Des soldats américains du 4e bataillon, 118e régiment d’infanterie, 30th Armored Brigade Combat Team, North Carolina Army National Guard, rattachés à la 218th Maneuver Enhancement Brigade, South Carolina Army National Guard, fournissent des véhicules de combat M2A2 Bradley pour le soutien à la Combined Joint Task Force-Operation Inherent Resolve (CJTF-OIR) dans l’est de la Syrie, le 10 novembre 2019. Les troupes d’infanterie mécanisée s’associeront aux Forces démocratiques syriennes pour vaincre les restes de l’EI et protéger les infrastructures essentielles dans l’est de la Syrie. (Photo de la réserve de l’armée américaine par le Spc. DeAndre Pierce)

Par Paul R.Pillar

De temps en temps, on nous rappelle que les troupes américaines se trouvent encore dans des endroits où elles ont soi-disant cessé de participer aux « guerres éternelles ». En général, ce rappel prend la forme d’attaques contre ces troupes. Même si la description officielle des membres des services est qu’ils ne sont pas engagés dans un combat, ils se font néanmoins tirer dessus. C’est le cas d’une série d’attaques récentes contre des installations habitées par les 2 500 soldats américains en Irak et les près de 1 000 en Syrie.

Source : Responsible Statecraft, Paul R.Pillar
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La plupart des Américains auraient probablement du mal à définir la mission que ces troupes sont censées accomplir. Officiellement, la mission déclarée consiste à empêcher toute résurgence du groupe connu sous le nom d’État islamique ou EI. Mais l’Iran continue de faire partie de la réflexion officielle. L’envoyé de l’administration Trump pour la Syrie a déclaré que l’une des raisons de la présence des États-Unis en Syrie était de faire sortir l’Iran de ce pays – sans expliquer comment le premier était censé accomplir le second. Et sous l’administration actuelle, l’Iran est fréquemment mentionné dans presque tous les commentaires officiels sur l’Irak et la présence militaire américaine dans ce pays.

La double mission de contrer l’EI et l’Iran conduit immédiatement à une contradiction. Ces deux acteurs se sont trouvés dans les camps opposés des conflits les plus féroces de ces dernières années, tant en Irak qu’en Syrie. L’Iran a été la plus importante source d’aide extérieure au régime irakien dans sa lutte contre l’EI. De même, il a été l’un des deux plus grands soutiens extérieurs (l’autre étant la Russie) du régime syrien.

La tâche de contrer l’EI est bien différente de ce qu’elle était il y a quelques années, lorsque le groupe avait établi un petit État de facto sur de vastes étendues de territoire dans l’ouest de l’Irak et le nord-est de la Syrie. Le « califat » de l’EI n’existe plus. Du point de vue des intérêts américains, la principale préoccupation restante au sujet de l’EI devrait moins porter sur les opérations militaires conventionnelles que sur les ressentiments que le groupe peut exploiter dans le but d’éventuelles opérations terroristes contre les États-Unis. L’histoire a montré qu’un des principaux ressentiments exploitables à la base du terrorisme international est la présence de troupes étrangères qui en vient à être perçue – comme la présence américaine en Irak en particulier – comme une occupation militaire.

Au début de la guerre civile en Syrie, le régime Assad, assiégé, s’est félicité de la présence de l’EI pour faire croire au monde que le régime luttait contre des terroristes internationaux. Cette situation a également beaucoup changé, le régime étant revenu de sa situation précaire antérieure et étant désormais plus soucieux d’éliminer les dernières poches de résistance à son pouvoir. Le régime Assad et l’EI sont désormais activement engagés l’un contre l’autre en tant qu’ennemis sur le champ de bataille. Le régime peut aussi honnêtement se présenter comme luttant contre des terroristes internationaux, car la principale poche de résistance au régime, dans la province d’Idlib, est dominée par une filiale d’Al-Qaïda. Dans la mesure où la politique américaine à l’égard de la Syrie et la présence militaire dans ce pays conservent une orientation anti-régime, il est difficile de voir comment cela sert l’objectif de la lutte contre le terrorisme.

