Par Sarah Rueller

20 décembre | Sarah Rueller pour Haaretz | Traduction CG pour l’AURDIP

A l’aéroport Ben-Gourion, ils nous ont hurlé dessus et ils nous ont menacées en nous accusant de « participation projetée à des manifestations de défense des droits humains » — quelque chose qui devrait être de toute façon autorisé dans un pays démocratique.

Le 27 novembre, ma collègue Belén et moi-même nous sommes vu refuser l’entrée en Israël. La raison officielle : « considérations relatives à la prévention de l’immigration illégale ». L’allégation : participation à des manifestations de défense des droits humains. Les conséquences : expulsion et renvoi en Allemagne et, selon nos avocats israéliens, interdiction implicite pendant cinq ans de nous rendre en Israël. Nous avons entamé une action en justice pour faire appel contre cette décision et j’aimerais raconter ma version de l’histoire.

Je m’appelle Sarah, je mène des recherches sur l’interaction être humain-ordinateur à l’université de Siegen dans l’ouest de l’Allemagne. J’ai 28 ans et je travaille en vue d’un doctorat ; mes recherches concernent les procédures de numérisation dans les zones non-urbaines. Je suis allemande, sans autre origine ethnique, du moins à ma connaissance.

Malgré les accusations des renseignements israéliens, ma collègue et moi n’avions aucune intention de participer à des manifestations de défense des droits humains. Le principal objectif de notre visite était que Belén découvre le pays et visite des sites touristiques, étant donné qu’elle est une nouvelle membre de notre groupe de recherches, qui coopère avec l’université Birzeit en Cisjordanie occupée. J’avais aussi l’intention de la présenter à nos partenaires de recherche locaux.

Contrairement à Belén, qui n’avait jamais été en Israël ou dans les Territoires palestiniens, j’y ai voyagé plusieurs fois au cours des dernières années pour ma recherche, à partir de 2015. Ce voyage aurait été la huitième fois.

A ce moment, après qu’Israël a rouvert ses frontières, je voulais saisir l’opportunité pour rendre visite à nos partenaires de recherche et amis, et également pour présenter Belén, notre nouvelle collègue paraguayenne, au personnel de l’université avec laquelle mon université collabore depuis des années. Cela aurait été la première visite de la région pour Belén.

Quant à moi, par ailleurs, j’avais déjà passé des heures à l’aéroport Ben-Gourion auparavant. Je savais ce que cela faisait d’être questionnée sur les personnes à qui je rendais visite ou qu’on me demande une liste des noms et adresses des membres de la famille avec qui je resterais. J’ai toujours répondu honnêtement, je n’ai jamais rien eu à cacher, et pas davantage cette fois-ci. Mais cette fois-ci, tout s’est passé différemment.

Après l’atterrissage à l’aéroport Ben-Gourion, Belén et moi nous nous sommes dirigées vers la zone où les arrivants reçoivent d’habitude leurs visas. Nous avons toutes les deux tendu nos passeports à la femme derrière son comptoir ; cela a marché pour moi, mais pas pour Belén. Au lieu de lui donner son visa, la femme a conservé le passeport paraguayen de Belén jusqu’à ce qu’un homme arrive et lui demande de l’accompagner. Je ne voulais pas laisser ma collègue seule et j’ai décidé de les rejoindre.

C’était la première fois que Belén se trouvait dans une telle situation. Je lui ai dit de se détendre, que tout irait bien. L’homme a emmené Belén dans une petite pièce à quelques mètres de l’endroit où l’on récupère les bagages. J’ai décidé de ne pas perdre de temps et me suis mise à la queue pour le contrôle final des passeports, mon visa en mains. Mais avant que ce ne soit mon tour, un responsable de la sécurité est venu me chercher dans la queue et m’a interrogée sur ma visite et mes visites précédentes. Il m’a tendu le permis pour passer la porte. J’étais blanchie et autorisée à entrer en Israël. Quel soulagement !

Mais à peu près 10 minutes plus tard, j’ai reçu un appel téléphonique de Belén. Apparemment son interrogatoire prenait plus longtemps que prévu. J’ai décidé de retourner en arrière. Et c’est alors que cela a commencé.

Pendant environ deux heures et demie ou trois heures, Belén et moi avons été agressivement interrogées par un interrogateur, et parfois deux, toujours séparément. A ce moment, Belén avait déjà dû remettre son téléphone pour laisser l’interrogateur vérifier ses comptes sur les réseaux sociaux et sa liste de contacts, à la recherche de numéros de téléphone israéliens. Il semble que le fait de ne pas être active sur les réseaux sociaux l’ait rendue encore plus suspecte. Elle avait déjà été accusée d’être une menteuse et une menace potentielle pour la sécurité.

