Par Régis de Castelnau

Comme d’habitude, l’analphabétisme juridique et judiciaire des élites politiques et médiatiques fait des ravages à propos de l’audience qui s’est déroulée devant la Cour de Justice de la République. Éric Dupond Moretti est présenté comme un corrompu poursuivi par des magistrats soucieux de morale publique. C’est une présentation purement et simplement grotesque. La procédure a été initiée par les syndicats de magistrats et poursuivie par François Molins ancien avocat général auprès de la Cour de cassation pourtant, comme nous allons le voir, lui-même étant en situation de grossier conflit d’intérêts.

Et comme d’habitude encore, plutôt que de mener frontalement la lutte politique contre l’incapable qui sert de président de la République à notre pays, on préfère s’en remettre à ces magistrats qui l’ont pourtant porté au pouvoir et qui le protègent depuis. Le système Macron est profondément corrompu, mais il bénéficie de toutes les protections judiciaires possibles de la part des mêmes. L’assaut contre Éric Dupond Moretti n’est qu’une vendetta dirigée contre un personnage dont le corps judiciaire, en violation du principe de la séparation des pouvoirs, voulait la peau. Déçu qu’il était que ce ne soit pas précisément François Molins qui soit nommé place Vendôme. Cette réalité est un secret de polichinelle dans le monde judiciaire, mais les médias, toujours attachés au pacte passé entre la presse et les magistrats, se gardent de l’expliquer.

Ainsi le scandale n’est pas dans le refus d’Éric Dupond Moretti de démissionner de son poste pour faire face à la vendetta judiciaire dont il objet, mais bien dans la dérive d’une magistrature devenue force politique et qui se croit tout permis.

« Qui t’a fait roi ? »

Que s’est-il passé et comment en est-on arrivé à cette situation invraisemblable où le garde des Sceaux en exercice est poursuivi devant la juridiction chargée de juger les actes des ministres dans l’exercice de leur mandat ?

Probablement couvert par Emmanuel Macron, Éric Dupond Moretti a refusé de démissionner et il a eu raison. Mais la procédure dont il est l’objet, voulue avec acharnement par la magistrature, laissera des traces profondes qui vont encore affaiblir un peu plus les institutions. En particulier sur l’application du principe fondamental de la séparation des pouvoirs.

Au-delà du battage médiatique et des récupérations politiciennes cyniques ou ignorantes qui n’ont pas manqué, force est de constater qu’il exprime la totalité du problème institutionnel auquel notre pays est confronté.

Emmanuel Macron doit en premier lieu son élection du printemps 2017 à une forme de coup d’État, qui a impliqué la haute fonction publique, les médias, et le grand capital. Mais qui n’a été rendue possible que grâce à l’intervention délibérée de l’institution judiciaire qui, en disqualifiant en urgence François Fillon du scrutin, a ouvert un boulevard à un presque inconnu politique choisi par le bloc élitaire. Personne de sérieux aujourd’hui ne peut réfuter la réalité de ce scénario. Que ce soit au niveau du Parquet National Financier (PNF), autorité de poursuite, des magistrats instructeurs et du soutien d’un corps faisant bloc autour d’eux pour les justifier, la justice a pris parti et agi pour favoriser l’élection d’Emmanuel Macron. Une fois qu’elle l’a porté au pouvoir, la magistrature est restée cohérente. Toutes les affaires politiques financières qui pourraient s’avérer gênantes pour Macron et son système ont pu bénéficier d’un traitement adapté… Un traitement qui finit par s’apparenter à une protection : il suffit pour s’en assurer de voir les durées interminables de procédure, les prescriptions opportunes, les classements sans suite quand ce n’est pas simplement le silence obstiné face à des scandales avérés. L’affaire dite « McKinsey » en est d’ailleurs une singulière illustration. En revanche, gare à ceux qui peuvent mettre en difficulté le pouvoir macronien. Jean-Luc Mélenchon l’a fait l’expérience ce qui concerne les adversaires politiques. Et le massacre judiciaire du mouvement des Gilets jaunes démontre la vigilance répressive vis-à-vis des revendications sociales.

