Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 15/12/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Et si Jana Zakarneh avait été un garçon ? Jana était une jeune fille de 16 ans qui avait un chat blanc nommé Lulu, et très probablement des rêves, aussi. Elle avait récemment été photographiée tenant une pancarte sur laquelle elle avait écrit des pensées obscures typiques d’une adolescente : « Ne pensez pas et n’ayez pas de doutes sur Jana, car les filles ont beaucoup de problèmes ».

Un journaliste militaire, qui comprend que c’est son travail, a fait l’éloge, comme à son habitude, du sniper “décoré” et “expérimenté” de la police aux frontières qui a mis fin aux problèmes et aux rêves de Jana avec neuf balles. L’une d’elles lui a fracassé le crâne. D’autres reporters militaires ont répété, comme à leur habitude, ce qui leur avait été dicté : Jana était une terroriste ; elle prenait des photos et les transmettait aux terroristes ; elle se tenait près d’un terroriste armé qui a tiré sur les soldats ; ou, quand tout le reste a échoué, Jana a été tuée “par erreur”.

Les USA ont posté un tweet pleurnicahrd, les médias israéliens ont consenti, ce qui n’est pas leur habitude, à mentionner son assassinat. Canal 13 a même ouvert son bulletin d’information avec cette mention, ce qui est tout à son honneur. Le ministre de la Défense a “regretté” – ce mot maudit et crispé réservé exclusivement à ces occasions ; le premier ministre a “présenté ses condoléances” pour “sa mort”, comme si elle était morte d’une maladie dans la fleur de l’âge, sans la citer nommément.

Toutes les quelques dizaines de Palestiniens tués, quelque chose soulève une faible vague d’intérêt, un semblant de tristesse forcée. Shireen Abu Akleh parce qu’elle était une journaliste avec un passeport usaméricain, Jana Majdi Zakarneh parce qu’elle était une fille. Et si elle avait été un garçon ? Personne n’aurait entendu parler d’elle, ni de sa mort, ni certainement de sa vie.

Mohammad Nuri, Haitem Mubarak, Moamen Jabar, Hussein Taha, Dirar Salah, Mohammad Suleiman, Odeh Sadka, Reit Yamin, Amjad Fayed, Ta’air Mislet, Kusai Hamamra, Mohammad Kassem, Send Abu Atiya, Nader Rian et Mohamad Abu Salah sont anonymes. Ils étaient tous de la génération de Jana, des jeunes de 16 ans, et tous ont été tués cette année seulement par Israël. Aucun d’entre eux ne méritait de mourir – aucun jeune de 16 ans ne le mérite. Ils auraient tous pu être arrêtés, blessés si besoin était, mais pas tués.

Une société qui se vautre dans ses morts, qui canonise chaque victime juive – chaque colon tué sanctifie le nom de Dieu et chaque soldat a donné sa vie pour que nous puissions vivre – a fermé son cœur pendant des décennies aux milliers de morts causées par ses soldats, même lorsqu’il s’agit d’enfants, de personnes âgées, de femmes, de journalistes ou de professionnels de la santé. Cette société se ment constamment à elle-même avec une foule d’excuses, nie et supprime ce qui devrait être évident, d’autant plus récemment, à l’époque où un chef de l’armée [Avi Kochavi] fait la comptabilité des ennemis abattus et où le gouvernement st celui du  changement. Au cours de l’année écoulée, les FDI et la police aux frontières ont tiré sur tout ce qui bouge, sans aucune responsabilité ni culpabilité, bien avant que Washington ou La Haye n’entendent parler d’Itamar Ben-Gvir.

Les forces de sécurité ont tué 144 Palestiniens, dont 34 enfants et adolescents, selon B’Tselem, au cours de ce qui a été une année relativement calme pour Israël. Pour les Palestiniens, cette année a été la plus meurtrière depuis 2004.

Il faut en parler, mais il n’y a personne à qui en parler. Il faut en parler bien avant toutes les nouvelles passionnantes, mais il n’y a pas de place pour ce genre de discussion. Israël ne veut ni entendre ni savoir. Bezalel Smotrich n’est pas le problème. Ben-Gvir non plus. Le terrain pour cette horrible obtusité a été préparé bien avant eux, et maintenant tout le monde est consterné. Que va-t-il se passer ? Ils auraient d’abord dû se demander ce qui s’est passé, que le fait d’abattre une jeune fille de 16 ans sur le toit de sa maison dans une ville palestinienne, envahie par les forces d’occupation, n’émeut personne.

Jana était une fille dont les parents ont trouvé le cadavre entre les chaudières à eau de leur toit, dans une mare de sang coulant de sa tête. Si elle avait été un garçon, vous n’auriez jamais entendu parler d’elle.

Source : TLAXCALA
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