Les questions portaient surtout sur le bénévolat et la participation à des manifestations de défense des droits humains. Vers la fin de l’interrogatoire, les photos de chacune de nous ont été prises et nos index scannés. Personne ne nous a dit que nous pouvions refuser, personne ne nous a informées de nos droits.

Finalement, nous avons reçu un document indiquant « considérations relatives à la prévention de l’immigration illégale » comme raison pour nous refuser l’entrée. Nous avons alors attendu cinq heures supplémentaires sans qu’on nous offre à boire ou à manger et sans plus d’informations sur les étapes suivantes, jusqu’à ce qu’un responsable de l’immigration nous récupère et nous escorte à un contrôle de sécurité de nos bagages à main et encore un autre interrogatoire, avant d’être renvoyées cinq heures plus tard.

« Risque de sécurité international »

Je suis raisonnablement grande, 1, 75 m, mais assise hors de la salle d’interrogatoire et écoutant l’interrogateur hurler sur ma collègue et la menacer, je me sentais petite, démoralisée et désespérée. En toute honnêteté, j’étais misérable. Bien sûr, subir un interrogatoire n’est pas une situation confortable. Mais cette fois-ci, c’était différent. Nous n’avions pas projeté de participer à des manifestations de défense des droits humains. Nous n’avions pas prévu de « faire du bénévolat » — quoi que cela puisse vouloir dire, l’interrogateur n’a pas pu le préciser.

L’interrogateur nous a menacées d’une « interdiction de voyage de 10 ans et d’être signalées comme risque de sécurité international ». D’une certaine façon, même si nous savions que c’était seulement une menace, la perspective était terrifiante. Un interrogateur n’a cessé de nous hurler dessus en nous appelant des menteuses.

C’était comme dans un film, mais plus réel et beaucoup plus effrayant. Nous nous retrouvions captives dans un jeu de gentil flic/méchant flic : maintenant l’interrogateur et moi étions amis, je pouvais simplement dire la vérité et il ne pouvait pas m’aider si je continuais à mentir. Ils ont même essayé de nous dresser l’une contre l’autre, disant que l’autre avait avoué et que nous pouvions maintenant cesser de mentir puisqu’ils savaient déjà. J’ai dû aussi remettre mon téléphone pour laisser les interrogateurs parcourir mon fil Facebook.

Motifs invraisemblables

Nous avons été détenues pour interrogatoire et nous avons été menacées. Nous avons été accusées de militantisme pour les droits humains. Mon visa a été révoqué. Nous avons été rapatriées de force en Allemagne.

Repensant à l’incident maintenant, j’essaie de mettre en perspective ce qui nous est arrivé. Sur quelles motivations cette décision a-t-elle été fondée ? Nous n’essayions pas d’immigrer illégalement ; nos vols de retour pour l’Allemagne étaient réservés pour le 14 décembre. Nous ne projetions pas non plus de participer à des manifestations pour la défense des droits humains. Mais même si cela avait été notre plan, cela serait-il répréhensible dans un pays démocratique ?

N’ayant pas d’aéroport, ni de contrôle sur les frontières de leur territoire, les Palestiniens sont dépendants des règlements d’entrée israéliens. Ce sont les Israéliens, non les Palestiniens, qui peuvent décider qui est autorisé à rendre visite aux Palestiniens ou non, qui peut collaborer avec les universités palestiniennes ou non. Dans notre cas, rencontrer nos partenaires de recherche palestiniens nous a été refusé, sur la base de raisons absurdes.

Se voir refuser l’entrée en Israël et donc dans les territoires palestiniens m’a toujours paru un mythe, en tout cas quelque chose qui ne m’arriverait certainement pas à moi. On m’a prouvé le contraire.

Je n’ai pas encore digéré la manière humiliante dont j’ai été traitée à l’aéroport Ben-Gourion. Pour moi, l’accusation de « participation projetée à des manifestations de défense des droits humains » pour refuser à quelqu’un l’entrée dans un pays démocratique est outrageante.

Actuellement, je ne peux dire si et comment la coopération universitaire entre mon université et l’université Birzeit peut continuer, si les rencontres en présentiel restent impossibles.

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Sarah Rueller est chercheuse à l’université de Siegen en Allemagne. Elle a participé à divers projets de recherche en Cisjordanie, sur des sujets qui incluent l’apprentissage collaboratif par ordinateur, l’approche sociale et ascendante à l’innovation et l’entrepreneuriat dans les domaines des STEM [Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques]. Ses sources de financement sont le ministère allemand des Affaires étrangères, le ministère de l’Education et de la Recherche, le Service d’échanges universitaires allemand et le programme Erasmus+ de l’Union européenne.

Source : AURDIP
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