Julian Assange à la prison de Belmarsh en 2019

Par Oscar Grenfell

Des documents officiels obtenus par l’avocate Kellie Tranter à l’occasion d’une série de demandes de liberté d’information (FOI) ont démasqué dans le détail la connaissance et la complicité du gouvernement australien dans le déni des droits juridiques, démocratiques et humains fondamentaux de l’éditeur de WikiLeaks, Julian Assange.

Ces documents, rassemblés dans une chronologie produite par Tranter et présentée dans un article de Kit Klarenberg, paru dans Grayzone en novembre, montrent que de hauts responsables australiens ont été informés à plusieurs reprises, par Assange et d’autres personnes, de la détérioration de son état de santé et des atteintes à ses droits fondamentaux.

En public cependant, les ministres du gouvernement, rejoints par l’opposition travailliste, ont continué à insister pour dire que tout allait bien pour Assange. Ils ont clamé leur «respect» pour la procédure judiciaire britannique, qui supervise sa détention indéfinie dans une prison de haute sécurité sans inculpation et qui facilite une demande d’extradition américaine visant à emprisonner Assange pour toujours. Cela, pour le «crime» d’avoir démasqué les guerres illégales des États-Unis, la surveillance de masse et les conspirations diplomatiques.

Ces câbles traitent de la période qui a suivi l’arrestation brutale d’Assange par la police britannique le 11 avril 2019, le statut internationalement reconnu d’Assange en tant que réfugié politique ayant été illégalement résilié par le gouvernement équatorien, qui renforçait alors ses liens avec les États-Unis. Le gouvernement Trump avait immédiatement dévoilé un acte d’accusation contre le fondateur de WikiLeaks pour ses activités de publication, donnant raison aux avertissements qu’il lançait depuis une décennie. Et Assange fut incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh, surnommée le Guantánamo Bay britannique.

La correspondance la plus ancienne, datant d’avril 2019, détaille les avertissements d’Assange et de son avocate Gareth Peirce aux responsables du ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce (Australian Department of Foreign Affairs and Trade – DFAT) que les possessions du fondateur de WikiLeaks à l’ambassade étaient détenues par les autorités équatoriennes.

Le DFAT allait prendre contact avec les autorités équatoriennes à ce sujet. Mais après avoir été informés en mai 2019 que les biens d’Assange étaient «sous l’autorité et la juridiction du système judiciaire de la République d’Équateur», les responsables australiens ont déclaré qu’ils étaient impuissants à intervenir. Comme Assange et WikiLeaks en avaient averti, ces possessions, dont des documents juridiques privilégiés, seraient remises aux États-Unis, qui cherchent à extrader et à poursuivre Assange.

Parmi les autres questions soulevées par Assange et ses avocats en avril 2019, citons la lenteur de l’administration de Belmarsh à organiser le traitement d’un problème dentaire prolongé et les conditions draconiennes de détention d’Assange.

Le 18 avril, Peirce a écrit au DFAT: «En plus de soulever la préoccupation particulière du besoin urgent pour lui d’être vu par un dentiste, nous aimerions que vous interveniez en ce qui concerne le régime actuel sous lequel il est détenu — l’isolement dans une cellule unique pendant 23 heures par jour. Nous sommes conscients que M. Assange se trouve déjà affecté par les années passées à l’ambassade». Bien que le DFAT ait été en contact répété avec Belmarsh, les conditions allaient rester en vigueur pendant toute la durée de la peine de près de six mois infligée à Assange pour des infractions de cautionnement fabriquées.

Les documents les plus significatifs concernent la forte détérioration de la santé d’Assange, qui a commencé en mai 2019 et s’est poursuivie au cours des mois suivants. Tranter résume un rapport du DFAT du 17 mai sur une visite de fonctionnaires australiens à Belmarsh: «Assange a exprimé son inquiétude de survivre au processus actuel et craint de mourir s’il était emmené aux États-Unis… Les agents consulaires ont remarqué qu’il semblait avoir perdu du poids… Assange a déclaré qu’il n’avait pas pu manger pendant une longue période et ne mangeait plus que de petites quantités de nourriture… »

Le lendemain, le 18 mai, Assange a été transféré à l’aile médicale de Belmarsh, après qu’un examen de la prison a révélé qu’il avait du mal à contrôler des pensées d’automutilation et de suicide.

Le 20 mai, une entrée dans le dossier consulaire australien d’Assange avait été entièrement expurgée quand elle fut donnée à Tranter. Le 30, une entrée citait un tweet de WikiLeaks du jour, annonçant le transfert d’Assange à l’aile médicale et exprimant de graves inquiétudes pour sa santé. Le même jour, des fonctionnaires du DFAT à Canberra ont écrit à leurs collègues de Londres: «WikiLeaks a tweeté aujourd’hui qu’Assange avait été transféré à l’aile médicale et qu’il avait de “graves inquiétudes” pour sa santé. Nous sommes reconnaissants de l’information, contactez la prison pour tenter de vérifier la véracité de l’information et obtenez une mise à jour sur sa santé et son bien-être».

Puis, le 1er mai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer, a publié un rapport explosif concluant qu’Assange avait été victime de torture psychologique médicalement vérifiable. Nils Melzer a dénoncé la persécution dont Assange avait été l’objet pendant dix ans de la part des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Suède qui étaient responsables de son état de santé, et il a condamné le «harcèlement moral» du fondateur de WikiLeaks par les grandes puissances et une grande partie des médias d’entreprise.

