Par Philippe Tourel

En nommant François Gouyette ambassadeur de France en Algérie alors qu’il s’approchait de sa retraite, Emmanuel Macron croyait redynamiser les relations entre la France et l’Algérie caractérisées par un manque de confiance sans précédent. Alger accusait l’ancienne puissance coloniale d’ingérence dans ses affaires intérieures, de soutien à l’ancien régime et de manipulations de certains courants islamo-gauchistes qui menaient depuis l’Hexagone une guerre médiatique déstabilisatrice.

Par Philippe Tourel – Tunis

Après avoir exprimé sa méfiance vis-à-vis de la dernière élection présidentielle en Algérie en déclarant laconiquement qu’il avait « pris note de cette élection », au lieu de féliciter le nouveau président Abdelmadjid Tebboune, comme l’exigent les traditions diplomatiques entre états souverains, Emmanuel Macron, le président le plus mal élu de la Vème république, s’était vite rétracté et avait décidé d’ouvrir une nouvelle page dans les relations tumultueuses entre les deux pays. La raison de ce changement de posture de l’actuel locataire de l’Élysée est à chercher dans la réaction immédiate du chef de l’État algérien à l’égard de son homologue français qui, en invitant les autorités algériennes à « dialoguer avec le peuple » s’était permis une grossière et impardonnable intrusion dans le jeu démocratique algérien. Une faute protocolaire et politique lourde qui a amené Abdelmadjid Tebboune à lui rétorquer directement et sans porter de gants : « Je ne lui répondrais pas… Qu’il fasse la promotion de son idéal souhaité dans son pays, moi je suis élu par le peuple algérien et je ne reconnaîtrai que le peuple algérien »

Sans doute mal conseillé par son entourage dans cette affaire, Emmanuel Macron a depuis redoublé d’efforts pour rattraper cette « gaffe ». D’abord au niveau du langage politique, ensuite sur le plan mémoriel.

« Un cadeau empoisonné de Macron à l’Algérie »

La nomination de François Gouyette comme ambassadeur en Algérie en 2020 était, dans l’esprit du président français, un « geste », une « caution » de la nouvelle politique française envers ce pays. Les Algériens ont vite déchanté, voyant plutôt dans cette nomination « un cadeau empoisonné » de Macron.
Arabophone, marié à une algérienne, il était considéré comme proche de Jean-Pierre Chevènement, un ami de toujours de l’Algérie. Il était son conseiller lors de son passage au ministère de l’Intérieur. C’était aussi un diplomate qui a fait carrière dans de nombreux pays arabes et méditerranéens (Arabie saoudite, Chypre, Syrie, Turquie, Émirats, Tunisie, Union européenne chargé du processus de Barcelone..). Mais ce parcours cache mal son rôle dans la déstabilisation des pays arabes et notamment en Libye où il occupait le poste d’ambassadeur quand le changement de régime mené par la France de Sarkozy, le Royaume-Uni sous Cameron et les États-Unis sous Obama avait été décidé.

Plutôt qu’un chevènementiste sincère et conséquent, comme le présentent certains observateurs mal informés, l’actuel ambassadeur de France en Algérie, François is Gouyette est en fait plutôt « l’un des principaux responsables du chaos libyen », affirment des diplomates français qui l’avaient interrogé peu avant l’assassinat de Kadhafi dans le cadre d’une audition par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 8 mars 2011 (lire le compte-rendu de cette audition : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cafe/10-11/c1011041.asp)
Même Chevènement, son mentor supposé, s’était opposé à cette intervention à laquelle avait appelé l’ancien ambassadeur de Sarkozy. Intervenant au Sénat le 12 juillet, Chevènement a déclaré à propos du rôle de la France en Libye : « Nous avons franchi les bornes de la responsabilité de protéger, nous sommes dans l’ingérence ».

