Au moins 10 entrepreneurs civils observent attentivement une grue qui abaisse une tourelle de 30 tonnes sur un Abrams M1A2 au Camp Arifjan, au Koweït. [Photo: US Department of Defense]

Par Andre Damon

Mercredi, le président Joe Biden a annoncé que les États-Unis enverraient 31 chars lourds Abrams en Ukraine, après que le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré que l’Allemagne enverrait 14 chars Leopard 2, dans le cadre de l’envoi de plus de 100 chars de combat principaux par les pays de l’OTAN.

La décision d’envoyer des chars de combat principaux dans le conflit a pour but de déclencher une chaîne d’événements qui va justifier une implication toujours plus grande des troupes et des avions de l’OTAN, incluant une guerre contre la Russie.

L’importance de l’annonce de Biden réside moins dans l’impact des chars sur le champ de bataille que dans les conséquences de leur déploiement. Les chars Abrams à turbine nécessiteront un réseau logistique massif en Ukraine, dont un grand nombre d’entrepreneurs américains spécialisés. Des attaques contre ces réseaux d’approvisionnement et le personnel américain qui est chargé de l’entretien des chars seront ensuite utilisées pour exiger l’établissement d’une «zone d’exclusion aérienne» et du déploiement de troupes des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine.

Immédiatement après l’annonce de Biden, le général quatre étoiles à la retraite Barry McCaffrey a fait un commentaire désinvolte sur MSNBC qui a révélé le contenu essentiel de l’annonce de Biden.

Contrant l’argument avancé plus tôt par les responsables militaires selon lequel l’Abrams était trop complexe pour être envoyé en Ukraine, McCaffrey a déclaré: «Bien sûr, les Ukrainiens, avec le soutien d’entrepreneurs civils, peuvent faire la maintenance de ces Abrams».

Qui sont ces «entrepreneurs civils», si ce ne sont pas les «Ukrainiens»? On n’a jamais posé la question à McCaffrey.

La vaste flotte américaine de chars M1 Abrams est entretenue par des entrepreneurs civils sur les bases de l’armée dans le monde entier, et ces entrepreneurs civils sont généralement des Américains qui possèdent des connaissances et des compétences spécialisées, y compris des employés directs de General Dynamics et d’autres grands fabricants d’armes. L’Abrams, le véhicule le plus complexe de l’armée, nécessite environ huit heures-hommes de maintenance pour chaque heure de fonctionnement.

En expliquant pourquoi l’armée américaine était réticente à envoyer le char Abrams l’année dernière, le Washington Post a noté qu’«Un haut responsable de la défense américaine… a déclaré que… C’est difficile pour les États-Unis d’entretenir les chars Abrams et leur moteur à turbine sophistiqué… Pour les Ukrainiens, a dit le responsable, ce serait impossible».

Bien sûr, ce serait impossible, sauf si, comme l’indique McCaffrey, un grand nombre de contractants civils américains déjà formés sur les Abrams sont envoyés avec les chars.

Des milliers de civils responsables de maintenances des pays de l’OTAN seront déployés en Ukraine, et des chaînes d’approvisionnement massives seront établies pour les pièces spécialisées de haute technologie et de précision nécessaires pour maintenir les machines en état de marche, s’étendant sur des centaines de kilomètres depuis le front oriental jusqu’aux bases américaines en Allemagne, en passant par la Pologne.

Ces chaînes d’approvisionnement et le personnel américain deviendront probablement la cible d’attaques russes contre les systèmes d’armes qui entrent en Ukraine. La demande, soulevée pour la première fois au début de la guerre, de «fermer le ciel», c’est-à-dire d’instaurer une zone d’exclusion aérienne, sera rapidement faite par l’ensemble des médias américains, afin de «sauver la vie» des Américains déployés en Ukraine.

Comme une horloge, l’annonce de mercredi a été accompagnée de demandes dans la presse pour l’envoi de F-16 et d’autres avions de combat de quatrième génération de l’OTAN.

«Les chars ne suffiront pas: l’Ukraine a besoin de jets F-16 pour gagner», écrit l’ancien commandant britannique Greg Bagwell dans le Telegraph. «Il y a un axiome militaire selon lequel seules les armées peuvent prendre et tenir le terrain. C’est également vrai que les armées ne prennent pas ou ne tiennent pas longtemps le terrain sans soutien aérien». L’ancien commandant de la RAF a laissé entendre que si les États-Unis envoient des chars, ils devront également envoyer des F-16.

