Le no man’s land dans ce qu’Israël appelle la zone tampon le long de la frontière Gaza-Israël, 2008.
(Kashfi Halford, Flickr, CC BY-NC 2.0)

Par Laila Barhoum

Source : Consortium News, Laila Barhoum

Traduit les lecteurs Les-Crises

Alors que les habitants de nombreux pays commencent à voir la lumière au bout du tunnel, nous sommes une fois de plus laissés pour compte, écrit Laila Barhoum.

Par Laila Barhoum, depuis Gaza

Nous avons réussi à tenir le Coronavirus à distance pendant cinq mois à Gaza, la bande de terre palestinienne densément peuplée et entourée d’Israël que j’appelle ma maison. Mais le Coronavirus ne respecte pas les murs ou les frontières artificielles. Alors que l’on se préparait à ce que la pandémie franchisse inévitablement un blocus dont si peu de Palestiniens en sont capables, nous avons attendu qu’elle vienne à nous. Et elle est venue.

Dans l’un des endroits les plus isolés au monde, nous savions que le virus qui se propageait insidieusement dans notre communauté pouvait être catastrophique. Les premiers jours, les réalités de plus de deux millions de Palestiniens, coincés entre un mur et la mer à Gaza, ont été soudainement partagées avec des millions d’autres personnes dans le monde qui ne pouvaient pas quitter leur maison et manquaient de fournitures de base. « Cher monde, comment se passe le confinement ? – Gaza » était en vogue sur Twitter.

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Ce que nous voyons aujourd’hui, les habitants de Gaza le voient tous les jours depuis très longtemps.

Aujourd’hui, comme dans le reste du monde, le virus s’attaque à notre communauté déjà éprouvée, avec une nouvelle vague qui appelle à de nouvelles mesures de confinement – et avec le début du ramadan. Mais vous ne pouvez pas porter un masque quand vous n’en avez pas.

Vous ne pouvez pas prendre de distance sociale lorsque vous vivez dans un camp de réfugiés surpeuplé, ou que vous partagez une petite maison avec une grande famille. Vous ne pouvez pas vous laver les mains pendant 20 secondes quand vous n’avez pas assez d’eau courante. À Gaza, il est difficile de prendre des mesures pour se protéger d’une pandémie alors que nous luttons déjà pour survivre.

De jeunes Palestiniens conduisent leur bateau le long de la côte près du port de la mer de Gaza, vendant des tours de bateau comme moyen de gagner leur vie. (Laila Barhoum/ Oxfam)

Et alors que de nombreux pays commencent à voir la lumière au bout du tunnel, alors que le programme de vaccination tant attendu prend de l’ampleur dans le monde entier, Gaza est une fois de plus laissée pour compte.

Alors qu’Israël a été célébré dans le monde entier pour le rythme soutenu de son programme de vaccination, la première cargaison de 2 000 doses de vaccin, destinée au personnel médical travaillant dans les salles de soins intensifs et les services d’urgence, a été initialement bloquée par les autorités israéliennes à l’entrée de Gaza.

Ce que veut dire une «Politique de ségrégation »

Pour chaque lot ultérieur de vaccins destinés à notre petite enclave côtière, c’est Israël seul qui décidera s’il peut entrer. C’est ce que signifie sa « politique de ségrégation » qui nous maintient isolés du reste du monde et incapables de nous libérer de nombreuses chaînes, dont le virus.

Mais il y a pire. Alors que plus de la moitié de la population israélienne est entièrement vaccinée contre le Coronavirus, Israël a utilisé les vaccins excédentaires comme monnaie d’échange diplomatique, passant des accords avec la République tchèque, le Honduras et le Guatemala pour obtenir en échange des votes aux Nations Unies et des ambassades.

Bien que la campagne de vaccination d’Israël ait été étendue aux Palestiniens titulaires d’un permis de travail en Israël et dans ses colonies, cela ne suffit pas à assurer le rétablissement du territoire palestinien occupé ni même à couvrir nos besoins prioritaires.