Melzer a écrit que l’Australie était complice de la torture psychologique, étant donné qu’elle avait abandonné le fondateur de WikiLeaks. Il a également déclaré que l’emprisonnement actuel d’Assange, dans des conditions draconiennes et dans une prison de haute sécurité, constituait une continuation de la torture d’État.

Le jour même, le DFAT a publié une déclaration rejetant cette conclusion. «Le gouvernement australien est un fervent défenseur des droits de l’homme et un ardent partisan du traitement humain au cours des processus judiciaires. Nous sommes convaincus que M. Assange est traité de manière appropriée à la prison de Belmarsh», a-t-il déclaré.

La déclaration fait référence aux échanges antérieurs entre Assange, le DFAT et les autorités de Belmarsh au sujet de ses problèmes dentaires et autres, et déclare que le DFAT avait «précédemment soulevé tous les problèmes de santé identifiés avec les autorités pénitentiaires de Belmarsh et que ceux-ci avaient été traités». Elle notait que des enquêtes avaient été menées auprès de Belmarsh au sujet des informations de la veille disant qu’Assange avait été transféré à l’aile médicale, mais «en raison des considérations de confidentialité que nous accordons à tous les clients consulaires, nous ne divulguerons pas d’autres détails relatifs à la santé physique ou mentale de M. Assange».

C’est là une esquive cynique. Les dossiers obtenus par Tranter montrent qu’à partir du 30 mai, des représentants australiens ont contacté Belmarsh à plusieurs reprises pendant six jours consécutifs. Leurs demandes d’information ont été ignorées. En d’autres termes, lorsqu’il a publié sa déclaration de confiance dans le traitement d’Assange à Belmarsh, le DFAT était ignoré par les autorités pénitentiaires, qui ne lui fournissaient aucune information sur la crise médicale d’Assange.

Malgré cette obstruction, le gouvernement australien n’est pas intervenu pour vérifier l’état de santé d’Assange ou pour s’assurer qu’il recevait un traitement approprié.

Au cours des mois suivants, les appels de la famille et des avocats d’Assange en faveur d’une intervention du gouvernement australien ont été rejetés, notamment pour qu’il contraigne Belmarsh à autoriser une évaluation médicale indépendante.

Le 21 octobre 2019, Assange a assisté à une audience préliminaire de procès ; les observateurs furent choqués de son apparence frêle et de sa confusion, y compris en réponse à des questions élémentaires. Un rapport du DFAT ne dit rien sur la détérioration de l’état d’Assange.

Sur quoi Peirce a écrit au haut-commissariat australien à Londres pour l’avertir d’une «crise imminente» de la santé d’Assange. Elle a noté qu’il «était clair pour toutes les personnes présentes au tribunal (et la majorité de la presse présente l’a rapporté) que M. Assange est dans un état de santé choquant et que lui, une personne de grande intelligence, lutte non seulement pour être à la hauteur, mais aussi pour exprimer ce qu’il souhaite exprimer». On était en train d’ignorer les avertissements adressés à la prison concernant la santé d’Assange.

Le 1er novembre, des représentants du DFAT ont rencontré Assange. Le fondateur de WikiLeaks a condamné la ministre australienne des Affaires étrangères de l’époque, Marise Payne, pour avoir affirmé publiquement qu’il était traité comme tous les autres prisonniers. Selon le rapport consulaire sur la rencontre: «Assange a déclaré qu’il souffrait de privation sensorielle et qu’il était en train de mourir. Il a dit que son état psychologique était si mauvais que son esprit s’éteignait». Dans la perspective des audiences d’extradition, Assange «a déclaré qu’il n’avait pas accès à un PC. Qu’il n’avait pas de stylo et qu’il ne pouvait donc pas écrire ou faire des recherches pour préparer sa défense».

Après la visite cependant, ni le DFAT ni le gouvernement australien n’ont cherché à modifier les conditions d’Assange en quoi que ce soit. En décembre, le groupe Doctors4Assange, composé de centaines d’experts médicaux, a écrit au gouvernement australien pour condamner son inaction et lui demander d’intervenir pour obtenir le transfert d’Assange dans un hôpital universitaire.

Cette déclaration, qui a également été envoyée au Parti travailliste, est restée sans réponse pendant des mois. En mars 2020, un représentant du DFAT a répondu à un suivi des médecins en se disant convaincu que le traitement d’Assange à Belmarsh était «approprié», qu’il bénéficierait d’une «procédure régulière» et que les autorités australiennes ne pouvaient rien faire.

Les documents obtenus par Tranter sont eux-mêmes une démonstration de ce que Melzer a correctement identifié comme étant la complicité du gouvernement australien dans la torture d’Assange. En ne réagissant pas à la crise médicale d’Assange fin 2019, le gouvernement australien et le Parti travailliste ont clairement indiqué qu’ils resteraient les bras croisés même si la persécution du fondateur de WikiLeaks entraînait sa mort.

Comme le WSWS l’a expliqué à plusieurs reprises, le gouvernement australien a une claire responsabilité politique et juridique d’intervenir pour défendre les citoyens soumis à des persécutions à l’étranger. Le fait qu’il ne l’ait pas fait dans le cas d’Assange est lié à l’alliance entre les États-Unis et l’Australie, ainsi qu’à l’intensification de l’assaut de l’élite dirigeante australienne contre les droits démocratiques en réponse à l’opposition sociale et politique croissante à la guerre, aux inégalités et à l’autoritarisme. Les documents montrent que le gouvernement australien n’assumera sa responsabilité d’intervenir pour défendre Assange que s’il y est contraint par un mouvement de masse venant de la base.

(Article paru d’abord en anglais le 30 novembre 2021)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…