« Tout contenu relatif à la Palestine et à Israël est désormais filtré,
non seulement par les éditeurs de Facebook, mais également par des responsables israéliens »
Image : médias sociaux

Par Ramzy Baroud

Il est ironique de constater que même l’ancien Premier ministre israélien d’extrême-droite, Benjamin Netanyahu, avait rejeté un projet de loi de la Knesset (Parlement israélien) qui proposait de donner au gouvernement plus de pouvoir pour surveiller et censurer les contenus en ligne. C’était en 2016, et le projet de loi avait été présenté par le rival de Netanyahu au sein du parti Likoud, Gideon Sa’ar.

Selon certains analystes, Netanyahu craignait qu’une loi visant à supprimer la liberté d’expression palestinienne en ligne puisse être utilisée par ses ennemis pour contrôler ses propres discours. Maintenant que Netanyahu n’est plus là, le projet de loi est de retour, tout comme Sa’ar.

Gideon Sa’ar est actuellement ministre de la justice et vice-premier ministre d’Israël. Pendant que son patron, Naftali Bennett, se dépêche de développer les colonies et de rendre toujours pire, et toujours plus irréversible, la situation déjà catastrophique des Palestiniens, Sa’ar étend l’occupation militaire israélienne des Palestiniens au numérique.

La loi connue sous le nom de “loi Facebook” va permettre aux “tribunaux israéliens d’exiger le retrait des messages postés sur les plateformes des médias sociaux, qui peuvent être perçus comme provocateurs ou comme portant atteinte à la “sécurité de l’État”, à la sécurité des personnes ou à la sécurité du public”.

Selon une déclaration du 30 décembre de la Coalition palestinienne pour les droits numériques (PDRC) et du Conseil des organisations palestiniennes des droits de l’homme (PHROC), la censure israélienne des contenus palestiniens en ligne n’a pas cessé de s’intensifier depuis 2016, date à laquelle le projet de loi de Sa’ar a été présenté pour la première fois.

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Dans leur déclaration, les deux organisations ont souligné le fait que la soi-disant Cyber Unit d’Israël avait soumis 2 421 demandes aux entreprises de médias sociaux pour supprimer des contenus palestiniens en 2016.

Ce nombre a augmenté de manière exponentielle depuis, au point que la Cyber Unit a demandé à elle seule la suppression de plus de 20 000 articles palestiniens. Selon le PDRC et le PHROC, la nouvelle législation, qui a déjà été approuvée par le Comité Ministériel pour la Législation le 27 décembre, “renforcera encore la relation entre la Cyber Unit et les entreprises de médias sociaux.”

Cette relation est déjà très forte, du moins avec Facebook, qui censure régulièrement les contenus palestiniens malgré les critiques de Human Rights Watch (HRW) et d’autres organisations.

Après avoir examiné les nombreuses allégations de censure de Facebook, Deborah Brown, la responsable de la recherche sur les droits numériques de HRW, a conclu que “Facebook supprimait les messages, postés par les Palestiniens et leurs partisans, qui portaient sur le respect des droits de l’homme en Israël et en Palestine.”

L’implication de Facebook dans les efforts d’Israël visant à étouffer les voix palestiniennes qui appellent, sur le Net, à la justice, à la liberté et à la fin de l’occupation, est le fruit d’un accord que l’entreprise a conclu avec Israël en septembre 2016.

À l’époque, le gouvernement israélien a annoncé qu’il avait signé un accord avec le géant des médias sociaux “pour travailler ensemble aux réponses à donner à l’incitation sur les médias sociaux.”

En quelques jours, les comptes d’éminents journalistes et militants palestiniens auraient été supprimés.

La nouvelle “loi Facebook” d’Israël ne concerne pas seulement le contrôle du contenu sur les plateformes liées à Facebook, y compris Instagram et d’autres.

Selon un éditorial du Haaretz publié le 29 décembre, l’impact de ce projet de loi particulier est immense, car il donnera aux juges des tribunaux de district de tout le pays le pouvoir de supprimer des publications, non seulement de Facebook et d’autres médias sociaux, “mais de n’importe quel site web”.

