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Par Alexandre Aoun

Source : Sputnik

Fort de ses bonnes relations à la fois avec Kiev, Moscou et Washington, Israël est dans une position délicate. Alors que l’Ukraine aimerait un soutien politique, Tel-Aviv ne souhaite pas prendre parti dans un conflit qui le dépasse.

Israël marche sur des œufs. Alors que les tensions ne retombent pas dans le Donbass entre les républiques russophones et l’armée ukrainienne, Tel-Aviv a du mal à se positionner sur ce conflit. Pourtant, Kiev multiplie les appels du pied. La vice-ministre ukrainienne des Affaires étrangères a ainsi sollicité le 18 février une plus grande implication de l’État hébreu dans la crise. La diplomate déplore en effet un « manque de soutien politique« .

En raison des contacts entre Tel-Aviv et Moscou au sujet d’un convoi humanitaire pour évacuer les ressortissants juifs en cas de guerre, un conseiller diplomatique ukrainien est allé encore plus loin en déclarant au quotidien israélienHaaretz: « Vous nous traitez comme quoi? La bande de Gaza ou quoi? » À ce propos, parmi les 200.000 Ukrainiens admissibles à immigrer en Israël en vertu de la loi du retour (alya) pour les Juifs et leurs proches, certains ont déjà pris la route de l’exil vers l’État hébreu.

Pour Israël, pas question « de rentrer en collision avec la Russie »

« Israël se positionnerait aux côtés de son allié traditionnel, les États-Unis, si une guerre éclatait entre la Russie et l’Ukraine, malgré l’intérêt de maintenir de bons rapports avec la Russie« , a affirmé pourtant le 20 février le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid. Et de rappeler que son pays privilégiait la voix de la diplomatie. Israël est ainsi un peu pris en étau entre son alliance historique avec Washington et ses récentes bonnes relations stratégiques avec Moscou.

Tel-Aviv serait ainsi obligé « de ménager la chèvre et le chou« , estime Gil Mihaely, historien spécialiste d’Israël.

« Israël se serait bien passé de cette crise. Premièrement, il y a l’alliance avec les États-Unis et en second il y a la Russie. Il est donc hors de question de rentrer en collision avec la Russie, avec laquelle l’État hébreu entretient de bonnes relations dans son nouveau voisinage en Syrie, même s’il n’y a pas un alignement politique total », souligne-t-il au micro de Sputnik.

En effet, pour éviter l’escalade, Moscou avait pu en 2018 persuader Téhéran de tenir les forces pro-iraniennes en Syrie à plus de 85 kilomètres du Golan. Un progrès non négligeable pour l’État hébreu.

Les relations israélo-russes ne devraient donc pas pâtir de la crise ukrainienne. D’ailleurs, Tel-Aviv avait rejeté la demande de l’Ukraine de lui fournir le système antimissile Dôme de fer, craignant sans doute de voir se dégrader ses liens avec Moscou. Cette demande ukrainienne date de l’année dernière mais elle avait été renouvelée après le regain de tensions avec le voisin russe. « Il n’y aura jamais de soutien militaire à l’un ou à l’autre, ce n’est clairement pas la priorité, Israël se fait tout petit« , martèle l’historien.

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De surcroît, dès le début de la crise russo-ukrainienne en 2014, « Israël ne voulait pas se brouiller avec la Russie« , rappelle Gil Mihaely. L’État hébreu s’était ainsi abstenu lors du vote à l’Onu pour condamner le rattachement de la Crimée à la Russie. « Les dirigeants israéliens n’ont pas à faire de choix dans ce conflit« , ajoute le directeur de publication de la Revue Conflits.

Qui plus est, Israël a beaucoup investi dans des centres de développement de start-up à l’est de l’Ukraine, y compris au Donbass. Il n’y aurait pas moins de 17.000 Ukrainiens qui travailleraient pour des entreprises israéliennes, notamment à Kharkov, Marioupol et Dnipro.

Des Israéliens qui financent des néonazis?

En outre, l’Ukraine est également un lieu de pèlerinage pour les Juifs israéliens. Chaque Nouvel An juif, « des dizaines, voire des centaines de milliers de touristes viennent à Ouman au sud de Kiev« , précise notre interlocuteur. Selon les traditions, cette ville abrite la tombe de Nahman de Bratslav, un rabbin décédé en 1810 qui avait donné un nouveau souffle au hassidisme(courant mystique du judaïsme).

Parmi la communauté russe en Israël, qui représente environ 11% de la population, se trouvent de nombreux Ukrainiens. « On parle de Russes car ils l’étaient au temps de l’ère soviétique« , rappelle Gil Mihaely.

« Avec l’Ukraine, il y a le pèlerinage et la technologie », résume l’historien.

Malgré tout, l’Ukraine a un passif « de terre de pogroms« , nuance le spécialiste d’Israël. D’ailleurs, plusieurs milliers d’Ukrainiens sont descendus dans les rues en janvier 2022 en l’honneur de l’anniversaire de Stepan Bandera, un nationaliste ukrainien qui a collaboré avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Une procession qui avait provoqué l’ire de Tel-Aviv. « Toute tentative de glorifier ceux qui ont soutenu l’idéologie nazie souille la mémoire des victimes de la Shoah en Ukraine« , a indiqué le communiqué de l’ambassade israélienne à Kiev.

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Cependant, le fait que l’État ukrainien ferme les yeux sur l’extrême droite néonazie (et parfois collabore avec) avait été dévoilé au grand jour déjà lors de la crise de 2014. C’était le cas du régiment Azov qui a par ailleurs été intégré à la garde nationale ukrainienne. Plusieurs centaines d’Européens avaient alors rejoint leurs troupes. C’était notamment grâce à l’appui financier du milliardaire israélo-ukrainien Igor Kolomoïsky. Mais, ironie de l’Histoire, ce groupe très peu recommandable aurait également reçu des armes, initialement destinées à l’armée régulière, de la part… d’Israël.

Compte tenu des liens avec les deux pays, l’État hébreu serait donc plus que jamais sur une ligne de crête.

« Le but est de ne pas s’opposer à la Russie sans s’aliéner l’Ukraine. Et puis, pourquoi Israël mettrait-il en péril ses intérêts pour une guerre qui ne le concerne pas? », conclut Gil Mihaely.

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