Par Scott Ritter

Scott Ritter est un ancien officier du renseignement du corps des Marines américains. Il a servi en Union soviétique comme inspecteur de la mise en œuvre du traité INF, auprès du Général Schwarzkopf pendant la guerre du Golfe et de 1991 à 1998 en tant qu’inspecteur des armes de l’ONU.

Source : RT, 2 février 2021

Traduction : lecridespeuples.fr

En adressant des exigences irréalistes à l’Iran et en se livrant à des propos alarmistes au sujet de son programme nucléaire, le Secrétaire d’État Tony Blinken a souligné la véritable intention des États-Unis quant à leur volonté de rejoindre ou non l’accord controversé.

Le Président Joe Biden a fait de la réintégration du plan d’action global conjoint (JCPOA, populairement connu sous le nom d’accord nucléaire iranien) l’une des principales priorités de son administration, inversant la direction prise par l’ancien Président Donald Trump qui, en mai 2018, a retiré les États-Unis de l’accord historique conclu en 2015.

Cependant, l’écart entre le désir déclaré de Biden et la capacité de son équipe de politique étrangère, dirigée par le Secrétaire d’État Antony Blinken, à le concrétiser, semble insurmontable.

Dans une déclaration récente, Blinken a averti que si l’Iran continuait de lever unilatéralement les diverses restrictions à son programme nucléaire prescrites par le JCPOA, Téhéran serait en mesure de produire suffisamment de matières fissiles pour une arme nucléaire en « quelques semaines ».

Mais cette affirmation est absolument fausse. Conformément à sa politique consistant à mettre fin aux restrictions du JCPOA en tant que mesure corrective autorisée en vertu de l’article 36 de l’accord, qui s’applique si d’autres parties sont en non-respect fondamental de l’accord (ce qui est manifestement le cas des États-Unis sont, qui ont réimposé des sanctions en violation de l’accord), l’Iran a entamé le processus d’enrichissement de l’uranium à 20%, et convertit cet uranium en métal. Celui-ci sera utilisé pour produire des plaques à combustible nécessaires pour alimenter un réacteur de recherche à Téhéran utilisé pour produire des isotopes médicaux.

Au 29 janvier, l’Iran avait accumulé quelque 17 kilogrammes d’uranium à 20%, dans le cadre d’un plan stratégique visant à produire 120 kilogrammes de matière par an, à un rythme de 10 kilogrammes par mois en moyenne.

Pour produire une arme nucléaire, l’Iran aurait besoin de convertir quelque 250 kilogrammes d’uranium enrichi à 20% en 25 kilogrammes d’uranium enrichi à 90%. Selon les plans de l’Iran, qui ont été transmis à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et sont surveillés par les inspecteurs de l’AIEA, il faudrait environ deux ans à l’Iran pour accumuler cette quantité d’uranium enrichi à 20%, une réalité qui contredit clairement l’évaluation de Blinken lorsqu’il parle d’une question de « semaines. »

Un autre fait qui démontre davantage la vacuité de l’affirmation de Blinken est qu’en convertissant l’uranium enrichi à 20 % en plaques de combustible métallique, l’Iran a rendu impossible l’utilisation de ce matériau dans tout programme d’armement « transgressif », étant donné les complexités associées à la reconversion du métal en hexafluorure d’uranium pour insertion ultérieure dans des centrifugeuses à gaz en vue d’un enrichissement ultérieur à 90%. En tant que telles, les actions de l’Iran neutralisent de facto sa capacité à obtenir une arme nucléaire, ce que Blinken ignore allègrement.

Mais le problème iranien de Blinken va beaucoup plus loin que ses déclarations trompeuses sur les capacités et intentions nucléaires militaires du pays. Sa prescription pour que les États-Unis rejoignent le JCPOA n’est guère plus qu’une pilule empoisonnée conçue pour tuer l’accord. « L’Iran n’est pas en conformité sur un certain nombre de fronts », a récemment déclaré Blinken, ignorant l’exercice par le pays de ses droits en vertu de l’article 36 (ce qui signifie que tant que les États-Unis ne lèveront pas les sanctions, l’Iran ne viole pas le traité, qui stipule explicitement que si une partie manque à ses obligations, l’Iran pourra prendre des mesures correctives), et le fait signalé que toutes les mesures prises à ce jour par Téhéran sont « entièrement réversibles ».

« Si l’Iran prenait la décision de revenir au respect de ses obligations, il faudrait un certain temps avant que ce retour à la conformité puisse être effectif, sans parler du temps qu’il nous faudra ensuite pour évaluer si Téhéran remplit bien ses obligations », a déclaré Blinken. Si l’Iran revenait à l’accord, cela ne servirait que de précurseur à ce que Blinken a appelé un « accord plus long et plus fort » qui aborderait d’autres questions « profondément problématiques ».

