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Par Nicolas Boeglin

Le 18 octobre, un projet de résolution (texte S/2023/773) sur la situation à Gaza présenté au Conseil de Sécurité des Nations Unies a fait l’objet d’un veto de la part des Etats-Unis (voir cette note de presse publiée en Inde et le communiqué de presse officiel de l’ONU).

Il s’agit du deuxième exercice au cours duquel le Conseil de Sécurité tente de se mettre d’accord sur un texte entre ses membres, après l’échec d’une initiative proposée par la Russie ces derniers jours.

Depuis le 7 octobre, malgré le caractère explosif de la crise qui secoue le Moyen-Orient au fil des jours, le Conseil de Sécurité cherche une formule qui lui permette de s’exprimer sur le sujet dans un texte.

Le vote en bref

Le détail du vote du 18 octobre 2023 fait état de 12 voix pour, 2 abstentions (Russie et Royaume-Uni), et un votre contre : les Etats-Unis confirment une nouvelle fois leur profonde solitude lorsqu’il s’agit de faire référence à Israël vis-à-vis des membres de la communauté internationale. 

Du côté latino-américain, le Brésil (auteur du texte) et l’Équateur ont voté en faveur du texte, tout comme la France et la Chine.

Entre autres aspects, le texte proposé par le Brésil, qui a conduit son ministre des affaires étrangères à annoncer sa présence en personne à New York pour conduire les débats (voir le communiqué de presse brésilien), condamnait l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre et la prise d’otages, exigeait une trêve humanitaire et l’arrêt de l’ordre israélien d’évacuer plus de 1,1 million d’habitants de Gaza. Il exigeait également la mise en place de corridors humanitaires à l’intérieur de Gaza, ainsi que le rétablissement de l’approvisionnement en énergie et en eau de la population de Gaza. 

Le texte indiquait également l’obligation pour le Hamas et Israël de respecter le droit international humanitaire  au moment de mener des actions militaires, en particulier à Gaza, dont la population civile souffre énormément des effets de chaque bombardement israélien, en raison de la forte densité de population dans la bande de Gaza.

Ce communiqué officiel  des Nations Unies détaille les explications de vote de plusieurs des Etats qui siègent actuellement au Conseil de Sécurité, en particulier celui des Etats-Unis, et les raisons invoquées pour ne pas voter en faveur de la résolution.

Dans son intervention (voir texte complet), le délégué du Brésil au Conseil de Sécurité n’a pas hésité s’exprimer comme suit :

« We are grateful to all Council members who engaged with us since last Friday and demonstrated a sincere and practical commitment to multilateralism. Sadly, very sadly, the Council was yet again unable to adopt a resolution on the Israeli-Palestinian conflict. Again, silence and inaction prevailed. To no one’s true, long-term interest ».

Pour sa part, le délégué français a déclaré dans son intervention (voir texte complet) que :

« C’est pour ces raisons que la France a voté en faveur de la résolution mise au vote aujourd’hui par le Brésil. Ce projet condamnait sans ambiguïté les actes de violence et de terrorisme à l’encontre des populations civiles, et demandait l’ouverture urgente d’un accès humanitaire à Gaza. Les civils qui souhaitent pouvoir sortir doivent pouvoir le faire. Et le Hamas ne doit pas les en empêcher. La France remercie le Brésil pour son initiative et son rôle de coordination,Israéliens et Palestiniens méritent de vivre en paix et en sécurité 

 …/…

Les événements de ces derniers jours confirment, s’il en était encore besoin, l’urgence d’un règlement politique au conflit israélo-palestinien. Les conditions d’une paix durable sont connues : ce sont des garanties indispensables pour la sécurité d’Israël et un Etat pour les Palestiniens. Les aspirations légitimes des Palestiniens et la sécurité d’Israël forment un tout indissociable. C’est la ligne que la France a toujours défendue et qu’elle continuera de porter. Nous devons nous mobiliser collectivement afin d’y parvenir ».

Une légère impression de déjà-vu

Ce n’est pas la première fois que les États-Unis votent seuls au Conseil de Sécurité lorsqu’il s’agit de discuter de la manière particulière dont les autorités israéliennes agissent, en défiant ouvertement les normes les plus élémentaires du droit international public : 

– lors de sa réunion du 1er juin 2018, pour un texte proposé par le Koweït (voir hyperlien menant au document S/2018/516) condamnant l’usage disproportionné de la force par Israël contre des manifestants palestiniens non armés lors de ce qui a été appelé « La Grande Marche« , le vote obtenu a été de 10 voix pour, 1 voix contre (États-Unis) et 4 abstentions (Ethiopie, Pays Bas, Pologne et Royaume Uni): voir compte rendu de séance S/PV.8274.