«Le prochain gros obstacle sera maintenant les avions de chasse», a déclaré à Reuters Yuriy Sak, conseiller du ministre de la Défense Oleksiy Reznikov. «Ils ne voulaient pas nous donner d’artillerie lourde, puis ils l’ont fait. Ils ne voulaient pas nous donner de systèmes Himars, puis ils l’ont fait. Ils ne voulaient pas nous donner de chars, maintenant ils nous en donnent. En dehors des armes nucléaires, il n’y a plus rien que nous n’obtiendrons pas».

Les plans de fourniture d’avions à réaction de l’OTAN sont déjà en cours. Le Financial Times rapporte que Lockheed Martin a déjà augmenté la production de chasseurs F-16 pour compenser les pays qui prévoient de les transférer en Ukraine. L’entreprise «va augmenter la production de F-16 à Greenville [Caroline du Sud] pour arriver à un point où nous serons en mesure de fournir des avions de remplacement de manière très efficace», a dit Frank Saint John, directeur des opérations de Lockheed Martin.

Le déploiement d’armes ouvertement offensives en Ukraine fait voler en éclats la fiction de la Maison-Blanche selon laquelle «il s’agit d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine» et que «l’OTAN n’est pas impliquée».

S’exprimant devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg mardi, la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a reconnu cette vérité fondamentale lorsqu’elle a déclaré: «Nous menons une guerre contre la Russie et non l’un contre l’autre».

Le fait que la guerre de l’OTAN contre la Russie ne soit pas déclarée – tant par l’Allemagne que par les États-Unis – est tout à fait normal. Les États-Unis n’ont pas déclaré une seule des guerres qu’ils ont menées depuis la Seconde Guerre mondiale. Les guerres de Corée, du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan ont toutes été menées sans déclaration de guerre du Congrès.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, chaque déclaration publique émanant de la Maison-Blanche vise à maintenir la population américaine dans l’ignorance des plans du gouvernement qui visent à intensifier massivement la guerre.

En mars, Biden a promis au public que les États-Unis n’enverraient pas d’«équipements offensifs» et de «chars» en Ukraine, car cela déclencherait la «Troisième Guerre mondiale». Mais si l’on prend au pied de la lettre les dernières déclarations de Biden, alors la décision d’envoyer des chars en Ukraine est, en fait, une décision de déclencher la «Troisième Guerre mondiale».

Les puissances de l’OTAN ont décidé de jeter le dé de la guerre, cherchant par la défaite militaire, la conquête, le démembrement et l’exploitation de la Russie à résoudre les myriades de crises auxquelles font face les oligarchies capitalistes.

Bien que certaines parties de l’establishment politique américain puissent croire que le Kremlin ne réagira pas au déploiement de chars, le conflit a sa propre logique. Le gouvernement Poutine, représentant des sections de l’oligarchie russe, espérait que son invasion de l’Ukraine aboutirait à une forme d’accommodement avec les puissances impérialistes. Il se trouve face à une crise interne et à des demandes au sein de sections de la classe dirigeante russe en faveur d’une escalade majeure.

Le risque de voir la guerre se transformer en un échange nucléaire, et ce que Biden lui-même a appelé «apocalypse», est porté à un nouveau sommet à chaque étape de l’escalade.

Alors que les États-Unis et les puissances de l’OTAN mettent en œuvre leur politique de guerre, ils font tout pour maintenir la grande masse de la population dans l’ignorance des conséquences. Les remarques superficielles de 10 minutes de Biden, mercredi, annonçant une nouvelle étape majeure dans la guerre, ont été prononcées en milieu de journée, sans même des questions symboliques de la part des médias.

Le gouvernement Biden est bien conscient qu’au-delà des politiciens républicains et démocrates, de l’élite dirigeante et des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure, il n’existe pas de large soutien à la guerre.

L’immense danger de la situation, cependant, est que l’opposition populaire à la guerre n’est pas politiquement organisée. Il est urgent d’unifier les luttes croissantes de la classe ouvrière qui éclatent dans le monde entier avec la lutte contre la guerre et d’armer ces luttes avec le programme socialiste d’abolition du système capitaliste qui est la cause fondamentale de la guerre.

(Article paru en anglais le 26 janvier 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

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