Par Amal Shourab

Par Amal Shourab
Diplômée de français
Rafah-la bande de Gaza

« Ce fut une nuit très fatigante et inoubliable. J’étais avec un groupe de médecins à l’hôpital El-Shiffa de Gaza. Dans une situation très difficile, sous un blocus inhumain et avec un manque d’outils de prévention contre le Coronavirus, un manque d’équipements médicaux et de respirateurs.

Nous les docteurs avons décidé d’aider ces personnes qui ont besoin de nous de façon désintéressée et pour mettre fin à cette épidémie mondiale. Voilà cette maladie, le Covid-19, qui a changé le monde, qui a emprisonné les gens dans leurs maisons et qui est devenue une catastrophe menaçant l’humanité. Au commencement de chaque journée, on voit la mort devant nous et on est extrêmement stressé.

Cette nuit-là, à 22h30, une femme de 65 ans est arrivée à l’hôpital en ambulance. Elle ne pouvait plus respirer. Elle était avec sa voisine qui n’a pas pu entrer à l’hôpital mais qui a demandé au Dr Sami d’informer le Dr Jihad que c’était ma mère qui était arrivée. Le Dr Sami a très vite conduit cette femme à la salle de soins intensifs en demandant à son assistant de m’informer que ma mère était là, chambre 10. A ce moment-là, j’étais très occupée, je suivais les patients et je n’arrivais pas à reprendre mon souffle. Pendant que l’assistant du Dr Sami me cherchait, un homme âgé de 50 ans est arrivé, lui aussi très fatigué et qui ne pouvait pas respirer. J’ai fait ce qu’il fallait et je suis allée dans ma chambre pour faire une pause de 10 minutes. Je me suis allongée sur le canapé et j’ai regardé le plafond en chantant une chanson de mères qui dit : qu’y a-t-il après ma mère, avec tout ce qu’elle me donne, qu’est-ce qu’elle mérite ? Je n’ai aucune idée de la raison qui m’a poussée à chanter cette chanson, peut-être à cause de mon action auprès des plus âgés. Ma mère me manquait et j’avais besoin de ses paroles pour m’encourager à continuer mon travail en toute patience : elle me disait toujours que j’étais son docteur et son amour.

L’assistant du Dr Sami a frappé à ma porte et il m’a informé que ma mère était ici à l’hôpital. Ce fut un choc : « Qu’est-ce tu dis ? Je n’arrive pas à comprendre ». Et très vite je suis allée à la chambre.

« Tooot, tooot… », la voix du respirateur s’est arrêtée et ma mère est morte. J’ai essayé de l’aider mais c’était la fin. J’ai crié « Non, ma mère ne t’en va pas, attends s’il te plaît ! » et j’ai perdu connaissance. Je suis revenue à moi deux minutes plus tard et je ne savais pas ce que je devais faire. Je voulais être avec ma mère et la caresser dans ses bras.

Mon Dieu quel épreuve ! Je suis fille unique, je n’ai ni frères ni sœurs et mon père est tombé comme martyr pendant la guerre de 2014 à Gaza. Ma mère était toute ma vie, ma joie et mon âme. Quelle fin ! Je n’ai pas pu enterrer ma mère, je n’ai pas pu lui apporter de consolation, je n’ai pas pu lui donner même un bisou.

Mon Dieu, donnez-moi la patience d’assumer ce fer dans mon cœur ! Non ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar. J’attendais que les jours passent vite pour aller chez ma mère. Elle est venue pour me dire au-revoir mais le destin a mis fin à tout cela trop tôt. J’ai une question : où avait-elle attrapé le Corona ? Je ne sais pas. Le Corona est devenu un monstre qui tue tout le monde sans qu’on ait la capacité de le maîtriser. J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé mon oncle Saïd en lui disant que ma mère était morte et que j’avais besoin de lui pour l’enterrer. Il a commencé à pleurer et il m’a dit qu’il ne pouvait pas faire ça puisque lui aussi était malade après un contact avec un patient, qu’il avait peur mais qu’il allait envoyer son fils pour faire cela, puis qu’il irait dans une école de quarantaine pour y rester deux semaines. Non, vous ne pouvez pas imaginer ces peines et ces sentiments très forts sans les ressentir vous-mêmes. Un monstre a tué mon père avec son arme et un autre a tué ma mère en se cachant derrière une maladie.

Vous voyez, voilà comment le Corona tue sans autorisation tous ceux qu’on aime. Prenez soin de vous et de vos proches. Portez des masques. Vous ne pouvez pas imaginer le feu au cœur qu’est la perte d’une personne que vous aimez, un feu que vous n’arrivez pas à éteindre.

Au revoir ma mère, et mort au virus Corona ! »

Source : Ziad Medoukh