– lors de sa réunion du 19 décembre 2017, à l’occasion d’un texte proposé par l’Égypte condamnant le transfert des ambassades dans la ville de Jérusalem (voir hyperlien du document S/2017/1060), le vote enregistré a été de 14 voix pour et une seule et unique voix contre (États-Unis) : voir compte rendu de séance S/PV.8139.

Cette solidarité  » à toute épreuve « , très évidente et très explicite, explique en grande partie le profond rejet des États-Unis que l’on peut observer dans différentes parties du monde, notamment dans les États arabes. 

En ce qui concerne le vote de décembre 2017, il convient de noter que les États-Unis ont ouvert leur ambassade à Jérusalem le 14 mai 2018 : une décision qu’aucun président américain avant Donald Trump ne s’était risqué à prendre, et sur laquelle l’actuel occupant de la Maison Blanche ne semble pas vouloir revenir.

Les données sur les pertes en vies humaines et les blessés à Gaza 

Le dernier décompte ou état de la situation au 17 octobre 2023 du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations unies (OCHA, voir site officiel) fait apparaître le bilan suivant depuis le début du décompte des morts et des blessés le 7 octobre en Israël et à Gaza :

– du côté palestinien, 3 000 personnes ont été tuées et 12 500 blessées à Gaza, auxquelles il faut ajouter – en Cisjordanie – 61 morts et 1 230 blessés. 

– du côté israélien, 1300 personnes ont été tuées et 4229 blessées.

La même description de la situation un jour plus tôt, le 16 octobre 2023, présentait le bilan suivant :

– du côté palestinien, 2808 personnes décédées et 10850 blessées à Gaza, tandis que du côté israélien, 2808 personnes décédées et 10850 blessées. 

– du côté israélien, 1 300 personnes décédées et 4 121 blessées.

Le 12 octobre, Human Rights Watch a dénoncé l’utilisation par Israël de phosphore blanc à Gaza et lors des récentes actions militaires au Liban (voir le rapport) en indiquant que :

« The use of white phosphorus in Gaza, one of the most densely populated areas in the world, magnifies the risk to civilians and violates the international humanitarian law prohibition on putting civilians at unnecessary risk« .

Comme on peut le constater, la réaction militaire israélienne ne semble pas se limiter à l’objectif officiel selon lequel il s’agit uniquement de détruire les infrastructures, les équipements et les centres de commandement du Hamas à Gaza et d’éliminer physiquement ses principaux dirigeants.

Quelques détails sémantiques et mises en garde non suivies d’effet

La position isolée des Etats-Unis et le rejet croissant que ce nouveau veto américain va provoquer dans de nombreuses opinions publiques, notamment dans certains Etats arabes mais aussi en Afrique, en Amérique Latine, en Asie et en Europe, rend la situation encore plus risquée pour Israël. 

Loin de calmer les esprits, ce veto américain les attise : d’autres ambassades israéliennes et américaines risquent d’être assiégées par des foules indignées dans diverses parties du monde dans les prochains jours, suite aux événements observés dans la soirée du 17 octobre dans certaines capitales. Alors qu’Israël a demandé à ses ressortissants de quitter la Turquie (voir note de presse du Times of Israel), les Etats Unis ont pris une décision identique pour les leurs au Liban (voir note de presse de l’ Orient-Lejour), tandis que des drones ont été abattus proches de la base nord-américaine en Irak (voir note de presse de La Presse).

Récemment, un Rapport de la Commission Internationale Indépendante des Nations Unies daté du 3/09/2023 (document A/78/198, disponible sur le web dans les différentes langues officielles des Nations Unies), contient des conclusions dans les paragraphes 65 – 77 d’un grand intérêt  sur la situation au Moyen Orient, et dont nous recommandons la lecture complète. 

En particulier, nous lisons que :

« 65. La Commission juge que les opérations de maintien de l’ordre de plus en plus militarisées et les attaques répétées dans la bande de Gaza visent à maintenir l’occupation israélienne illégale qui dure depuis 56 ans et servent à affaiblir l’opposition à l’occupation (ou sont utilisées à cette fin), en fragmentant la cohésion politique, économique et sociale des Palestiniens, en refusant l’autodétermination du peuple palestinien et en empêchant en fin de compte la création d’un État palestinien libre. Les incursions militaires régulières et les attaques aériennes dans la bande de Gaza, ainsi que les opérations militarisée de maintien de l’ordre en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, ont des effets dévastateurs qui touchent principalement les civils et font de plus en plus de morts et de blessés. Elles touchent en premier lieu les hommes et les garçons, mais ont aussi les femmes et les filles, qui doivent assumer le rôle de principal soutien de leur famille et prendre soin des autres membres de la famille.

