Depuis un bateau de patrouille, des marins israéliens regardent passer à proximité
une corvette Sa’ar VI, un navire de guerre surnommé « bouclier » (Reuters)

Par Yossi Melman

En attaquant régulièrement les navires iraniens en mer et en s’en vantant dans la presse, Israël joue avec le feu.

Alors que les États-Unis et l’Iran cherchent tant bien que mal à trouver une solution pour revenir à l’accord sur le nucléaire de 2015, il semble que les dirigeants et responsable de la sécurité et des renseignements israéliens tentent de faire capoter toute réconciliation possible entre Téhéran et Washington.

Ces derniers jours, s’est produit un nouvel épisode s’inscrivant dans une tendance croissante. Mardi dernier, un navire iranien baptisé « Saviz » a été touché par une mine au large de la mer Rouge, près de la côte érythréenne.

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Cette attaque a été largement considérée comme une nouvelle opération des commandos de marine israéliens. Israël n’a pas commenté cet incident.

Cependant, le New York Times, qui est devenu la machine à blanchir les fuites provenant des autorités israéliennes, a affirmé qu’un responsable américain avait prévenu son administration que les forces israéliennes avaient frappé ce vaisseau.

On ne connaît pas l’étendue des dommages, seulement que le « Saviz » a été endommagé par une mine placée sur le bateau.

Selon ce responsable américain, cette attaque constitue des représailles israéliennes à de précédentes frappes iraniennes contre des navires israéliens. D’après lui, le « Saviz » aurait été endommagé sous la ligne de flottaison.

Bien qu’officiellement enregistré comme cargo, le « Saviz » est pratiquement un bâtiment militaire, détenu par le Corps des gardiens de la révolution iranienne (CGRI) et opéré par ses forces spéciales.

Les sites et réseaux sociaux iraniens assurent que la mission du « Saviz » était de lutter contre la piraterie, mais des sources au sein des renseignements occidentaux font valoir que le navire est connu pour servir de plateforme aux Iraniens pour les missions de collecte de renseignements et pour mener des opérations secrètes.

Nouvelle guerre maritime

La guerre maritime entre Israël et l’Iran a débuté en 2018, après l’annonce par Donald Trump que les États-Unis se retiraient de l’accord sur le nucléaire iranien et imposaient de lourdes sanctions à Téhéran.

Cette décision stratégique unilatérale de Washington était et constitue toujours un coup majeur porté à l’économie iranienne, en particulier au secteur pétrolier, principale source d’exportation.

Le Premier ministre Benyamin Netanyahou et le chef du Mossad Yossi Cohen ont encouragé et poussé Trump.

Le déclin de l’économie iranienne a contraint Téhéran à réduire son soutien financier aux milices chiites déployées en Syrie et au Hezbollah libanais.

Le pétrolier Stena Impero quitte le port de Bandar Abbas dans le sud de l’Iran. Le Stena Impero a été arraisonné par les forces britanniques en chemin vers la Syrie en 2019 (AFP)

Les renseignements militaires israéliens estiment que les subventions de l’Iran au budget du Hezbollah – environ 7 millions de dollars par an – ont été drastiquement réduites depuis 2018.

Cela a engendré des réductions de salaire pour des dizaines de milliers de combattants du Hezbollah, baissé les paiements aux familles de ceux qui ont été tués ou blessés dans la guerre civile syrienne et raréfié les exercices de formation, mettant à mal la préparation et l’aptitude au combat.

Le Hezbollah et les autres milices soutenues par l’Iran avaient besoin de liquidités ; le général Qasem Soleimani – légendaire commandant de la force d’élite al-Qods assassiné par les Américains en janvier 2020 – avait mis sur place un plan inventif.

Il s’était arrangé pour que le pétrole soit passé en contrebande et vendu en Syrie, contournant ainsi les sanctions internationales imposées à la fois à Damas et Téhéran.

L’idée était d’utiliser toutes les ressources du Mossad et des renseignements militaires pour obtenir des informations précises qui permettraient à Israël de saboter les navires iraniens sans les faire couler ou provoquer une catastrophe écologique

Tous les subterfuges possibles pour induire en erreur les agences d’espionnage occidentales et les sociétés de transport international ont été utilisés.

Le pétrole iranien a commencé à être chargé sur les ports via des sociétés écrans et passé en douce sur des pétroliers dont les noms avaient été altérés.