Il est difficile de contester ce traitement bien particulier qui permet aux amis d’Emmanuel Macron d’éviter les foudres de la justice, fussent-elles méritées, s’attaque à ses adversaires politiques et réprime sans mesure les mouvements sociaux. Mais il faut faire attention au contresens. N’étant plus soumis au pouvoir exécutif comme par le passé, ayant conquis son indépendance, le corps judiciaire est devenu une force politique autonome. Une force qui, un fois le concept d’impartialité passé aux oubliettes, se détermine en fonction de son idéologie et du poids politique qu’il entend avoir sur la société.

Le refus de la séparation des pouvoirs

Rappelons les faits : au mois de juillet 2020 dans une de ses opérations de communication dont Emmanuel Macron raffole, Éric Dupond-Moretti a été nommé à un des postes essentiels de la République. Erreur tactique et même probablement stratégique que d’installer place Vendôme un personnage dont la légitimité et les compétences à l’occuper apparaissaient assez faibles.

Avant même que l’opinion ait pu prendre la mesure de ce problème, la magistrature française s’est immédiatement cabrée contre la nomination d’abord d’un avocat, ensuite de quelqu’un qu’elle déteste. Ce fut l’invraisemblable déclaration de la présidente de la principale organisation syndicale de magistrats (USM) jetant gaiement par-dessus bord devoir de réserve et respect de la séparation des pouvoirs et n’hésitant pas à dire que « la nomination d’Eric Dupond Moretti- place Vendôme » constituait « une déclaration de guerre à la magistrature » ! Ce mot d’ordre a été immédiatement suivi par l’ensemble du corps au sein duquel se sont multipliés réunions, assemblées générales, communiqués vengeurs et déclarations solennelles comme celle, commune, de la première présidente de la Cour de cassation et du procureur général auprès de cette juridiction, c’est-à-dire les plus hautes autorités judiciaires de notre pays !

Éric Dupond-Moretti restant à son poste, il a fallu imaginer des moyens de le faire partir et de faire comprendre à l’exécutif que désormais, aux yeux des magistrats, le choix du ministre de la Justice leur appartenait. Tout le monde sait bien dans le monde judiciaire qu’ils attendaient la nomination de l’un des leurs – en l’occurrence François Molins, qui présentait quelques gages, dont le refus d’enquêter sur la disparition et le contenu du coffre-fort de Benalla. Grosse déception : il fallait donc réagir. C’est alors que les principales organisations syndicales représentant la grande majorité du corps ont eu l’idée de déposer contre le nouveau ministre une série de plaintes devant la Cour de Justice de la République, l’organe juridictionnel ayant compétence pour juger les fautes des ministres commises dans l’exercice de leurs fonctions et non détachables de celles-ci. La qualification choisie fut celle de « prise illégale d’intérêts ». Lesdites organisations syndicales savaient très bien que ces plaintes étaient irrecevables, puisque l’article 2 du code de procédure pénale prévoit que pour saisir le juge pénal, une personne privée (ce que sont ces organisations syndicales) doit justifier d’un préjudice personnel et direct né de la commission de l’infraction. Qu’à cela ne tienne : l’association Anticor, que certains qualifient de « parquet privé du parti socialiste », s’est associée à la procédure. Ce qui a permis de contourner le problème et d’éviter l’irrecevabilité des plaintes syndicales. Habile.

Où sont les conflits d’intérêts ?

Le nouveau pouvoir politique de la justice repose aussi sur la lâcheté et l’inculture judiciaire de la classe politique. Depuis trente ans, elle passe son temps à laisser la justice prendre ses aises et lui donne des pouvoirs de contrôle sur les autres pouvoirs séparés exécutifs et législatifs en espérant d’abord complaire à l’opinion publique, et en s’imaginant ensuite que la foudre tombera sur le voisin, ce qui au fond pourrait constituer une aubaine. L’ingénuité douloureuse affichée par François Fillon face au raid dont il était l’objet au printemps 2017 en est une jolie démonstration. Cette façon de donner des gages a conduit le législateur a confier aux seuls magistrats les poursuites et l’instruction dans les procédures devant la CJR.