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72. La Commission note qu’en appliquant largement le cadre régissant la conduite des hostilités aux opérations de maintien de l’ordre, les autorités israéliennes semblent chercher à appliquer la notion de participation directe aux hostilités à tous les civils palestiniens prenant part à toute forme d’activité d’opposition, y compris les protestations pacifiques et légitimes. L’absence de distinction entre les opérations de maintien de l’ordre et le conflit armé se traduit par des règles d’engagement beaucoup plus permissives, qui conduisent à tuer et à blesser davantage de civils palestiniens. La Commission estime que l’application du cadre régissant la conduite des hostilités vise également à diminuer la responsabilité effective et à exempter l’État de l’obligation d’indemniser les victimes que lui impose le droit israélien.

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77. La Commission conclut que les incursions militaires et les attaques aériennes répétées dans la bande de Gaza, qui se produisent désormais chaque année, doivent être considérées dans le contexte plus large de l’occupation israélienne, à laquelle Israël n’a pas l’intention de mettre fin. Ces opérations sont au fondement des politiques de séparation et d’isolement qu’Israël applique à la bande de Gaza et s’inscrivent dans le prolongement de ses politiques d’annexion de facto en Cisjordanie. Les autorités israéliennes tirent parti du clivage politique entre le Hamas et l’Autorité palestinienne pour mieux promouvoir leurs politiques de séparation, d’isolement et de fragmentation, dans le but de détourner l’attention de l’occupation permanente et des homicides qui touchent la population civile, principale victime de ce conflit ».

Il semble que les autorités israéliennes actuelles, en annonçant qu’elles veulent  » venger  » les 1300 personnes décédées le 7 octobre 2023 lors de l’attaque du Hamas survenue en territoire israélien, visent à mener une action militaire punitive à grande échelle contre la population civile de Gaza. 

A cette fin, les plus hautes autorités israéliennes ont, dans certaines de leurs déclarations, intentionnellement associé l’ensemble de la population de Gaza au Hamas, y compris  en utilisant les mots suivants de la part d’un haut responsable comme l’est le ministre de la défense, dans un tweet le 9 octobre :

« I have ordered a complete siege on the Gaza Strip. There will be no electricity, no food, no fuel, everything is closed. We are fighting human animals and we act accordingly « .

Un autre élément de langage notoire depuis le 7 octobre 2023 que l’on entend dans pratiquement chaque déclaration officielle israélienne est ‘association faite entre le Hamas et l’État islamique.

En guise de conclusion

Au-delà des exercices sémantiques auxquels se livrent les plus hautes autorités israéliennes, dénotant leur stratégie de communication afin de rendre l’inacceptable plus acceptable, Israël semble être victime de ses propres maladresses. 

En effet, le ton et l’attitude radicale de ses autorités actuelles permettent de prédire assez facilement leurs actions, une situation dont le Hamas et d’autres groupes semblent avoir profité.  A cet égard, nous avons déjà eu l’occasion d’indiquer dans une note précédente, dans laquelle nous analysions la réaction disproportionnée et le caractère indiscriminé des attaques d’Israël à Gaza en réponse à l’attaque du 7 octobre par le Hamas (voir notre note intitulée  » El ataque de Hamás desde Gaza y el « asedio total » de Gaza anunciado como respuesta israelí: algunos apuntes desde la perspectiva del derecho internacional público » ) que :

« Alors que les images glaçantes du drame que fait subir Israël aux civils palestiniens à Gaza circulent, il est possible que les actes d’hostilité envers la politique israélienne tendent à devenir encore plus radicaux à travers le monde. D’un simple point de vue stratégique, n’est-ce pas là le piège du Hamas dans lequel Israël semble être tombé ?

(traduction libre de l’auteur de : « Conforme las imágenes escalofríantes del drama al que Israel somete a la población civil palestina en Gaza circulen, es posible que los actos de repudio hacia la política israelí tiendan a radicalizarse aún más en todo el mundo. Desde un simple punto de vista estratégico ¿no será ésta la trampa que tendió Hamás en la que pareciera haber caído Israel? »).

Source : auteur
https://derechointernacionalcr.blogspot.com/…