Par Rabbi Alissa Wise

Parcourant des photos des nationalistes blancs qui ont envahi le Capitole des Etats Unis le mois dernier, j’étais horrifiée, si pas entièrement surprise, de voir tant de vieilleries objectivement nazies. Un homme portait un sweat-shirt sur lequel était écrit « Camps d’Auschwitz » ; un autre portait un T-shirt marqué du slogan 6MWE, qui signifie « 6 millions ne suffisaient pas », faisant référence au nombre de Juifs assassinés dans l’Holocauste. On ne peut nier que la présidence de Trump ait alimenté une profonde résurgence de l’antisémitisme dans ce pays. Même avec une nouvelle administration à Washington, l’antisémitisme demeure une menace réelle et croissante aux Etats-Unis et dans le monde.

Une large coalition d’organisations progressistes, de militants et de communautés de croyants travaillent à démanteler l’antisémitisme ainsi que d’autres formes de racisme et d’oppression. J’ai été incroyablement émue par les communautés musulmanes qui gardaient affectueusement les synagogues dans un cercle de protection et levaient de l’argent pour réparer les cimetières juifs vandalisés. Je suis réconfortée par ceux qui se chargent de rejeter les politiciens racistes qui s’appuient sur la division et la peur pour asseoir leur pouvoir politique. Encore et encore, cela a été clairement établi : nous ne sommes pas seuls dans ce combat.

Mais tous ceux qui prétendent travailler contre l’antisémitisme n’ont pas forcément à coeur la protection des Juifs.

Le gouvernement israélien et ses alliés de droite utilisent ce moment pour redoubler d’efforts dans leur campagne pour mettre à égalité toutes les formes d’anti-sionisme – l’opposition morale, politique ou religieuse à un Etat-nation d’ethnie juive dans la Palestine historique – avec l’antisémitisme. Ce n’est pas une tentative sincère pour mettre fin à la violence et au fanatisme anti-juifs. Il s’agit d’une manœuvre spectaculairement cynique pour limiter notre capacité à tenir Israël pour responsable de ses incessantes violations des droits fondamentaux des Palestiniens. Et Facebook pourrait mordre à l’hameçon.

En réponse à la pression du gouvernement israélien et de ses soutiens, Facebook s’adresse actuellement à ses parties prenantes pour demander si critiquer les sionistes tombe dans la rubrique des discours de haine selon les normes communautaires de Facebook. En particulier, Facebook est en train d’évaluer si on devrait considérer « sioniste » comme représentant de « Juif » ou « Israélien ».

La politique du discours de haine de Facebook interdit les attaques fondées sur des caractéristiques protégées dont la race, la nationalité et l’orientation sexuelle. Les idéologies politiques comme le capitalisme, le socialisme – ou le sionisme – ne sont pas protégées. Mais si Facebook dit que « sioniste » est un représentant de « Juif » ou « Israélien », le sionisme deviendrait de facto une catégorie protégée, ce qui aurait des conséquences très étendues et dangereuses pour les Palestiniens et les Juifs.

Selon cette politique, des tentatives valables pour tenir l’État d’Israël pour responsable grâce à un discours politique protégé par la constitution pourraient être qualifiées de discours de haine et retirées de la plate-forme. Les Palestiniens ne pourraient plus utiliser Facebook comme n’importe qui d’autre – pour parler de leurs expériences, de leurs histoires et de leur vie quotidiennes – parce que leur réalité est façonnée par la politique d’apartheid sioniste. Cette politique censurerait le discours palestinien, appliquerait une discrimination envers les Palestiniens en tant que groupe, et réduirait au silence toute discussion nuancée sur le sionisme.

Les implications discriminatoires pour les Palestiniens sont une raison plus que suffisante pour rejeter cette politique. Mais il y a une autre raison importante pour la dénoncer. Confondre le sionisme avec tous les Juifs – dont beaucoup sont des anti-sionistes qui luttent aux côtés des Palestiniens pour leur liberté et leur égalité – est en soi un postulat néfaste. Il repose sur la notion antisémite que nous Juifs sommes uniformes dans nos croyances et nos engagements politiques. Et encore pire, il suggère que tous les Juifs, en Amérique et ailleurs dans le monde, sont fondamentalement loyaux envers un gouvernement étranger et que le « véritable » foyer de tous les Juifs, c’est Israël – jouant sur la notion exécrable que nous serions incapables de faire complètement partie des sociétés dans lesquelles nous vivons, que nous n’appartenons pas véritablement à nos pays et communautés d’origine.

Cette démarche perturbante de Facebook fait partie d’une tendance beaucoup plus vaste. La définition de l’antisémitisme s’inspire de la définition de travail formulée par l’Alliance Internationale du Souvenir de l’Holocauste (IHRA), qui confond l’antisémitisme avec toutes les formes d’antisionisme, dont les campagnes de boycott et de désinvestissement pour défendre la liberté et les droits fondamentaux des Palestiniens. Tandis que Facebook prétend que sa politique actuelle est d’une portée plus étroite que l’IHRA, sa cheffe d’exploitation, Sheryl Sandberg, se retrouve aux côtés d’Adam Milstein – un des principaux partisans de l’IHRA et donateur de droite si extrême que même l’AIPAC a pris ses distances avec lui – disant que l’IHRA a conduit l’approche de Facebook et que sa politique va en réalité « encore plus loin que la définition de l’IHRA ».

Toute définition de l’antisémitisme qui inclurait l’antisionisme menacerait une recherche académique, un discours politique protégé par la Constitution et la possibilité pour des organisations à but non lucratif de soutenir des projets dans et pour la Palestine, comme de nombreux militants des droits de la personne humaine, défenseurs de la liberté d’expression, et universitaires l’ont publiquement déclaré. Ce danger n’est pas théorique – la définition de l’IHRA a déjà été brandie dans des tentatives pour faire fermer des événements éducatifs et annuler des cours universitaires. Des législateurs ont essayé de le codifier dans la loi ; quelques uns ont essayé d’assortir des sanctions pénales au simple fait de s’exprimer contre l’apartheid israélien. Cette définition devient favorite chez les Chrétiens sionistes, dont l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo, qui croient que l’occupation de la terre palestinienne par Israël hâtera la seconde venue du Christ, ce qui obligera les Juifs à se convertir ou à mourir. On trouve difficilement une idée plus antisémite que celle-ci, et elle est partagée par au moins 10 millions de Chrétiens sionistes aux Etats Unis.

Il est impératif que nous démantelions l’antisémitisme sous toutes ses formes, mais confondre le sionisme avec le peuple juif ne fait que l’enraciner. Facebook ne devrait pas permettre aux gouvernements de brouiller les lignes entre un discours de haine et un discours politique et doit avant tout revoir la politique existante qui censure de façon disproportionnée les Palestiniens et d’autres voix marginalisées qui rédigent des posts sur leurs expériences du racisme et de la violence d’État. Nous devons tous pouvoir parler de nos vies et des questions qui nous importent le plus, tout en ne perdant jamais de vue le fait que, Palestiniens et Juifs, nous méritons de vivre en sécurité où que nous soyons.

La Rabbin Alissa Wise est directrice ajointe de Jewish Voice for Peace (Voix Juive pour la Paix) et a contribué à : Sur l’Antisémitisme : Solidarité et le Combat pour la Justice.

Source : The Guardian

Traduction : J. Ch. pour l’Agence média Palestine

Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/…