François Gouyette n’ignorait pas les risques incalculables de cette « printanisation de la Libye ». Il l’avait dit haut et fort devant les députés qui l’avaient interrogé ce fameux février 2011. Il savait qui fait quoi, notamment les islamistes d’Al-Qaïda et des Frères musulmans, main dans la main avec Bernard Henri-Lévy et les services français. Il savait que cela ne pouvait conduire qu’au chaos. Cela ne l’a pas empêché de servir ce plan diabolique qui a ouvert une boite de pandore d’où sont sortis les démons du terrorisme, du crime organisé, de l’immigration massive…

Il a même récidivé lors d’un colloque consacré aux printemps arabes en proférant des « prophéties » qui s’étaient avérées totalement fausses sur l’avenir de la Libye.

Dans un colloque intitulé « Un printemps arabe ? », tenu à Paris le 26 mai 2011 il a osé dire à propos de l’avenir de la Libye :

« Il s’agit donc bien d’un phénomène national. La réappropriation du drapeau de la Libye de l’Indépendance, brandi à Benghazi comme dans le pays berbère, à Zaouïa comme à Misurata, suffit à montrer qu’il n’y a pas de volonté de « partition » du pays de la part des insurgés.
Je vois régulièrement des Libyens de Tripoli, de la montagne. Ils n’aspirent qu’à une chose, la chute du régime et l’avènement d’une ère nouvelle. Le sentiment de solidarité qui unit les gens de Benghazi, les habitants de Misurata et les montagnards arabo-berbères de Zentan doit, me semble-t-il, être pris en compte. Il permet de faire fi d’un certain nombre de contre-vérités. » (https://www.fondation-res-publica.org/Intervention-de-Francois-Gouyette_a593.html)

Quelle perspicacité ! Dix ans après ce « printemps libyen », il suffit de regarder la carte du pays pour comprendre à quel point cette « révolution » a mis par terre l’état, l’armée, la cohésion sociale et installé le chaos dans le Maghreb, l’Afrique sahélienne et menacé même la sécurité de l’Europe et de la France.

A peine installé à Alger, l’ambassadeur Gouyette reprend ses approches printanières qui avaient, comme on le sait, semé la désolation, la terreur, le chaos partout où elles ont été mises en œuvre.

Profitant de l’absence du président, il s’est mis, depuis la dernière quinzaine du mois de novembre, à entamer des « consultations » dans sa résidence avec des personnalités et autres médias pour fantasmer sur de « dangereux scénarios » de vacance imaginaire de pouvoir !

Il a même accordé sa première interview à une radio web inconnue du grand public (Radio M), une radio confidentielle qui pratique un journalisme à sens unique pour « recadrer » les derniers propos du président Macron où il loue le courage du président algérien. (https://www.facebook.com/watch/live/?v=938579733342528&ref=watch_permalink). Une radio dite d’ « opposition démocratique » dont les animateurs, selon le chercheur Ahmed Bensaada, « invitent à leurs émissions leurs acolytes et sosies intellectuels en utilisant le principe de la chaise musicale et refusent la parole à ceux qui risqueraient de déstabiliser leurs certitudes. »

Ce pur produit de la Sarkozie a été de toutes les étapes de la désintégration de la Libye. Il pense terminer sa carrière en « printanisant » l’Algérie. En agissant de la sorte il sabote en fait la mission pour laquelle il a été désigné par Macron : ouvrir une nouvelle page de rapprochement entre la France et l’Algérie. Car Emmanuel Macron a fini par comprendre que sans le concours d’une Algérie souveraine, stable, prospère et moderne aucune solution pérenne à la lutte antiterroriste, à la question libyenne, aux conflits du Sahel n’est possible.
L’Algérie s’est interdite, jusqu’ici, de toute ingérence dans le jeu interne français où elle dispose pourtant d’une communauté nationale de plusieurs millions de ressortissants. En se permettant de s’ingérer dans le jeu interne algérien, M. Gouyette rend légitime la réciprocité.
La printanisation -comprendre la déstabilisation du bassin méditerranéen- n’est plus une marchandise exportable. Le temps des gouvernements des Consuls, tels qu’on l’avait vu au Liban, en Libye, en Tunisie et auparavant dans les colonies est bel et bien révolu. Les peuples de la région l’ont bien compris. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Pourtant, le dernier ambassadeur de France en Algérie persiste et signe dans l’erreur.

Philippe Tourel

Source : Algérie54
https://algerie54.com/…