Par Leila Mazboudi

Le grand chercheur et militant libanais pour la cause palestinienne Anis al-Naccache est décédé ce lundi matin dans la capitale syrienne des suites du coronavirus.

Fervent partisan des droits du peuple palestinien depuis sa jeunesse, ce beyrouthin, toujours tiré à quatre épingles, avait rejoint les rangs de l’Organisation de libération de la Palestine, Fatah, en 1964 à l’âge de 13 ans. Son militantisme était précoce à l’instar de ses pairs. Il avait auparavant participé aux manifestations de solidarité avec la résistante algérienne Jamila Bouhired, pendant la colonisation française.

Il s’est engagé dans l’action estudiantine de Fatah et s’était fait remarquer par son enthousiasme et sa forte sensibilité à tout ce qui touche à la cause palestinienne et au conflit arabo-israélien.

Des défaites à la résistance armée   

La défaite des Arabes dans la guerre de 1967 a été pour lui le choc qui a gardé chez lui les souvenirs les plus douloureux. Surtout que les informations véhiculées par les médias arabes étaient majoritairement mensongères et avaient trompé l’opinion publique arabe.
« J’ai arrêté les cours lorsque la guerre a éclaté et j’ai été chercher une radio. Le professeur a voulu me la confisquer mais je lui ai dit que la guerre a éclaté. Il m’a alors demandé d’écrire tous les jours les exploits des armées arabes sur le tableau. 10 avions israéliens abattus, missiles abattus sur un quartier général… il s’est avéré par la suite que les informations étaient mensongères. Les avions égyptiens avaient été détruits dès les premières heures du conflit », a-t-il raconté sa déception dans une interview.

En 1969, lorsqu’une unité commando israélienne a détruit la flotte aérienne libanaise à l’aéroport de Beyrouth, le choc a été presque fatal pour lui. Il a mené une grève de la faim et a dû être hospitalisé. Rétabli, il s’est engagé dans l’action militaire dans les rangs de  la résistance palestinienne.

Lors de la guerre de 1973, il faisait déjà partie des premiers groupes qui ont tiré des obus en direction des colonies israéliennes en Palestine occupée. Il a par la suite participé à de nombreuses opérations fédayins, dont l’opération de Vienne avec le Front populaire pour la libération de la Palestine. Avec Carlos, le militant internationaliste séquestré en France. Par ces actions taxées de « terroristes » dans les médias des puissances occidentales, leur opinion publique a pris acte du soutien de leurs gouvernements à ‘Israël’. Un soutien au détriment des peuples de la région.

Lors de la première invasion israélienne du Liban en 1978, le jeune beyrouthin s’est installé au sud du Liban pour affronter l’agression. A cette époque, il a décidé de quitter les rangs de Fatah et de former deux groupes de résistance libanais à Kfar Chouba et Bint Jbeil. -Il avait critiqué la décision de sa direction de s’impliquer dans la guerre civile au Liban qui avait éclaté en 1975, estimant qu’elle porterait préjudice à la cause palestinienne.
Ce sont ses collaborateurs qui vont fonder par la suite la Résistance islamique, bras armé du Hezbollah. Dont son chef martyr Imad Moughniyeh qui était un chef sécuritaire du Fatah. C’est à ce moment-là qu’ils s’étaient connus.

De la Palestine à l’Iran

Pour le Fatah, Anis Naccache ne l’a jamais quitté. Avec l’éclatement puis la victoire de la révolution islamique en Iran, il a joué un rôle primordial pour rapprocher sa direction de celle de la révolution islamique en Iran en 1979. Un rôle de pont qu’il observera toute sa vie mais dont le champ d’action sera plus élargi.

Il était présent lors de la visite de Yasser Arafat à Téhéran et sa rencontre avec l’imam Khomeiny.
« Lorsque Arafat a rencontré l’imam Khomeiny, il lui a raconté que lors de la signature des accords du camp David entre l’Egypte et Israël, le président américain Jimmy Carter avait dit « Adieu à l’organisation de libération ». Aujourd’hui après la victoire de votre révolution bénie, on pourra dire « Adieu aux USA »,  a-t-il raconté.
Selon Naccache, l’Imam Khomeiny avait alors ri en lui répondant : « il en est ainsi »

Il a rapporté ces faits dans un article publié quelques jours avant son décès, le 18 février, sur les pages du journal libanais al-Akhbar.

