Par Régis de Castelnau

Plusieurs articles viennent d’être publiés simultanément dans la presse à propos de l’association Anticor, structure créée il y a maintenant une vingtaine d’années et dont l’objet est la lutte contre la corruption publique. Dotée par Christiane Taubira en 2015, d’une capacité à intervenir en tant que partie civile dans certains dossiers, elle est devenue un acteur judiciaire important dans toute une série d’affaires politico-judiciaires.

Les informations que l’on retrouve dans ces articles, si elles sont avérées, sont passablement préoccupantes quant à la gestion d’une association dont l’objet social est précisément de défendre la morale publique. On peut également penser qu’elles ne tombent pas par hasard, et qu’il semble exister pour cette affaire un agenda caché.

En effet, l’agrément lui autorisant ses interventions judiciaires, dont dispose Anticor, doit être renouvelé tous les trois ans et la décision devait intervenir le 15 février. Reportée au début du mois d’avril, elle semble poser quelques problèmes, à commencer par celui de la plainte déposée par l’association contre Éric Dupond Moretti devant la Cour de Justice de la République (CJR). Pour des raisons évidentes de conflit d’intérêts, l’arrêté de renouvellement ne peut être pris par le Garde des Sceaux, et celui-ci a donc délégué sa décision au Premier ministre Jean Castex.

Petit retour en arrière : comment constituer un parquet privé politiquement orienté

Pour se faire une opinion, il est nécessaire de revenir sur l’histoire d’Anticor et le processus qui a transformé une association destinée à populariser la nécessaire lutte contre la corruption publique, en une structure que certains qualifient avec quelques solides arguments d’officine à visées politiciennes.

Anticor a été créée en avril 2003 par le juge Éric Halphen, juste après l’échec de sa tentative de pantouflage politique au Parti socialiste puis au Mouvement Des Citoyens aux législatives de l’année précédente. Ses objectifs étaient de promouvoir l’éthique en politique et de lutter contre la corruption et la fraude fiscale. Rejointe par un certain nombre de militants en général venus de la gauche, l’association a mis en œuvre toute une série d’actions, pris des initiatives, organisé rencontres et colloques. Ce qui lui a valu une certaine influence et un développement lui permettant une implantation sur l’ensemble du territoire national. L’examen de ses prix décernés annuellement et comprenant les « prix éthiques » d’une part et « casseroles » d’autre part fait apparaître une certaine sélectivité politique, les lauréats des casseroles appartenant en général nettement à la droite politique.

À partir de l’année 2009, les choses vont évoluer, l’association investissant systématiquement le terrain judiciaire, soit en formant des recours administratifs, soit en déposant des plaintes pénales ou se constituant partie civile dans des dossiers emblématiques. Cette hyperactivité procédurale va transformer l’association en une sorte de parquet privé auquel François Hollande, tout juste arrivé à la présidence et soucieux de structurer son outil d’intervention judiciaire à des fins politiques, va souhaiter donner un cadre juridique stable. Rappelons qu’au prétexte de l’affaire Cahuzac, il fit créer le Parquet National Financier (PNF), outil à compétence nationale destiné à lui donner la maîtrise des poursuites dans les domaines financiers sur l’ensemble du territoire. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, également créée à cette occasion, étant quant à elle chargée de fournir les informations destinées à alimenter les opérations contre les adversaires politiques. François Fillon en a fait l’amère expérience. François Hollande fit compléter discrètement son dispositif en organisant juridiquement la privatisation de l’autorité de poursuite normalement dévolue au parquet en créant la possibilité de donner un agrément à des associations leur permettant de jouer ce rôle. Ce fut d’abord le décret du 12 mars 2014 signé par François Hollande et Christiane Taubira incorporant cette possibilité à l’article 2 du Code de procédure pénale, puis un arrêté du 19 février 2015 signé de la Garde des Sceaux accordant à Anticor ledit agrément. Il faut noter que lorsqu’elle a signé cet arrêté, Christiane Taubira était membre du comité de parrainage de l’association, structure de droit privé ! Au-delà de l’évidente connivence, il y avait probablement aussi un problème pénal et l’article du code pénal relatif à la prise illégale d’intérêts aurait dû recevoir application. La ministre de la justice de l’époque fut soigneusement préservée de tout embarras à ce sujet… François Hollande et ses amis n’eurent pas se plaindre de la suite, l’examen des initiatives de procédure réparties entre la droite et la gauche fait furieusement penser à la recette du pâté d’alouette…

Une éthique à géométrie variable ?