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Le problème est que l’Iran a exclu de lier un retour des États-Unis au JCPOA à toute négociation d’un nouvel accord dans le sens évoqué par Blinken. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, a rejeté toute idée de négociations bilatérales américano-iraniennes sur le JCPOA. « Les États-Unis doivent revenir à leurs engagements », a déclaré Khatibzadeh, « et si cela se produit, il sera possible de négocier dans le cadre de la commission conjointe du JCPOA. »

La position iranienne fait sens d’un point de vue juridique : après tout, ce sont les États-Unis qui ont quitté l’accord, et s’ils cherchent à y revenir, toutes les négociations doivent avoir lieu dans le cadre de l’accord lui-même, et non selon quelque nouveau mécanisme de négociation non conforme à l’accord.

Cependant, l’une des failles fondamentales de la position iranienne est son incapacité à reconnaître que du point de vue des États-Unis, le JCPOA n’a jamais été censé être un accord réussi, mais plutôt un outil provisoire utilisé par les États-Unis pour contenir le programme nucléaire de l’Iran d’une manière conforme aux préoccupations politiques nationales des États-Unis et non à la réalité de l’ambition nucléaire de l’Iran. En bref, officiellement du moins, le JCPOA a été conçu pour garantir que l’Iran ne serait pas en mesure d’acquérir suffisamment de matières fissiles utilisables dans un dispositif nucléaire pendant au moins un an, même après avoir violé les mécanismes de contrôle envisagés dans l’accord.

Certains de ces mécanismes de contrôle sont permanents, comme l’interdiction de tout travail iranien sur les engins explosifs nucléaires et sur le retraitement du combustible usé des réacteurs, nécessaire à la séparation du plutonium. Ces deux interdictions représentent le moyen le plus efficace de bloquer la voie de l’Iran vers une arme nucléaire. Il en va de même pour les dispositifs d’inspection renforcés qui permettent aux inspecteurs de l’AIEA de demander l’accès à des sites non déclarés.

D’autres mécanismes, cependant, expirent en vertu de ce que l’on appelle des « clauses d’extinction ». Deux des « clauses d’extinction » les plus importantes concernent la capacité de l’Iran à augmenter le nombre et les types de centrifugeuses d’enrichissement (clause expirant en 2025) et à augmenter la quantité d’uranium faiblement enrichi qu’il peut stocker (clause expirant en 2030). Les Iraniens considèrent ces deux clauses comme les réalisations les plus importantes des négociations du JCPOA, car elles garantissent que l’Iran sera en mesure de réaliser ses plans pour un programme d’énergie nucléaire indigène viable, un droit qui lui est garanti en vertu de l’article IV du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, dont il est signataire.

Cela n’a cependant jamais été l’intention des États-Unis. Selon le Président Barack Obama, dont l’administration a négocié le JCPOA, le but des « clauses d’extinction » était de donner du temps à l’Iran, une fois les sanctions réduites, pour « commencer à se concentrer sur son économie, à former son peuple, à réintégrer la communauté internationale, à diminuer ses activités de provocation dans la région ».

Selon Obama, en entrant dans le JCPOA, les États-Unis ont permis de « renforcer la main de ces forces plus modérées à l’intérieur de l’Iran ». Le JCPOA « ne dépendait pas de l’anticipation de ces changements. S’ils ne se produisent pas du tout, il vaut quand même mieux avoir cet accord. »

Le point de vue d’Obama était motivé par les évaluations des services de renseignement américains qui, en 2015, évaluaient officiellement le « temps de percée (vers l’arme nucléaire) » de l’Iran à deux ou trois mois. En entrant dans le JCPOA, les États-Unis « achetaient pour 13, 14 ou 15 ans des assurances que le temps de percée durerait au moins un an… et que si l’Iran décidait de rompre l’accord, d’expulser tous les inspecteurs, de briser les scellés et de construire une bombe, nous aurions plus d’un an pour répondre. Et nous avons ces assurances pour bien plus d’une décennie. »

Le point important à retenir est ce qu’Obama a dit ensuite. « Et puis après 13 ou 14 années, il sera possible que ces temps de percée soient devenus beaucoup plus courts, mais à ce stade, nous aurons de bien meilleures idées sur ce qu’implique leur programme. Nous aurons beaucoup plus d’informations sur leurs capacités. Et la possibilité pour un futur Président de prendre des mesures s’ils essaient réellement d’obtenir une arme nucléaire ne sera pas diminuée. » En bref, si l’Iran n’utilisait pas le JCPOA comme moyen de comprendre qu’il n’avait pas besoin d’un programme nucléaire et abandonnait volontairement ses activités nucléaires, alors les États-Unis prendraient des mesures qui empêcheraient les « clauses d’extinction » d’expirer.