Il y expose la stratégie qu’il avait défendue depuis ses premiers jours dans les rangs de Fatah, à savoir l’élaboration d’un plan d’action global pour faire face à la thèse de Ben Gourion, l’un des fondateurs de l’entité sioniste et son premier Premier ministre, et qui consistait, d’après lui, à assiéger la nation arabe par le biais de certains pays, notamment la Turquie, l’Ethiopie et l’Iran et à empêcher toute collaboration entre ses composantes.

Sa stratégie antidote aspirait à un plan global qui puisse impliquer toute la région et pas seulement les pays qui encerclent l’entité sioniste, à savoir l’Egypte, la Syrie, le Liban et la Jordanie.

Ayant tenté une action dans ces trois pays précités, c’est en Iran que M. Naccache perçoit le terrain le plus fertile. Avec l’éclatement de la révolution islamique contre le Shah.

« Dès les premiers jours, le slogan que le peuple révolutionnaire avait brandi était « à mort les USA, à mort Israël ». L’une des accusations au Shah a été, en plus de la corruption de son régime, d’avoir coopéré avec l’ennemi sioniste et sa soumission aux diktats américains », a-t-il écrit dans son article.

Une opportunité qu’il ne lâchera à aucun moment, de toute sa vie..

CGRI: de la protection à la la libération

Dès les premiers jours de la révolution, il a tissé des liens avec ses cadres et collaboré avec eux dans plusieurs domaines, sur les plans sécuritaire et militaire. Entre autres avec le Corps des gardiens de la révolution islamique en Iran, l’armée d’élites et idéologique de la RII.

“J’ai eu l’honneur de contribuer à l’écriture du projet de création des Gardiens de la révolution. Les objectifs de ce projet étaient de faire face aux tentatives de renversement de la révolution et de protéger les dirigeants… Lorsque les gardiens de la révolution ont été créés, il n’était pas prévu que l’une de leurs missions soit de soutenir les mouvements de libération dans le monde. Mais cette mission a vite été ajoutée. En tête, le soutien à la résistance au Liban. C’est ainsi qu’un groupe baptisé Force al-Qods a été consacré au sein des gardiens de la révolution pour la libération d’al-Qods et pour fournir un soutien aux différents mouvements de libération », a-t-il révélé.

L’ajout semble être le fruit de ses efforts!

Bakhtiar: De sa lettre à la France

Lors de la seconde invasion israélienne du Liban, il était en France. En prison.  Il s’y était rendu en 1980 pour tenter de liquider le dernier Premier ministre du Shah Chapour Bakhtiar. Ce dernier a échappé de justesse à l’attentat, mais deux personnes ont été tuées par inadvertance. Et lui a été blessé.

En 1982, au moment de son procès, il a écrit une lettre dans laquelle il a refusé d’être jugé par la France.
« Je refuse de donner à la France le droit de nous juger et de nous livrer son verdict. Parce que je refuse fermement ce pays qui fournit des armes aux agresseurs pro Saddam, comme les avions Mirage, les bombes et les missiles qui frappent les civils dans la province du Khouzestan dans une guerre que l’histoire n’a jamais connue ».

Il faisait allusion à la guerre que l’ex-dictateur Saddam Hussein a lancée contre l’Iran, un an après la victoire de sa révolution islamique, et au cours de laquelle il avait reçu l’aide des puissances occidentales, à leur tête la France et les Etats-Unis. Ainsi que celle des monarchies du Golfe, à leur tête l’Arabie saoudite.

Dans sa lettre publiée par les Comités de l’action islamique au Liban, il a aussi accusé les gouvernements des puissances occidentales de soutenir et d’armer des dirigeants qui sont des criminels dans leurs pays.
« Si vos gouvernements trouvent utiles de protéger des gens comme Bakhtiar et d’autres du régime du Shah, ils sont criminels à l’encontre de l’humanité du point de vue du droit international et des traitres à la nation islamique…Si vous refusez, au détriment des gens, de livrer ces criminels internationaux qui ont été condamnés devant les tribunaux et les gens dans les pays où ils ont commis leurs crimes, si vous les aidez et les encouragez à effectuer des complots et des manigances, vous êtes donc responsables devant l’histoire entière de vos actions et vous en endosserez la responsabilité », a-t-il souligné.