La lecture des articles de presse que nous avons cités en commençant laisse quand même une drôle d’impression. Si ce que rapportent les médias est fondé, il semblerait que le fonctionnement actuel d’Anticor entretiendrait des rapports parfois élastiques avec ce qui constitue le cœur de son objet social, à savoir la défense de la morale publique.

Il y a d’abord la direction de l’association dont il apparaît qu’elle est essentiellement assurée par son vice-président Éric Alt par ailleurs magistrat du siège au tribunal judiciaire de Paris ! Voilà donc une association constituée en parquet privé intervenant aux quatre coins de la France, devant les juridictions en concurrence avec l’autorité de poursuite prévue par nos institutions. Et ce serait un magistrat du siège, indépendant et inamovible afin de garantir son impartialité, qui diligenterait des poursuites devant l’institution judiciaire à laquelle il appartient ? C’est une situation passablement invraisemblable, et que la Cour de cassation avait d’ailleurs relevée dans l’affaire Ferrand. Renaud Van Ruymbeke, juge d’instruction du pôle financier de Paris s’apprêtait à mettre Richard Ferrand en examen lorsque ses avocats sollicitèrent le « dépaysement » de l’affaire, au motif qu’Anticor étant partie civile, il y avait un problème puisque son vice-président appartenait au même tribunal que le magistrat instructeur. Requête qui fut prestement acceptée par la Cour de cassation renvoyant le dossier au tribunal de Lille où il dort d’un sommeil paisible. Patrick Balkany qui formula pour les mêmes raisons la même demande n’eut pas cette chance…

Pour être clair, il serait peut-être nécessaire d’arrêter de se moquer du monde. Le principe devrait être simple : une association bénéficiant de l’agrément et exerçant des fonctions de poursuite ne doit pas pouvoir être dirigée par un magistrat du siège !

Les choses se compliquent : la délicate question du renouvellement de l’agrément

Hasard du calendrier, il se trouve que l’agrément prévu par le décret du 12 mars 2014 et accordé à Anticor par Christiane Taubira, renouvelé en 2018 par Nicole Belloubet, arrivait à échéance le 15 février 2021. C’est normalement le Garde des Sceaux en exercice, Éric Dupond Moretti, qui aurait dû instruire ce dossier et prendre la décision. Il se trouve que sa nomination a été violemment contestée par l’essentiel du corps des magistrats qui en a fait une cible de manifestations et de revendications réclamant son départ. Les accusations de « conflits d’intérêts » ont été systématiquement lancées et relayées pour finir par une plainte nominative contre lui pour « prise illégale d’intérêts », déposée devant la Cour de Justice de la République (CJR). A priori, cette plainte aurait été déposée par les deux principales organisations syndicales de la magistrature à savoir l’USM et le SM. Plainte complètement irrecevable dans la mesure où lesdites organisations, faute de préjudice directement causé par l’infraction alléguée, n’ont aucun intérêt pour agir en application de l’article 2 du Code de procédure pénale. D’ailleurs, la fameuse « prise illégale d’intérêts » prévue et réprimée par l’article 432–12 du code pénal qui consiste pour un agent public à mélanger les casquettes publiques et privées dans une prise de décision, ne peut normalement provoquer de préjudice (et par conséquent permettre la constitution de partie civile) qu’à l’égard de la puissance publique dont la décision peut être frappée du soupçon de partialité. C’est la raison pour laquelle on peut légitimement penser que, proximité politique aidant, Anticor ait été sollicitée pour déposer plainte et lui permettre ainsi de prospérer. Ce qui fut le cas puisque la plainte a immédiatement été déclarée recevable et une information judiciaire ouverte. Éric Dupond Moretti attend sa convocation et on peut imaginer que les magistrats concernés ne manqueront pas de prononcer prochainement sa mise en examen, créant le scandale politique, objectif principal des initiateurs de la procédure. On n’alourdira pas ici le propos, mais un examen attentif des griefs fait sérieusement douter de l’existence même de l’infraction. En revanche, force est de constater que compte tenu de sa mise en cause, l’actuel ministre de la justice ne peut plus s’occuper du dossier de renouvellement et c’est la raison pour laquelle il s’est déporté, confiant le dossier à la gestion du Premier ministre. Il serait difficile de contredire ceux qui voient dans toutes ces manipulations une opération politique, poursuivant le double objectif de mettre le Garde des Sceaux en difficulté, et de faciliter l’obtention du renouvellement de l’agrément. En rendant difficile le refus qui serait immédiatement qualifié de volonté de protéger ensemble Éric Dupond Moretti et la corruption.

Mais n’y aurait-il pas justement quelques problèmes qui pourraient justifier qu’Anticor perde son agrément ?