Des négociants iraniens syriens et libanais achetaient le pétrole et, en échange, payaient les milices chiites et le Hezbollah en livres syriennes.

Ces deux monnaies ont plongé l’année dernière, mais malgré leur faible valeur, elles n’en restent pas moins des liquidités.

Cette initiative sophistiquée de Soleimani a posé des problèmes à Israël, qui a réagi avec son propre plan. Globalement, il s’agissait de lancer une campagne préventive à grande échelle, tirant sur tous les ressorts militaire, diplomatique, économique et psychologique.

Cela s’est traduit par des dizaines d’opérations de collecte de renseignements secrètes par les unités du Mossad et des renseignements militaires, ainsi que par des milliers de frappes aériennes sur des cibles associées aux milices chiites, au Hezbollah et au CGRI.

La plupart des attaques ont été menées en Syrie, d’autres à la frontière irakienne et quelques-unes auraient eu lieu au Liban. C’est ainsi que la bataille entre Israël et l’Iran est passée d’un affrontement au sol, dans les airs et dans le domaine de la cybersécurité à la mer.

L’idée était d’utiliser toutes les ressources du Mossad et des renseignements militaires pour obtenir des informations précises qui permettraient à Israël de saboter les navires iraniens sans les faire couler ou provoquer des catastrophes écologiques.

Fuites et contre-attaques

Tout se passait comme sur des roulettes jusqu’à ce que l’Iran estime qu’Israël était allé trop loin.

Il y a quelques semaines, le Corps des gardiens de la révolution a décidé de riposter à sa mesure. Ses forces ont frappé un cargo détenu partiellement par un fabricant de voitures et magnat du transport israélien, Rami Ungar, qui transportait des véhicules depuis l’Asie de l’Est vers l’Inde. Ce dernier est un ami du chef du Mossad et a même donné de l’argent à sa synagogue.

Rien de tout cela ne se serait produit si Israël n’avait pas fait fuiter encore et encore des informations sur ses attaques contre les navires iraniens. L’Iran a jugé qu’il ne pouvait plus fermer les yeux.

Téhéran a ainsi rapidement enchaîné avec une autre attaque. Les commandos marine des Gardiens de la révolution ont saboté un autre bateau appartenant à l’homme d’affaires israélien Ehud Angel, partenaire commercial de la famille Ofer. Propriétaire d’une flotte de navires et pétroliers basés à Singapour, celle-ci faisait autrefois des affaires avec l’Iran et a fini par être sanctionnée par l’administration Obama.

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Tant que les missions de sabotage israéliennes étaient effectuées clandestinement et sous les radars de l’opinion publique, il était plus pratique pour l’Iran de les ignorer et de faire comme si rien ne s’était passé.

Mais lorsque les fuites dans les médias ont commencé, il était clair pour les dirigeants de l’armée et de la diplomatie israélienne qu’il s’agissait d’un jeu dangereux avec un possible effet boomerang.

L’Iran peut riposter et un sabotage maritime est la dernière chose dont Israël a besoin. Environ 90 % des importations et exportations israéliennes se font par bateau. Les routes maritimes sont le point sensible d’Israël.

Cette vague de fuites ennuie également les cercles maritimes, par crainte d’une déstabilisation qui ferait flamber les coûts d’assurance et les pertes. En outre, la nouvelle administration américaine revoit sa politique vis-à-vis de l’Iran et tente de savoir comment revenir à l’accord sur le nucléaire et lever les sanctions.

Les confrontations en mer nuisent aux aspirations de la Maison-Blanche en matière de stabilité et de progrès.

Fin avril, le chef d’État-major israélien Aviv Kochavi et Yossi Cohen, qui quitte son poste au Mossad, ont l’intention de se rendre à Washington pour évoquer les inquiétudes d’Israël vis-à-vis de l’éventualité croissante que les États-Unis et l’Iran surmontent leurs difficultés et parviennent à signer un nouvel accord sur le nucléaire.

Néanmoins, les responsables américains, réalisant que la campagne maritime israélienne vise à nuire aux discussions sur le nucléaire, avertiront les dirigeants israéliens de ne pas pousser le bouchon trop loin.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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Publié le 15 avril 2021 avec l’aimable autorisation de Middle East Eye

Source : Middle East Eye
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