Sans surprise, c’est le prétexte habituel de la “sécurité nationale” d’Israël, qui sert à justifier la censure israélienne des posts palestiniens. Nous savons tous comment Israël utilise ce concept insaisissable contre le peuple autochtone, du Palestinien qui demande qu’Israël soit tenu responsable de ses crimes dans les territoires occupés, à celui qui réclame la fin de l’apartheid israélien, en passant par celui qui a écrit un poème.

L’emprisonnement humiliant de la poétesse palestinienne Dareen Tatour en est un bon exemple. Cette dernière, citoyenne israélienne, a été jetée en prison en 2015 par décision de justice pour avoir écrit un court poème intitulé “Résiste, mon peuple, résiste-leur”.

À en juger par l’expérience passée, il ne fait aucun doute que le projet de “loi Facebook” vise presque exclusivement les Palestiniens. Et, à en juger par les succès précédents d’Israël, il ne fait pas non plus de doute que la plupart des sociétés de médias numériques et sociaux se plieront aux demandes d’Israël de censurer les Palestiniens partout dans le monde.

Dans son rapport du 11 janvier, le Centre arabe pour l’avancement des médias sociaux – 7Amleh – a détaillé certaines des pratiques d’Israël pour surveiller, réduire au silence, et espionner les Palestiniens.

Le rapport de 7Amleh, intitulé “Hashtag Palestine 2021”, dénonce l’utilisation accrue des technologies de surveillance, en particulier dans le contexte d’une proposition de loi israélienne qui étendrait l’utilisation des caméras de reconnaissance faciale dans les espaces publics.

Il faut noter que ces technologies sont déjà utilisées contre les Palestiniens aux points de contrôle militaires israéliens en Cisjordanie depuis au moins deux ans.

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En outre, le logiciel espion israélien Pegasus, qui a récemment fait les gros titres dans le monde entier pour avoir servi à espionner de nombreuses personnalités, est également utilisé depuis longtemps contre des activistes palestiniens.

En d’autres termes, la Palestine continue d’être le terrain d’expérimentation de toutes sortes de violations israéliennes des droits humains, qu’il s’agisse de nouvelles armes, de contrôle des foules ou de surveillance.

Comme de bien entendu, ce qui s’applique aux Palestiniens qui réclament leur liberté sur Internet ne s’applique pas aux Israéliens qui incitent à la violence et à la haine contre ces mêmes Palestiniens. Selon l’”Index du racisme et de l’incitation” de 7Amleh, publié en juin dernier, pendant la guerre israélienne contre la bande de Gaza assiégée et les violences anti-palestiniennes qui ont suivi dans toute la Palestine en mai 2021, “l’incitation en hébreu contre les Arabes et les Palestiniens est 15 fois plus importante” que l’année précédente à la même période.

Ces abus ont été largement passés sous silence, et l’objectif de la proposition de “loi Facebook”, et de la sinistre Cyber Unité n’est certainement pas de les combattre. Pour Gideon Sa’ar et ses semblables, les incitations anti-palestiniennes et les violences que subissent au quotidien les Palestiniens sous occupation, ne sont pas un problème.

Le silence complice de la communauté internationale qui permettait déjà à Israël de perpétuer son occupation militaire de la Palestine, de consolider son apartheid et de renforcer son contrôle sur la vie des Palestiniens partout dans le monde, va-t-il maintenant aussi s’étendre au contrôle israélien du domaine numérique ?

Tout cela est intolérable. Les organisations de la société civile, les militants et les citoyens du monde entier doivent s’élever contre ce scandale.

D’autant plus que, comme les expériences de Pegasus et des technologies de surveillance par reconnaissance faciale nous l’ont appris, ce qui est testé sur les Palestiniens finit souvent par être normalisé et appliqué partout ailleurs.

Il faut dénoncer les violations israéliennes des droits humains en Palestine, car, je le redis, ces violations, si elles sont normalisées, deviendront notre quotidien, où que nous soyons dans le monde.

Auteur : Ramzy Baroud

Ramzy Baroud

* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie.
Visitez son site web: www.ramzybaroud.net et son compte Twitter.

22 janvier 2022 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…