Des informations préoccupantes

Plusieurs articles de presse ont été publiés rapportant certain nombre de péripéties concernant très directement Anticor et jetant un éclairage assez trouble sur ses comportements et ceux de ses dirigeants qui, s’ils sont avérés rendraient vraiment très discutable le renouvellement d’un agrément.

Le décret du 12 mars 2014 prévoit un certain nombre de conditions pour qu’une association puisse en bénéficier. La quatrième exige : « le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de ses ressources ». Or, que nous apprend la lecture des articles du Pointdu JDD et de Causeur ? Nous avons indiqué ce qu’il fallait penser de « l’indépendance » politique de l’association dans le choix de ses cibles, mais lorsqu’on regarde sa composition et ses directions successives, on constate que ce fut pour beaucoup, à commencer par son fondateur, un tremplin pour tenter d’accéder à des responsabilités politiques. Concernant les ressources et leur origine, il régnerait une opacité préoccupante que les actuels dirigeants semblent extrêmement désireux de pérenniser, voire la revendique. C’est ainsi qu’a été révélée l’existence d’un généreux et régulier donateur pour des versements avoisinant les 60 000 € par an. Dont la présidente Élise Van Beneden et le vice-président Eric Alt ont refusé de donner l’identité devant une commission parlementaire d’enquête, refus empêchant évidemment le contrôle par la puissance publique de l’indépendance d’Anticor « appréciée eu égard à la provenance de ses ressources » comme l’exige le décret. Pire, les deux dirigeants auraient prétendu « qu’ils ne connaissaient pas cette identité » alors que des documents consultés par les journalistes établiraient cette connaissance. Si ces faits sont établis, nous sommes en présence d’une infraction pénale qualifiée de « témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction », et prévue à l’article 434-13 du code pénal et passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. On pourrait être également un peu surpris que le président de la commission parlementaire qui n’avait pas hésité à saisir le parquet après les auditions de quelques magistrats se soit abstenu cette fois-ci.

Autre information assez stupéfiante, la référente d’Anticor en Loire-Atlantique, Françoise Verchère aurait fait état dans un courrier : « d’un don important fléché sur l’affaire Kohler dont elle ne savait pas d’où il venait ». Pardon ? L’association agréée titulaire d’une prérogative de quasi-puissance publique dont elle est tenue d’user en toute impartialité ferait commerce de la compétence octroyée par l’arrêté d’agrément en se faisant payer pour s’attaquer à des cibles particulières ? On pense immédiatement aux articles 433–1 et 433–2 du code pénal qui répriment sévèrement la corruption et le trafic d’influence, et il serait souhaitable de voir le parquet se saisir de ces révélations et d’ouvrir l’enquête préliminaire qu’elles imposent.

Il existe dans décret du 12 mars 2014 une cinquième condition pour obtenir l’agrément celle : « d’un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts, présentant des garanties permettant l’information de ses membres et leur participation effective à sa gestion. » La lecture de la presse récente, toujours, suscite quelques doutes sur ce fonctionnement régulier et sur les garanties devant être données aux membres de l’association. Refus de transmettre aux membres du conseil d’administration des informations pourtant essentielles sur l’origine des fonds versés, tel contrôleur interne empêché d’exercer son contrôle dans les règles contraint de s’en plaindre au parquet, telle référente départementale brutalement poussée dehors, tel regroupement d’opposants dénonçant une gouvernance autoritaire, et menacés d’exclusion, assignation lancée par neuf adhérents dont deux membres du conseil d’administration pour violation des statuts, telle protestation pour la participation active au Web média politique lancé par Denis Robert, ex-animateur de celui de la France insoumise, participation de la présidente ès-qualité au capital financier de l’entreprise etc. etc. Si les éléments rapportés par les médias qui n’ont guère été factuellement contestés par le duo qui la dirige actuellement, on voit difficilement comment Anticor pourrait bénéficier du renouvellement de son agrément.

Jean Castex, qui doit prendre la décision, l’a reportée au 2 avril prochain. En attendant Anticor disposera toujours de l’agrément ainsi prorogé. Ce qui lui sera fort pratique puisqu’au mois de mars viendront à l’audience la décision de l’affaire des écoutes pour Nicolas Sarkozy, l’examen de l’affaire Bygmalion dans laquelle Serge Tournaire, contre l’avis de Renaud Van Ruymbeke, a jugé bon d’impliquer également l’ancien chef de l’État, l’affaire Tapie en appel, et le procès de Jean-Noël Guerini, ancien président du Conseil Général des Bouches-du-Rhône objet d’une vendetta politique de son propre parti. Anticor est constitué dans les quatre affaires.

Considérer que cette opportune prorogation en est la conséquence serait faire preuve d’un bien mauvais esprit…

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…