Un drapeau sur une barrière de la prison israélienne d’Ofer, le 12 juillet 2021 (AFP)

Par Tal Steiner

Malgré les 1 300 plaintes pour torture au cours des vingt dernières années, aucun interrogateur du Shin Bet n’a été mis en examen

Haaretz a récemment publié un article sensationnel qui aurait pu être directement tiré d’une série policière : les procureurs israéliens ont abandonné toutes les charges pesant contre trois habitants arabes de Jaffa qui avaient avoué la violente agression d’un soldat lors d’un interrogatoire par le Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien. Les images provenant des caméras de sécurité avaient prouvé qu’ils n’étaient même pas sur les lieux. 

Qu’est-ce qui a pu amener ces innocents à avouer un crime qu’ils n’ont pas commis, ce qui aurait pu les conduire en prison pour de nombreuses années ? Pour ceux d’entre nous qui ont affaire au quotidien aux méthodes du Shin Bet, la réponse coule de source : la torture.

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Un rapport d’enquête diffusé sur Hamakor (organisation israélienne à but non lucratif) la semaine dernière n’a fait que confirmer ce que nous avions déjà déduit logiquement. Les détenus étaient soupçonnés de délit sécuritaire au pic d’une crise nationale ; il s’agissait de citoyens palestiniens d’Israël. Ils ont été placés en détention et interrogés par le Shin Bet. Donc, ils ont été torturés. 

Pourquoi est-ce si évident pour nous ? Dans la mesure où les interrogateurs du Shin Bet savent parfaitement que le système judiciaire israélien, notamment les tribunaux, va couvrir leurs méfaits, la torture est toujours une option.

Sur les 1 300 plaintes pour torture déposées contre les interrogateurs du Shin Bet depuis 2001, seules deux ont abouti à des enquêtes pénales et aucune n’a donné lieu à une mise en examen.

Les enquêtes ont été closes dans les deux cas les plus sérieux portés à notre connaissance ces dernières années : celui de Samer Arbid, quasiment torturé à mort et celui d’une jeune Palestinienne qui a fait l’objet d’une fouille à nu invasive et contrainte. Les responsables n’ont pas été poursuivis.

Statistiques honteuses

Le recours à la torture, se limitant autrefois aux Palestiniens des territoires occupés, a fait son chemin jusqu’aux interrogatoires des citoyens palestiniens d’Israël et même des juifs dans le cas d’Amiram Ben-Uliel, dont la condamnation pour le meurtre de la famille Dawabshe reposerait sur des aveux extorqués sous la torture.

Un monde où la torture est possible est en définitive un monde où personne n’est susceptible d’être épargné. Cette leçon a été apprise de la plus dure des façons par les anciens accusés de Jaffa, ainsi que par bien d’autres citoyens palestiniens d’Israël lors du mois sanglant de mai.

Un activiste reproduit l’une des techniques utilisées pour extorquer des informations aux prisonniers dans les prisons israéliennes à Tel Aviv en 2004 (AFP)

Les méthodes de torture révélées dans la dernière enquête ne diffèrent pas de celles utilisées dans des dizaines de témoignages rassemblés chaque année par le Comité public contre la torture en Israël : passages à tabac, immobilisations douloureuses, privation de sommeil, privation de nourriture, menaces contre les membres de la famille du détenu, isolement et refus d’accès à un avocat. Tout cela constitue des pratiques connues du répertoire du Shin Bet.

Comment mettre un terme à cela ? Comment pouvez-vous pouvons-nous amorcer un changement de ces statistiques honteuses : zéro mise en examen après 1 300 plaintes ?

Tout d’abord, les députés doivent adopter un texte qui interdit sans équivoque le recours à la torture, que ce soit contre les ressortissants d’Israël ou non. Cette loi doit stipuler qui est la société israélienne rejette totalement la torture, tout en s’assurant que ceux qui emploient de telles méthodes aient des comptes à rendre.

Si la loi israélienne requiert une documentation audiovisuelledes interrogatoires de police pour les crimes graves,

le Shin Bet en est exempté

Si la loi israélienne requiert une documentation audiovisuelle des interrogatoires de police pour les crimes graves, le Shin Bet en est exempté.

Par ailleurs, les interrogatoires du Shin Bet doivent être filmés.

Ainsi, la quasi totalité des plaintes proviennent de situations avec des témoignages contradictoires et les enquêteurs prennent inéluctablement la parole des agents du Shin Bet pour argent comptant sans prêter foi au témoignage des prisonniers qui osent porter plainte. 

Ce n’est pas un hasard si, dans les deux affaires isolées mentionnées plus haut, le recours à la torture a été révélé et a entraîné des enquêtes pénales plutôt que d’être closes après des « examens préliminaires » superficiels.

Dans l’affaire de Jaffa, sans l’ingéniosité des conseillers juridiques de l’un des accusés qui ont obtenu les vidéos, ils auraient probablement été condamnés à de longues peines de prison pour un crime qu’ils n’avaient pas commis.

Seule une documentation complète des interrogatoires du Shin Bet permettra à ceux qui disent avoir fait l’objet de tortures de prouver leurs dires. Sans cela, il est malheureusement inévitable que les prochains faux aveux ne soit qu’une question de temps.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

– Tal Steiner est la directrice générale du Comité public contre la torture en Israël.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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Publié le 7 décembre 2021 avec l’aimable autorisation de Middle East Eye

Source : MEE
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