réaction extrêmement saine et extrêmement courageuse. Malheureusement, peu d’Etats ont aussi ouvertement affirmé leur position comme l’a fait l’Algérie, qui l’assume et qui la tient malgré l’ampleur des pressions qui pèsent sur elle aujourd’hui. J’espère qu’elle pourra devenir un symbole et je pense au Mouvement des Non-Alignés. Il me semble qu’aujourd’hui qu’il est important de réveiller ce mouvement. On ne doit pas s’aligner, on doit défendre sa propre culture, sa propre civilisation. Il est important de comprendre que ce combat, si on le mène avec la Russie, on ne le mène pas pour la Russie, on le mène pour soi. La Russie a ouvert la voie, elle porte l’étendard et elle est partie devant au combat en première ligne. Mais si l’on veut sauver nos pays, on ne peut pas la laisser seule dans ce combat, parce que c’est à nous de le faire pour nos pays aussi.

Il y aura bientôt une réunion du Mouvement des Non-Alignés en Algérie…

C’est très bien. C’est très intéressant.

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu de grand mouvement antiguerre en Europe occidentale ?

J’ai toujours du mal avec ce mouvement «antiguerre». Sans être pour la guerre, il y a un moment où le conflit est inévitable, quand il n’y a plus d’autres moyens de préserver sa sécurité. Le problème, ce n’est pas d’être contre la guerre, le problème est de savoir pour quelle paix l’on est. Donc, j’ai du mal avec cette expression. Indépendamment de cela, je pense qu’il y a eu peu de mouvements en Occident, même si l’on note l’activité sincère et forte en France, par exemple, de Florian Philippot, parce que les sociétés occidentales ont fait le choix d’un certain type de paix qui ne tolère que la capitulation de la Russie, qui refuse de voir que le conflit n’a pas débuté en février et qui ne veut rien savoir de ce qui s’est passé depuis 2014 avec le Maïdan, quand toute la société ukrainienne a été militarisée, radicalisée par les aides américaines et européennes et les nombreux programmes de l’OTAN, les formations des élites, les différents programmes internationaux, etc. Ces sociétés européennes ne veulent rien savoir de 2004 et de la «Révolution orange», quand le système politique ukrainien a été brisé institutionnellement avec l’organisation d’un troisième tour des élections présidentielles sous l’égide de l’OSCE. Ainsi, les élites européennes ont fait le choix de la Pax Americana. Et les sociétés ont fait celui du confort de la cécité complaisante. Or, dans cette paix-là, il ne peut y avoir que la guerre. Si vous reconnaissez le droit aux peuples d’avoir des intérêts légitimes, il est possible de négocier, il est possible de trouver des compromis et la guerre n’est pas inévitable. En revanche, lorsque vous estimez avoir le monopole de l’intérêt légitime, comme dans ce monde global atlantico-centré, vous arrivez à combattre tout ce qui n’entre pas dans votre conception de l’intérêt légitime. Donc, vous produisez vous-même la guerre.

Quand je parle de manifestations antiguerre, c’est pour évoquer le fait que les gens ne s’intéressent plus à la politique. Le conflit en Ukraine nous a montré que les gens qui ont une position anti-impérialiste, anti-hégémonie américaine sont minoritaires dans les pays occidentaux…

C’est le résultat de combien d’années de travail des sociétés occidentales, avec ces programmes de prise en main des élites politiques et intellectuelles, avec la reprogrammation des politiques culturelles et l’on voit les résultats avec l’idéologisation du cinéma, du théâtre, de la littérature. N’oublions pas que, suite à l’intégration des pays européens dans le tissu des organismes internationaux, on assiste également à la prise en main des programmes scolaires, qui forment – ou déforment – les esprits dès la jeunesse et produisent ensuite les adultes dont cette société a besoin. Lorsque les élèves n’étudient plus leur histoire, ne comprennent même pas d’où ils viennent, qui ils sont, quand ils n’ont plus de peuple, plus de patrie, que voulez-vous qu’ils défendent ? Nous produisons des égoïsmes sans substance. Nous sommes à l’époque des gens sans patrie, des individus se promenant dans une espèce de «Global Village», sans avoir d’attachement avec leur pays. Moi, je suis française, j’habite en Russie, mais je sais que je suis française. Cela fait partie de mon identité et de ma chair. Le problème, c’est que les gens n’ont pas forcément d’attachement ni pour le pays d’où ils viennent, ni pour le pays où ils vont. Leur comportement est purement utilitaire. Le cadre est agréable, je reste, si le cadre me déplaît, j’exige de pouvoir aller ailleurs. Il n’y a pas de place pour l’engagement politique dans ce contexte.

Un vrai déracinement…

Et quand vous êtes déraciné, qu’est-ce que vous allez défendre ? Quel pays allez-vous défendre ? Du coup, vous comprenez ces manifestations en Géorgie pour défendre les agents étrangers.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

(Suite et fin)

Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public (France), professeur invité à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov), présidente de l’association de juristes Comitas Gentium France-Russie, présidente du Club français de Moscou, est l’auteur de l’ouvrage « Russie : la tentation néolibérale », sorti aux éditions L’Harmattan, et de nombreuses publications doctrinales en russe et en français, dans les domaines du droit public et de la géopolitique. Résidant en Russie depuis près de vingt ans, elle intervient régulièrement dans les médias russes et francophones, pour commenter tant l’actualité politique française, que russe ou internationale. 

Karine Bechet-Golovko tient également un blog d’analyse appelé Russie Politics (https://russiepolitics.blogspot.com/), dans lequel vous trouverez des publications quotidiennes originales analysant l’actualité politique et juridique.

Source : Mohsen Abdelmoumen
https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/…