Des membres du mouvement du Front rose manifestent devant la résidence du Premier ministre,
rue Balfour à Jérusalem, à l’été 2020. Photo : Ohad Zwigenberg

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 31/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La frustration et la rage de la vraie gauche en Israël s’accumulent. Deux auteures de Haaretz ont exprimé cette indignation : « Vous n’avez pas seulement assassiné. Vous avez assassiné et hérité. Quelqu’un a-t-il le moindre doute que le sionisme religieux a hérité du pays ? Où que vous regardiez aujourd’hui, vous voyez le sionisme religieux.

Ils sont partout. Avec des kippas, sans kippas, à droite, à gauche, au gouvernement et dans l’opposition, dans toute la structure de commandement de l’armée, dans la police, au bureau du procureur de l’État, dans les médias. Aujourd’hui, tout le monde parle le langage du sionisme religieux », écrit Carolina Landsmann, dans un cri du cœur.

Trois jours plus tard, l’ancienne présidente du Meretz, Zehava Galon, a écrit, avec une colère encore plus féroce : « Écoute, espèce d’animal raciste, homophobe, xénophobe et misogyne, qui essaies de nous entraîner dans un régime de type taliban – nous n’avons pas peur de toi… Maintenant, dégage, avant que nous te traitions comme nous avons traité les premiers fascistes », en faisant référence à ce qui serait une réponse correcte du centre et de la gauche à la droite.

Une femme colon juive s’entraînant à tuer des « terroristes arabes ». Photo Rina Castelnuovo

La gauche sioniste moralisatrice n’aime pas cette rage. Elle leur casse les oreilles – et ils préfèrent la tranquillité polie. Mais il y a tellement de raisons d’être en colère.

La déclaration des organisations palestiniennes de défense des droits humains comme organisations terroristes, la décision de construire des milliers de logements pour les colons et le vote honteux à la Knesset sur la commémoration du massacre de Kafr Qasem [29 octobre 1956 : 48 hommes, femmes et enfants massacrés par la police des frontières. La proposition de loi visant à en faire reconnaître la responsabilité par l’État juif a été rejetée par 93 voix contre 12,NdT] – ce sont les trois dernières gouttes d’eau qui auraient dû faire déborder le vase, lequel, de toute évidence, aurait dû déborder depuis longtemps.

Il est donc impossible de ne pas compatir à la rage de Landsmann et Galon. Mais c’est cette rage même qui expose la faiblesse de la gauche : elle ne fait que parler.

La droite agit et la gauche bavasse. La droite s’installe, fait des émeutes, brûle, tue, mutile et s’empare de terres, et la gauche se tait, ou documente et condamne. Le gouvernement prend des mesures à la Erdogan contre les organisations de défense des droits humains, la gauche sioniste du gouvernement est partie prenante du crime et la vraie gauche est furieuse.

Les sionistes religieux prennent le contrôle du pays, et Landsmann crie. Une chasse aux sorcières est déclarée contre quiconque se fait photographier avec un Arabe – et Galon perd les pédales. Il faut le respecter, mais cela ne suffit pas.

Parler ne suffit plus. Parler est approprié pour les démocraties, mais pas contre les dictatures violentes. Il ne suffit pas de se dresser contre les colons et l’armée. Ce qu’il faut faire contre la violence des colons, c’est organiser une milice pour protéger les agriculteurs palestiniens et leurs biens.

Contre les enlèvements nocturnes de Palestiniens à leur domicile par l’armée, une force aurait dû surgir pour documenter tout cela, une force plus grande et plus forte que B’Tselem, qui fait tout ce qu’elle peut mais est insuffisante. Imaginez les soldats qui envahissent chaque nuit les chambres à coucher et les crèches avec des chiens – et des Israéliens déterminés qui les attendent avec des caméras.

Les discussions n’ont pas fait tomber le premier apartheid. L’Afrique du Sud comptait quelques Juifs exemplaires qui sont passés de la parole aux actes. C’était illégal et parfois brutal, mais ils ont apporté le changement et sont devenus des figures vénérées.

Helen Suzman a été la seule membre du Parlement à s’opposer à l’apartheid et a rencontré Nelson Mandela dans sa cellule de prison. Aujourd’hui, un boulevard porte son nom au Cap et son image a été immortalisée sur un timbre.

D’autres Juifs sont allés beaucoup plus loin et ont payé un lourd tribut. Joe Slovo était le commandant de l’aile militaire de l’African National Congress, et sa femme Ruth First a été assassinée par le régime. Denis Goldberg et Ronnie Kasrils ont été exilés ou emprisonnés. Le juge Albie Sachs a perdu un œil et un bras dans une explosion. Ils ont compris que parler ne suffisait pas. On se souviendra d’eux comme de combattants de la liberté.

Israël n’a pas eu de Juifs qui ont activement rejoint la lutte armée palestinienne et sont devenus des terroristes. C’est une bonne chose. Mais il n’est pas nécessaire de devenir un terroriste pour passer de la parole à l’action. La communauté palestinienne est impuissante. Personne ne la protège, ni ses biens, ni sa vie.

Il y a quelques centaines d’Israéliens qui se portent volontaires pour les protéger, accompagner les enfants à l’école, participer aux manifestations pour la liberté, aider à la récolte des olives ou documenter. Ce sont des gens admirables, mais peu nombreux. Leur impact est nul et les médias les ignorent, voire les criminalisent.

Moi aussi, je ne fais que parler. Parler et écrire. C’est la chose la plus facile à faire. Mais rien ne changera tant qu’un plus grand nombre d’Israéliens ne se rendra pas compte que parler ne suffira pas à apporter le changement, même si Landsmann et Galon explosent de rage à juste titre.

Source : TLAXCALA
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