Par Régis de Castelnau

Le désastre démocratique des élections régionales et départementales succédant au désastre démocratique des élections municipales impose de regarder les choses en face. Sans trop s’attarder sur le comportement invraisemblable d’Emmanuel Macron dont le parti, malgré son investissement (illégal) dans la campagne avec sa fameuse « tournée des régions » complaisamment et largement médiatisée, a réuni moins de 3 % des électeurs inscrits. Il a fallu attendre trois jours pour obtenir un commentaire répété par Gabriel Attal, perroquet attitré. Et assister à une pantalonnade musicale obscène dans la cour de l’Élysée pendant que sa police coursait par les villes et par les champs une jeunesse qui avait l’outrecuidance, après un an d’enfermement de vouloir s’amuser un peu. Ou bien cet homme ne se rend compte de rien, ou bien il s’en moque ce qui en dirait long sur le mépris qu’il porte au peuple français.

Autre motif d’effarement, la façon dont le mainstream politico-médiatique donnait à voir un simulacre, en tirant doctement les enseignements politiques d’un scrutin qui n’en a produit qu’un seul : la France n’est plus une république de démocratie représentative. Lorsque les jeunes de 18 à 25 ans refusent catégoriquement de s’impliquer dans cette forme de vie de la cité, lorsque l’abstention monte dans les villes les plus pauvres jusqu’à 95 % (!), rétablissant une forme de suffrage censitaire, lorsque des exécutifs locaux vont se retrouver confiés à des gens représentant moins de 10 % de la population, qui peut parler sérieusement d’une démocratie représentative fonctionnelle ? Il y a déjà de nombreuses années et en particulier depuis la forfaiture liée au référendum trahi de mai 2005 que la désaffection démocratique prenait de l’ampleur. Le point où nous en sommes arrivés a un caractère insupportable, car il fausse tout et prive l’ensemble des institutions de leur légitimité et par conséquent de leur autorité. Et l’institution d’un quorum (c’est comme ça que cela s’appelle) pour valider une élection proposée par Jean-Luc Mélenchon, ou l’instauration du vote obligatoire, autant de pansements sur une jambe de bois, n’y changeront rien.

La légitimité démocratique disparue

Revenons-en une fois encore à Max Weber qui a défini la dimension politique de cette légitimité. Pour lui, le concept se rapporte à la notion de reconnaissance sociale. C’est socialement, et non juridiquement, que se définit la légitimité. Même si dans une démocratie, le pouvoir (Macht) réside dans la domination (Herrschaft) rationnelle et légale, la légitimité vient d’abord du respect de la loi, c’est une condition première, nécessaire, mais pas suffisante. Or, dans les faits, le régime Macron est terriblement éloigné de cette exigence. Inconstitutionnalité et illégalité à tous les étages, et les psalmodies régulières de ses soutiens, passant leur temps à invoquer la soi-disant légalité formelle de son arrivée au pouvoir n’y changeront rien. D’abord parce que c’est faux, puisque cette élection a été manipulée et truffée d’atteintes au droit. Et en particulier, avec la touche finale apportée par la justice liquidant judiciairement le favori pour permettre l’accession de Macron à l’Élysée alors qu’il avait recueilli 16 % des inscrits au premier tour. Et les Français clairement ou confusément le savent, ce qui explique leur rejet largement majoritaire du locataire de l’Élysée, souvent assorti d’une haine sans précédent. Mais ensuite ce rejet provient aussi de ce qu’après l’élection, la légitimité démocratique doit se valider jour après jour par un exercice du pouvoir régulé et contrôlé, dans un dispositif institutionnel fonctionnant normalement. Or, ce n’est clairement pas le cas du système Macron. Ce qui empêche la reconnaissance sociale de ce pouvoir minoritaire comme viennent encore de le démontrer les régionales et départementales.

Parce que régulation et contrôle sont un des piliers de la démocratie représentative, celle dont Churchill disait que c’était le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Il s’agit d’un dispositif institutionnel minutieux et pragmatique qui doit organiser une domination de la majorité, fût-elle étroite, qui doit être acceptée par la minorité. Quelles sont les conditions impératives de cette acceptation ? D’abord, nous l’avons vu, que les représentants de la majorité prennent le pouvoir après une élection régulière dont la sincérité ne peut être mise en doute. Ensuite que ce pouvoir ait une durée limitée, pour que ce qui a été fait durant le mandat puisse être remis en cause après l’élection suivante en cas de changement. Et enfin que le pouvoir s’exerce dans un cadre strict qui est celui d’une Constitution et d’une organisation des pouvoirs publics qui prévoient séparation, équilibres et contrôles. Évitant ainsi les excès et validant en continu l’acceptation de la minorité battue lors du scrutin. Élaborée par Locke et Montesquieu, la théorie de la séparation des pouvoirs vise donc à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines. C’est cette organisation des pouvoirs publics qui s’applique chez nous depuis l’avènement de la IIIe République.

Donc pour qu’elle puisse imposer son point de vue à la minorité, il est nécessaire que les représentants élus parviennent au pouvoir dans des conditions régulières et après un scrutin que l’on peut qualifier incontestablement de « sincère ». Et que cela soit reconnu comme tel par le corps social. C’est ce qui construit la première branche de la « légitimité » des gouvernants. Nous avons vu ce que l’on pouvait penser de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, mais les scrutins suivants du fait d’une organisation chaotique comme l’ont été les municipales avec les deux tours éloignés de plusieurs mois, et maintenant régionales et départementales, et surtout d’une abstention qui les prive de sens ne peuvent pas être considérés comme des scrutins sincères.