Pour ce qui est de contrer l’Iran, le maintien des troupes en Irak néglige des aspects pertinents du sentiment irakien et de la politique irakienne. Le fort nationalisme irakien s’oppose à toute présence militaire étrangère sur le sol irakien, que cette armée vienne de l’Est ou de l’Ouest. Il y a deux ans, au milieu des chants « Bagdad est libre, dehors l’Amérique », le parlement irakien a voté en faveur de l’expulsion de toutes les troupes étrangères. Bien que Bagdad et Téhéran aient de bonnes raisons de maintenir des relations suffisamment cordiales pour éviter que la guerre Iran-Irak des années 1980 ne se reproduise, le même nationalisme irakien s’opposera à la présence et à l’influence de l’Iran sur le sol irakien.

Les élections parlementaires irakiennes de l’automne dernier, dont les résultats ont été annoncés en décembre, renforcent ce point. Le principal vainqueur a été le religieux chiite Muqtada al-Sadr, qui a battu les partis associés aux milices considérées comme pro-iraniennes. Al-Sadr était considéré comme un ennemi des États-Unis dans l’insurrection qui s’est développée après l’invasion américaine en 2003, mais il est maintenant le principal rempart contre l’influence iranienne en Irak.

En Syrie, le régime ayant largement remporté la guerre civile avec l’aide de ses alliés russes et iraniens, la tolérance syrienne à l’égard d’une présence russe et iranienne continue et importante sera fonction de la mesure dans laquelle ce qui reste de la guerre s’éternise et le régime ne parvient pas à reprendre le contrôle de tout le territoire syrien. Les troupes américaines campant sur le sol syrien, loin d’inciter Damas à repousser les Iraniens, risquent d’avoir l’effet inverse. Il en va de même pour les assauts aériens israéliens continus sur le territoire syrien.

Parallèlement, le maintien des troupes américaines en Irak et en Syrie entraîne d’autres coûts et risques, en plus du ressentiment qui stimule le terrorisme et de l’incitation à garder les Iraniens ou les Russes dans les parages. Le plus évident est que les citoyens américains sont en danger et peuvent être blessés. Heureusement, les attaques les plus récentes n’ont pas fait de victimes américaines, mais il est arrivé que les membres des services américains présents dans ces pays n’aient pas cette chance.

La présence américaine présente également le risque d’une escalade militaire. Les États-Unis riposteront, comme ils l’ont fait cette semaine en ciblant un site de lancement de missiles en Syrie qui était considéré comme « une menace imminente » pour un campement voisin habité par des Américains. Des représailles de représailles peuvent entretenir une spirale d’escalade.

Malgré ce risque, l’armée américaine reste souvent assez floue sur les personnes sur lesquelles elle tire. Le porte-parole du Pentagone n’a pas pu ou voulu dire qui a utilisé ce site de lancement de missiles en Syrie. Un communiqué de l’opération Inherent Resolve a attribué l’attaque précédente contre la base américaine en Syrie à des « acteurs malveillants soutenus par l’Iran ». Ce seul adjectif malveillant élimine toute considération des raisons pour lesquelles les troupes américaines subissent des tirs – et encore moins pourquoi elles devraient se trouver dans un endroit où elles encourent un tel danger – et implique sans preuve que l’adversaire, quel qu’il soit, cherche à nuire aux Américains en toute circonstance.

La présence continue des troupes américaines en Irak et en Syrie est devenue l’équivalent mortel d’un « self licking ice cream cone ». Elles sont censées contrer une menace de l’Iran, mais la seule menace identifiable est celle qui pèse sur les troupes elles-mêmes. Ce raisonnement circulaire pervers n’est pas une raison valable pour maintenir les membres des services américains en Irak et en Syrie. Ils devraient rentrer chez eux.

Source : Responsible Statecraft, Paul R.Pillar, 10-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
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