Plaintes des organisations syndicales, frustration devant le choix de Dupond-Moretti comme garde des Sceaux, conduite de la poursuite par François Molins, alors avocat général auprès de la Cour de cassation, etc. On atteint quand même des records savoureux en matière de conflit d’intérêts. Et il se trouve que c’est précisément ce que l’on reproche à Éric Dupond-Moretti.

Justement qu’est-ce que la « prise illégale d’intérêts » ? Il faut d’abord rappeler que cette infraction prévue par le Code pénal n’incrimine pas d’effet mais sanctionne une situation : celle dans laquelle se trouve un décideur public dont les décisions pourraient être soupçonnées d’être prises pour des motifs d’intérêt privé. En effet, la décision publique doit être chimiquement pure, reposant exclusivement sur des motifs d’intérêt public. Il n’est pas question d’enrichissement, de détournement, de corruption, d’emplois fictifs mais simplement de faire peser un soupçon sur la décision publique. Trois conditions doivent être remplies pour que l’infraction soit constituée. Tout d’abord que la personne poursuivie soit un agent public ayant agi dans l’exercice de ses fonctions, ce qui est le cas d’Éric Dupond Moretti. Ensuite que cet agent public ait, en tant qu’agent public, ce que l’on appelle « la surveillance et l’administration » d’une affaire dans laquelle il a en même temps et concomitamment un intérêt privé. C’est l’exemple du maire qui, ès-qualité, attribue un marché public à une entreprise privée dont sa femme serait gérante.

Comme d’autres, l’avocat Éric Dupond Moretti a auparavant étévictimed’une enquête préliminaire secrète du PNF dont il considérait qu’elle recélait plusieurs infractions pénales. Comme d’autres toujours, il a déposé plainte lorsqu’il l’a appris. Sollicité pour devenir Garde des Sceaux, il l’a alors retirée et n’est par conséquent plus concerné en tant que personne privéepar l’éventuelle procédure à venir. Il a eu également dans sa carrière des conflits avec des magistrats qui avaient donné lieu à des procédures disciplinaires. Donc il apparaît que le nouveau garde des Sceaux avait tenu à se tenir à l’écart.

Ces précisions sont indispensables pour détromper ceux qui s’imaginent de bonne foi que le Garde des Sceaux est poursuivi pour des infractions financières immorales. Et pour essayer, sans illusion, de faire taire les politiciens opportunistes de mauvaise foi qui se réjouissent une fois de plus d’instrumentaliser la justice à des fins politiques.

Sans illusion parce que c’est maintenant le risque que nous courons. La Cour de justice de la République est composée dans sa formation de jugement d’une majorité de parlementaires en proportion de la composition de l’Assemblée nationale. C’est ainsi que Danièle Obono, récemment nommée à la CJR, va être amenée à statuer sur le sort d’Éric Dupond-Moretti… Je considère tout de même que celui-ci est un piètre Garde des Sceaux, un représentant caricatural de la dimension mondaine du macronisme, au détriment des qualités qu’on attend d’un ministre en charge d’un des postes les plus importants de la République. Il fut un avocat médiatique tonitruant dont les prestations parfois de qualité, étaient surtout destinées à plaire aux journalistes qui lui ont construit une image adaptée à la société du spectacle. Cependant, ce sont bien les magistrats qui ont mis en place les mâchoires du « piège à cons » cher au cœur du regretté Jean-Patrick Manchette. Soit Éric Dupond-Moretti est relaxé et on peut faire confiance aux syndicats de magistrats pour hurler à la connivence et aux ignorants pour entonner le chant habituel du « tous pourris ». Soit, règlement de compte politique aidant, il est condamné et ce sera alors une défaite institutionnelle donnant à la justice un droit de regard sur les choix politiques de l’exécutif.

La République ferait bien de se pencher sur le fonctionnement d’une justice, qui s’est transformée en une force politique autonome. Qui n’entend pas trancher comme arbitre les contentieux qui lui sont soumis, mais dicter sa propre loi à la société.

Source : le site de l’auteur
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