Il s’est dit étonné de voir la France abriter sur son sol « tous les anciens du régime iranien, (du Shah, ndlr) ceux qui complotent contre le peuple et ont pris la fuite avec l’argent qu’ils lui ont volé »

M. Naccache a aussi reproché aux dirigeants français « leur amitié et leur alliance avec le racisme hystérique de Tel Aviv au moment où ce dernier bombarde notre peuple »

Au terme de son procès, il a été condamné à perpétuité par la Justice française mais n’en a écopé que 10 ans.

Durant ses années de séquestration, il a effectué trois grèves de la faim. L’une d’entre elles a duré 130 jours pour protester contre le refus des autorités françaises de l’amnistier. Il a aussi refusé d’être libéré sans ses compagnons.
Lorsque l’ex-président français François Mitterrand l’a gracié en 1990, 4 l’ont été avec lui.

La République islamique a joué un rôle important en faveur de sa libération. Elle ne lui oubliera jamais son acte de fidélité à sa révolution.

Son projet antidote

Après sa libération, il s’est consacré aux études et recherches stratégiques et a dirigé un centre, Aman. Entre Téhéran, Beyrouth et Damas. Dans ses milliers d’écrits et d’interviews à la télévision et la radio, il faisait preuve de capacités d’analyse et de synthèse aiguisées qui lui ont permis de diagnostiquer les stratagèmes des puissances occidentales et de l’ennemi israélien contre le monde arabe et islamique et de dévoiler leurs véritables objectifs.

Mais il savait aussi bien déceler leurs points faibles… Et les points forts de l’axe de la résistance. Pour lui, sa victoire est inéluctable. Pour ceux qui le connaissaient, c’était un visionnaire…

C’est durant cette époque qu’il se consacrera à parachever le projet de sa vie. Toujours avec l’Iran!

Dans son article, il énumère l’aide que la RII a procurée à la cause palestinienne, à la résistance contre Israël et à la lutte contre les forces de l’Otan. Dont la libération d’une grande partie du sud du Liban en l’an 2000, le soutien à l’intifada palestinienne. Et jusqu’à « la formation d’une force militaire qui puisse constituer la dissuasion stratégique dans la confrontation avec l’ennemi ». Indiquant, non sans une grande fierté, que cette force s’étend depuis Gaza, au sud de la Palestine occupée, jusqu’au Liban à son nord, en passant par la Syrie, l’Irak et le Yémen, il estime que « l’arc de l’encerclement de l’entité sioniste est presque bouclé, en dépit des accords conclus par certains pays arabes. Ces derniers se trouvant eux aussi pris dans le même piège encerclé par l‘axe de la résistance ».

C’est sans aucun doute, le point d’orgue de son projet.

Il dévoile aussi ses prévisions pour le futur: « L’Iran de la révolution, en choisissant al-Qods et la Palestine comme boussole qui dirige ses orientations stratégiques, dans la région et dans le monde, est devenu le principal et le plus puissant rival de tous les projets de l’Occident en général, et des Etats-Unis et de l’entité sioniste en particulier. La victoire sur l’entité sioniste et la libération de la Palestine sera une victoire sur l’impérialisme et les régimes arabes réactionnaires en même temps ».

« L’Iran de la révolution est le protecteur le plus puissant de tous les peuples libres, en particulier en Palestine. Et la Palestine a été le principal levier de la gloire révolutionnaire de l’Iran », furent les derniers mots de ce dernier article de Naccache. Reliant les deux pays par une relation dilaectique fonctionnelle, il a scellé leur sort.

Avec son décès, ces paroles sonnent aussi comme un testament.  Il avait intitulé son dernier article: « C’est la révolution de la Palestine », en qualifiant la révolution en Iran. Il a tout fait pour. Mission accomplie.

Source: Divers

Source : Al Manar
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