Voir Khamenei : nos frappes contre la base d’Al-Assad ont brisé le prestige des Etats-Unis

Malheureusement pour Obama, Biden et les partisans du JCPOA, Trump n’était pas disposé à jouer à ce jeu. Reconnaissant que la logique sous-jacente à l’approche d’Obama vis-à-vis du JCPOA reposait sur la conviction que les ambitions nucléaires de l’Iran n’étaient que temporairement retardées par les « clauses d’extinction », Trump s’est simplement retiré de l’accord, avançant d’une décennie le moment de l’action présidentielle. À bien des égards, l’approche de Trump envers l’Iran, bien que fondamentalement biaisée, était au moins honnête. On ne peut pas en dire autant de l’administration Obama qui a négocié l’accord initial, ni de l’administration Biden, qui est désormais obligée de faire face aux retombées du double jeu d’Obama et des actions de Trump en réponse à cette tromperie.

Le temps presse pour Biden et Blinken s’ils espèrent relancer le JCPOA. Le parlement iranien, dominé par les conservateurs, a fixé au 21 février la date limite pour que les États-Unis lèvent les sanctions qui avaient été réimposées lorsque Trump a retiré les États-Unis du JCPOA. Si les États-Unis n’agissent pas, l’Iran suspendra probablement les inspections renforcées de ses sites nucléaires par l’AIEA et augmentera encore sa capacité d’enrichissement d’uranium.

« Nous avons répété à maintes reprises que si les États-Unis décidaient de revenir à leurs engagements internationaux et de lever toutes les sanctions illégales contre l’Iran, nous reviendrions à la mise en œuvre complète du JCPOA, qui profitera à toutes les parties », a récemment déclaré Majid Takht-Ravanchi, l’ambassadeur d’Iran auprès des Nations Unies. Mais les commentaires de Takht-Ravanchi supposent que l’administration Biden puisse avancer sur le JCPOA de bonne foi, plutôt que dans l’intention de la négociation américaine initiale.

L’administration Obama, cependant, n’a jamais conçu le JCPOA comme autre chose qu’une mesure provisoire destinée à faire gagner du temps aux États-Unis dans la gestion du programme nucléaire iranien. Grâce à Trump, le temps est écoulé. Pour Biden, Blinken et le reste des décideurs politiques de l’ère Obama qui sont maintenant de retour au pouvoir et qui en ont semé ce vent, le moment est venu de récolter la tempête. Biden peut chercher à blâmer Trump pour ne pas avoir rejoint le JCPOA, mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

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Note du Cri des Peuples

Scott Ritter semble sous-estimer l’Iran, et se leurrer lui-même sur la question nucléaire : Khamenei, qui s’est toujours opposé à l’accord nucléaire (sans pour autant y mettre son veto), a déclaré maintes fois que celui-ci n’est qu’un prétexte fallacieux pour empêcher le développement technologique et militaire indépendant de l’Iran et contenir son influence régionale croissante en faveur de la souveraineté et de la solidarité face à l’impérialisme, notamment au sein de l’Axe de la Résistance. La question récurrente des capacités balistiques de la République Islamique, qui ont fait leurs preuves dans la frappe de janvier dernier contre la base américaine al-Assad, en est une preuve :

« Un retour à l’accord actuel ne suffira pas », a déclaré le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, à l’hebdomadaire DerSpiegel, dans la perspective d’une possible relance de ce dossier après l’entrée en fonction du démocrate Joe Biden comme président des États-Unis. « Il va falloir une sorte d’accord nucléaire plus, ce qui est aussi dans notre intérêt », a déclaré M. Maas.

Joe Biden a confirmé mercredi être favorable à un retour de son pays dans l’accord si les autorités iraniennes revenaient à un respect strict des limites imposées à leur programme nucléaire, avant des négociations sur les autres menaces posées par Téhéran.

« Nous avons des attentes claires à l’égard de l’Iran : pas d’armes nucléaires, mais pas non plus de programme de missiles balistiques qui menace toute la région », a souligné pour sa part M. Maas, alors que l’Allemagne occupe jusqu’à la fin du mois la présidence semestrielle de l’UE

C’est bien ces capacités conventionnelles que l’Occident cherche à neutraliser en les incluant dans un nouvel accord, preuve que le nucléaire est un faux problème.

Voir également Khamenei : les négociations sont une supercherie, l’Europe est notre ennemie au même titre que les Etats-Unis & Condamnation du programme spatial iranien par la France : le chien aboie, la caravane passe

Source : Le Cri des Peuples
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