© Tous droits réservés

Par Henri Goldman

Aujourd’hui, 26 janvier, c’est la « journée internationale de la commémoration de l’Holocauste » [1] proclamée par les Nations unies en 2005, à l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. Le Parlement européen l’a évoqué solennellement ce matin avec un invité de marque : Isaac Herzog, président en exercice de l’État d’Israël, dont le discours ouvrira la séance. Après quoi, de concert avec la présidente Metsola [2], il inaugurera un « mémorial de l’Holocauste » devant le Parlement européen.
Il n’y a là rien qui vous semble déplacé ?

Déjà, il y a trois ans, pour les 75 ans de la libération d’Auschwitz, on avait assisté au même scénario où les dirigeants israéliens étaient institués en héritiers légitimes des souffrances juives passées, au prix d’une réécriture rétrospective de l’Histoire.

••••••••••••••••••••
Lire aussi : Auschwitz à Jérusalem (25 janvier 2020)
•••••••••••••••••••• 

Quelques jours auparavant, probablement pour ne pas indisposer l’invité d’aujourd’hui, Josep Borrell, le ministre (socialiste) des Affaires étrangères de l’Union européenne, diffusait un communiqué assez sybillin. Extrait : « La Commission estime qu’il n’est pas approprié d’utiliser le terme “apartheid” à propos de l’État d’Israël. La Commission utilise la définition opérationnelle juridiquement non contraignante de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (définition de l’IHRA), comme outil d’orientation pratique et base de son travail pour lutter contre l’antisémitisme. L’affirmation selon laquelle l’existence d’un État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste figure parmi les exemples donnés dans la définition de l’IHRA. »

Pour les profanes, décryptons ce charabia.

1. Le recours au terme « apartheid », qui évidemment n’est pas très agréable aux oreilles officielles israéliennes, est désormais solidement argumenté dans des rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et de la prestigieuse association israélienne B’Tselem. Jugez-en par vous-mêmes.

2. La « définition de l’IHRA » à laquelle se réfère la Commission, qui tient en trois lignes assez banales, n’apporte aucune plus-value à la lutte contre l’antisémitisme, si ce n’est qu’elle est accompagnée d’une batterie d’exemples qui, pour de nombreux analystes, limitent drastiquement le droit de critique à l’égard de l’État d’Israël.

3. Et, en effet, selon ces exemples, serait antisémite « le refus du droit à l’autodétermination des Juifs (?), en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ». 

4. Donc, pour la Commission, en prétendant qu’Israël pratiquerait l’apartheid, les associations de référence des droits humains se rendraient coupables d’antisémitisme, ce qui est un délit.

On comprend mieux pourquoi, depuis sa rédaction en 2016, Ia diplomatie israélienne fait le forcing pour faire adopter cette « définition » partout.

On comprend mieux pourquoi, depuis sa rédaction en 2016, Ia diplomatie israélienne fait le forcing pour faire adopter cette « définition » partout, alors que la colonisation des territoires conquis en 1967 et le déni des droits humains fondamentaux du peuple palestinien ne connaissent plus de limite. Le comble, c’est que ça marche ! Pourtant, pour de nombreux ministres du nouveau gouvernement Netanyahou qui professent ouvertement une idéologie de suprématie raciale, cette politique de colonisation est bien l’accomplissement du projet sioniste initial. Mais on ne peut pas le répéter : selon l’IHRA, ce serait antisémite.

Attention : je ne dis pas qu’il ne faut pas associer Israël à toute évocation de la Shoah. On ne peut oublier que de nombreux survivants des camps ont trouvé à la Libération un refuge sur cette terre alors qu’ils étaient refoulés de partout. De même que, dans les commémorations internationales du 8 mai qui évoquent la victoire contre le nazisme, il faudrait toujours faire une place à la Russie, eu égard aux énormes sacrifices – plus de 20 millions de morts – consentis par l’Union soviétique avant d’en finir avec Hitler. Mais, dans une telle circonstance, jamais le Parlement européen n’aurait imaginé dérouler le tapis rouge devant un émissaire de Poutine comme il l’a fait aujourd’hui devant le président israélien. 

••••••••••••••••••••
Lire aussi : Ukraine-Palestine : le prix de l’inconséquence (18 juin 2022)
••••••••••••••••••••

Car, au regard du droit international, la politique de Netanyahou et de ses semblables ne vaut pas mieux que celle de Poutine. Au regard des principes de base de la démocratie, elle ne vaut pas mieux non plus que celle de Bolsonaro, Trump ou Orban. Imaginer, avec tout ce qui se passe sur le territoire de la Palestine historique, qu’on puisse faire reculer l’antisémitisme dans le monde en confortant le leadership moral de l’État d’Israël est aussi incongru que de vouloir combattre le fascisme en s’alignant derrière Poutine sous prétexte qu’il serait l’héritier des héros de Stalingrad. Pire : ce combat sera perdu s’il persiste à vouloir se ranger sous la bannière d’un État qui fournit chaque jour des munitions aux antisémites, et ce sont les Juifs qui en feront les frais. 
 

[1] Holocauste : cet insupportable énoncé d’origine étatsunienne évoque un sacrifice religieux pour désigner le génocide perpétré par les Nazis entre 1941 et 1945 contre la population juive d’Europe, et que l’Europe semble avoir avalisée malgré le contresens qu’il suggère. 

[2] Dont il faut rappeler que, dans le cadre des remous qui secouent en ce moment le Parlement européen, on apprend qu’elle avait « oublié » de déclarer à temps quelques voyages peu déontologiques dont une « visite officielle » en Israël du 22 au 24 mai 2022, tous frais payés par l’État hôte qu’elle remercia par un discours particulièrement complaisant devant la Knesset. 

Source : UJFP
https://ujfp.org/…