Donc pour gouverner après l’élection régulière, il existe une deuxième branche de la légitimité. Même si l’on est régulièrement parvenu au sommet de l’État, il doit exister pendant la durée du mandat un système de check and balance, c’est-à-dire de contrôle en continu pour la préserver avec celle de tout le dispositif dans lequel on exerce le pouvoir. Cette deuxième branche est désormais inexistante dans le système Macron.

Nous allons voir que de la même façon que son arrivée au pouvoir était illégale et par conséquent illégitime, Macron exerce celui-ci dans un cadre qui n’a plus grand-chose à voir avec la légalité institutionnelle d’une démocratie représentative.

Une Constitution en lambeaux

Ayant perdu toute sa cohérence, la pauvre Constitution du 4 octobre 1958 est dans un triste état. Amoindrissement drastique de la souveraineté du pays au profit de l’UE, révisions (près de 30 !) visant systématiquement à en trahir l’esprit, volonté permanente de modifier notre texte fondamental qui est pourtant l’outil fondamental du fonctionnement de nos institutions, c’est une surenchère permanente. Notre Constitution est devenue un vague torchon que la classe politique considère comme le réceptacle de toutes ses démagogies et les gouvernants comme un colifichet inutile. Des 92 articles initiaux, il n’en reste aujourd’hui que 30 dans une Constitution qui en compte désormais 108. L’abaissement drastique de la valeur normative de la Constitution a ainsi permis à Emmanuel Macron de mettre en place un système à valeur de nouveau régime qui entretient des rapports très lointains avec un système légitime de démocratie représentative.

Le « pouvoir législatif » incarné par un parlement croupion enrégimenté par le pouvoir exécutif

La catastrophe institutionnelle provoquée par l’adoption du quinquennat voulue par Jacques Chirac combinée avec l’inversion du calendrier décidée par Lionel Jospin a complètement transformé le pouvoir législatif en France. Les élections législatives de juin 2017 ont vu un taux d’abstention colossal de près de 60 % des inscrits. L’Assemblée nationale n’a donc plus aucune représentativité politique, sociologique, sociale et économique digne de ce nom. Deux exemples qui démontrent l’inanité du système : les ouvriers et les salariés d’exécution des services sont autour de 40 % de la population active de notre pays ils ont… zéro représentant à l’Assemblée.

Ce parlement croupion, humiliant pour la France, est fort utile à Emmanuel Macron qui l’a complètement enrégimenté. Il n’est que de voir comment sont fixés les ordres du jour, proposés des textes liberticides adoptés sans aucune discussion véritable pour mesurer l’ampleur du désastre. Législatif et exécutif ne sont plus séparés dans notre pays.

Le ralliement à l’exécutif du pouvoir judiciaire

La question du « troisième pouvoir » se complique un peu en France dans la mesure où le « pouvoir judiciaire » le troisième de la trilogie de la séparation, s’exerce chez nous au travers de quatre ordres de juridictions constitutionnel, judiciaire, administratif, et financier. Coiffés chacun par une forme de Cour suprême. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…

C’est le seul « ordre judiciaire » celui coiffé par la Cour de cassation qui est qualifié dans la Constitution « d’Autorité judiciaire ». Mais ce sont les quatre qui exercent chacun pour sa part la mission de contrôle global que l’on peut qualifier de « pouvoir judiciaire ». Qui est là justement pour assurer les équilibres voulus par le principe de séparation des pouvoirs. Et c’est le ralliement de ces quatre ordres de juridiction, constitutionnel, judiciaire, administratif et financier au macronisme qui pose désormais un problème considérable.

La question du quatrième pouvoir, celui de la presse

La presse est considérée depuis fort longtemps comme un contre-pouvoir dans une démocratie représentative. C’est la raison pour laquelle sa liberté et ses privilèges sont protégés. Cela explique aussi le statut qui fut mis en place à la libération pour la faire échapper à l’emprise des grands pouvoirs économiques. Cette période est définitivement terminée. La grande presse française est entre les mains de neuf oligarques qui tiennent la presse écrite et audiovisuelle. Le rôle qu’ils ont joué à son avènement d’Emmanuel Macron est suffisamment clair pour que personne ne puisse avoir de doute concernant leur soutien à celui qui est directement leur représentant.

Toutes les études démontrent l’aversion et la défiance de l’opinion publique populaire pour cette presse, considérée comme aux ordres du pouvoir. Son attitude pendant la crise des Gilets jaunes et au moment des luttes contre la réforme de la retraite n’a pas été susceptible leur faire changer d’avis.

Et comme au ralliement de tous les organes juridictionnels de contrôle s’est ajouté celui des plus importantes Autorités administratives indépendantes et en particulier du CSA chargé du contrôle de l’audiovisuel. Qui ne voit aucun inconvénient par exemple à ce qu’en violation de la loi, le service public refuse le pluralisme pour relayer servilement la propagande de l’exécutif. Il n’y a plus en France de quatrième pouvoir digne de ce nom. Scrutins insincères sans valeur démocratique, pouvoirs séparés et institutions de contrôle ne fonctionnant plus, s’étant ralliés ou étant contrôlés par le pouvoir exécutif, on ne peut plus sérieusement prétendre que la République française est un système de démocratie représentative régulier.

Source : Vu du Droit
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