Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin (à droite), accueille le ministre israélien de la Défense,
Benjamin Benny Gantz (à gauche), au Pentagone, jeudi.
(Yasin Ozturk / Anadolu Agency via Getty Images)

Par Branko Marcetic

De hauts responsables israéliens, actuellement en visite officielle à Washington, font pression pour une action militaire américaine contre l’Iran. Il s’agit d’une provocation dangereuse qui devrait faire l’objet d’une information générale.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Si vous cherchez, vous ne trouverez pratiquement aucun article dans les médias américains sur les hauts responsables israéliens qui se sont rendus à Washington cette semaine pour demander des frappes militaires contre l’Iran, augmentant ainsi le risque de déclencher une guerre. Pourtant, c’est exactement ce qui s’est passé.

La presse israélienne a largement rapporté cette semaine que le ministre de la Défense, Benny Gantz, et le chef des services d’espionnage, David Barnea, avaient rencontré jeudi des responsables de l’administration Biden afin de faire pression en faveur d’une politique américaine plus agressive à l’égard de l’Iran, alors que des négociations difficiles ont repris cette semaine sur le rétablissement du Plan d’action global conjoint (JCPOA), ou accord sur le nucléaire iranien, signé en 2015. Selon les rapports, Gantz et Barnea ont insisté auprès des responsables américains pour qu’ils soutiennent les efforts visant à rétablir l’accord par une démonstration de force sous la forme de sanctions plus sévères, voire de frappes sur des cibles iraniennes.

Cette pression est une réponse aux demandes plus agressives du nouveau gouvernement conservateur iranien dans les négociations de la semaine dernière, exigeant d’abord que tout ce qui a été couvert dans les négociations passées soit sur la table pour une renégociation, avant de revenir quelque peu sur cette position dimanche. Mais elle s’inscrit également dans un schéma d’agression israélien, les responsables ayant menacé à plusieurs reprises et parfois mené à bien des attaques contre des cibles iraniennes au cours des négociations bloquées cette année, la plus récente ayant touché mardi une cargaison d’armes iraniennes en Syrie.

Il est peu probable qu’Israël tienne bon seul dans un conflit militaire avec l’Iran – en fait, même l’armée américaine aurait du mal – ou qu’il mène une attaque à l’intérieur des frontières iraniennes sans le feu vert des États-Unis. D’où la nécessité de convaincre les responsables de Biden de cette idée. Mais les attaques d’Israël à l’extérieur des frontières de l’Iran ont à elles seules le potentiel d’enflammer un conflit plus grave, comme lorsqu’une frappe d’octobre sur les forces soutenues par l’Iran en Syrie a conduit, pour la première fois, à une attaque contre une base américaine dans ce pays en proie au conflit, aux mains de complices iraniens présumés.

La politique iranienne a été l’un des points centraux des interventions israéliennes dans la politique américaine – ou ce que l’on appelle, dans d’autres contextes, « cibler notre démocratie ». Si certaines de ces interventions ont été infructueuses, comme lorsque l’ancien Premier ministre de droite dure Benjamin Netanyahou a publié un discours sans précédent au Congrès pour plaider contre l’accord sur l’Iran avant qu’il ne soit approuvé, d’autres ont fonctionné, comme lorsque le lobbying israélien a persuadé Donald Trump de se retirer de l’accord en 2018, ce que les responsables israéliens regrettent aujourd’hui ouvertement.

Joe Biden et Israël sont maintenant dans un dilemme qu’ils ont largement créé. Les faucons israéliens étaient farouchement opposés à l’accord depuis des années, et leur pression réussie pour que Trump viole d’abord l’accord, puis s’en retire entièrement alors que l’Iran était conforme, a déchiré toute confiance construite entre les deux nations tout en jetant un doute sur la fiabilité de Washington en tant que partenaire diplomatique. Elle a également sapé le précédent gouvernement réformateur d’Hassan Rouhani, portant au pouvoir, lors des élections de juin, les partisans actuels de la ligne dure, qui étaient ouvertement sceptiques à l’égard de l’accord.

En outre, bien qu’elle se soit engagée à annuler le retrait de Trump et à rétablir l’une des réalisations phares de l’ancien président Barack Obama en matière de politique étrangère, l’administration Biden, peut-être avec un œil sur la politique intérieure, a maintenu une position intransigeante. Biden a insisté sur le maintien des sanctions américaines, pivot de l’accord pour l’Iran, qui paralysent son économie depuis des années et exacerbent ses souffrances face à la pandémie.

Bien que l’imposition de sanctions par Trump en 2017 a d’abord violé l’accord, conduisant l’Iran à intensifier son enrichissement d’uranium en représailles depuis lors – et malgré le fait que Washington et Israël ont procédé à deux assassinats majeurs distincts de responsables iraniens – l’administration a insisté pour que l’Iran fasse les premières concessions. Puis, juste avant les élections iraniennes, elle aurait refusé de s’engager pour le reste du mandat de Biden à ne pas revenir sur l’accord, à la manière de Trump, si l’accord est rétabli et que l’Iran reste conforme.

Pour sa part, l’Iran continue d’insister sur le fait que l’enrichissement de l’uranium se fait à des fins entièrement pacifiques, qu’il ne cherche pas à se doter d’une arme nucléaire et qu’il est toujours membre du traité de non-prolifération nucléaire. Israël, dont on sait qu’il possède au moins des dizaines d’armes nucléaires et qui rejette depuis longtemps tout accord antinucléaire régional, ne l’est pas. Il convient également de noter qu’il y a quelques mois à peine, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont conclu un accord qui place des sous-marins à propulsion nucléaire dans le Pacifique Sud, suscitant l’inquiétude quant à sa violation du précédent en matière de non-prolifération et exploitant potentiellement une faille qui permet aux matières fissiles utilisées dans les réacteurs navals d’échapper aux inspections.

Quoi qu’il en soit, le silence relatif des médias américains sur la nouvelle selon laquelle les responsables israéliens tentent de faire pression sur Washington pour qu’elle adopte une attitude agressive envers l’Iran, qui pourrait dégénérer en guerre, contraste fortement avec l’obsession permanente de la presse pour les tentatives d’intervention du Kremlin dans la politique américaine. Cet effort particulier n’a donné lieu à aucune concession politique à la Russie pendant les quatre années où Trump a été président, contrairement à l’ingérence politique d’Israël aux États-Unis, qui continue d’être plus répandue, normalisée et réussie que celle de n’importe quel autre gouvernement étranger. Pourtant, cela n’est pas considéré comme scandaleux par la presse de l’establishment, même si cela pourrait nous conduire à la guerre.

A propos de l’auteur

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme d’hier, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 11-12-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
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