Le long passage au point de passage d’Erez que les Palestiniens utilisent pour entrer et sortir de Gaza, lorsqu’ils y sont autorisés. (Laila Barhoum/Oxfam)

Une fois de plus, Israël refuse de protéger efficacement tous les Palestiniens sous son contrôle et de leur garantir l’accès aux soins de santé les plus élémentaires, y compris une campagne de vaccination urgente, qu’il est légalement et moralement tenu d’assurer.

Cela nous dit, à moi et à tous les autres Palestiniens du territoire occupé, ce que l’on nous a déjà dit si souvent : que ma vie est considérée comme sans importance par rapport à la position politique d’Israël.

Nos droits sont trop souvent sacrifiés au profit d’Israël, et c’est encore le cas avec la Covid-19. Alors que les pays du monde entier commencent à vacciner leurs citoyens, les Palestiniens doivent se battre pour être considérés comme des êtres humains justifiant des droits humains les plus élémentaires. Nous ne voyons aucune indication que le monde nous considère comme méritant un vaccin qui peut nous sauver la vie.

L’Autorité palestinienne a récemment reçu sa première cargaison de doses par l’intermédiaire du COVAX, qui sont destinées au personnel de santé et aux personnes âgées de Cisjordanie et de Gaza. En l’absence d’une stratégie Covid-19 transparente de l’Autorité palestinienne, certaines doses de vaccins destinées aux travailleurs de première ligne ont fini dans les mains de soi-disant VIP – fonctionnaires, gardes présidentiels et équipe nationale de football palestinienne.

Il y a eu plus de 65 000 cas de Covid-19 à Gaza. Il y a deux mois, alors que nous attendions et espérions un vaccin, j’ai fait partie des statistiques. Après avoir été testée positive, j’ai eu peur, j’ai perdu la notion du temps et de l’espace, et je n’arrêtais pas de penser : et si ça empirait ?

Pendant près d’un an, j’ai tiré la sonnette d’alarme sur les mauvaises conditions du système de santé à Gaza. L’idée que je puisse avoir besoin d’aller à l’hôpital pour être soignée me terrifiait. Alors que mon souffle devenait de plus en plus court, j’ai demandé à mes poumons de ne pas me faire défaut. Il y a déjà tellement de choses qui nous font défaut ici.

Mais je continue à me battre et à me remettre de la maladie. Et je ne peux m’empêcher de penser à quel point nous avons besoin de ce vaccin et à quel point il est juste d’y avoir un accès libre et équitable.

Un vaccin sûr, efficace et universel contre la Covid-19 est une nécessité de santé publique, une priorité économique et un impératif moral pour tous les peuples du monde. Y compris ma grand-mère. Y compris mes compatriotes palestiniens. Moi y compris.

Les vaccins ne devraient jamais être une monnaie d’échange. Personne ne devrait être empêché d’accéder à des vaccins vitaux en raison de son lieu de naissance, de son lieu de résidence ou de ses moyens financiers.

Ici, à Gaza, nous sommes toujours pris au piège. Même si nous survivons à cette pandémie, je ne suis pas sûre de ce qui suivra. Les décisions qui façonnent le plus nos vies ne sont pas prises par nous, mais par les décideurs politiques à Jérusalem et, dans une moindre mesure, à Ramallah, Washington et Bruxelles. Elles servent généralement à accroître notre misère, et non à nous avantager. Aucune force, intelligence ou ambition ne peut surmonter l’impuissance de vivre sans droits.

Un an après le début de votre confinement pandémique, vous pouvez commencer à comprendre ce qu’a été le nôtre. Mais votre confinement prendra fin dans les mois à venir. Le nôtre est en place depuis 13 ans et n’a pas de fin en vue.

Laila Barhoum est une Palestinienne vivant à Gaza et une responsable politique pour Oxfam.

Source : Consortium News, Laila Barhoum, 30-04-2021

Traduit les lecteurs Les-Crises

Source : Les Crises
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