L’ex-secrétaire d’Etat américain Donald Rumsfeld. D. R.

Par Mohsen Abdelmoumen

Après avoir brossé le tableau de la mutation de l’Empire britannique du début du XXe siècle en Empire anglo-américano-sioniste mondialisé à l’heure actuelle, nous allons montrer pourquoi le risque de dérapage vers une guerre mondialisée existe aujourd’hui du fait des intérêts ou du travail souterrain de deux fractions de l’Empire.

La «rédemption par le chaos»

Le premier groupe est celui des néo-conservateurs et des autres descendants de frankistes. En effet, ils vont au-delà du bellicisme et de l’esprit de domination typique des Empires en y ajoutant leur tournure de pensée si particulière de «rédemption par le chaos», c’est-à-dire qu’ils jouent le rôle d’agents de l’apocalypse pour apporter la «rédemption» qui prend la forme, plus ou moins consciente, de triomphe définitif du peuple juif élu dans le monde. Et ce triomphe passe par la destruction des peuples ou nations qui s’opposent à sa domination.

Or, élevés dans le ressentiment des persécutions et des pogroms à l’égard des juifs perpétrés à l’époque de la Russie tsariste, ils sont animés d’une haine séculaire et très particulière à l’égard de la Russie, sorte de Babylone européenne moderne à leurs yeux, d’autant plus que celle-ci refuse de se soumettre au diktat de l’Empire.

C’est la même haine irrationnelle et séculaire de la Russie qui animait Trotsky et les juifs russes composant l’essentiel du premier bureau politique du parti bolchevique qui les poussa à utiliser l’Armée rouge durant la guerre civile contre les Russes blancs tsaristes puis lors des grands procès, pour perpétuer un gigantesque massacre de populations civiles et une véritable épuration au sein du clergé orthodoxe en Russie.

Les néo-conservateurs usent d’une propagande anti-russe et anti-Poutine grossière avec le diptyque de Poutine en nouvel Hitler irrationnel et assoiffé de violence et de la Russie comme nouvelle Allemagne nazie qu’il faut arrêter dès le conflit en Ukraine avant que le reste de l’Europe de l’Est puis de l’Ouest ne soient attaquées. Cette approche confirme l’irrationalité des antagonistes de la Russie à la manœuvre et le danger qu’ils font peser sur la marche du monde.

La doctrine Cebrowski-Rumsfeld

Ces néo-conservateurs inquiètent aussi car ils sont en train de brouiller les cartes de la doctrine militaire au Pentagone. En effet, bien que moins influents au Pentagone qu’au département d’Etat, les néo-conservateurs du Pentagone ont façonné, dans leurs délires de domination et de chaos, la doctrine Cebrowski-Rumsfeld qui est une version américano-frankiste de la doctrine Mac Kinder appliquée au monde entier et pilotée par The Office of Force Transformation du Pentagone (ou Bureau de la transformation des forces). Dans cette nouvelle doctrine, le monde est découpé en trois parties : l’Empire et ses alliés (les grandes puissances thalassocratiques), les ennemis indestructibles de l’Empire (Russie et Chine) et le reste du monde «destructible».

Cette doctrine préconise que les Etats-Unis détruisent les structures étatiques du troisième cercle (le «reste du monde») pour maintenir un contrôle absolu sur l’accès aux matières premières, ce qui permettra d’assurer l’approvisionnement direct de l’Empire en ressources, pour perpétuer son hégémonie, de priver les «ennemis irréductibles» de ces ressources pour paralyser leur machine économique et militaire (notamment la Chine) et, en troisième lieu, de maintenir le contrôle de l’Empire sur ses vassaux, typiquement l’Europe et le Japon, également dépendants de l’approvisionnement en ressources naturelles provenant du reste du monde. Elle trouve sa source dans le substrat apocalyptique du frankisme, tout en jouant du racisme des populations occidentales qui conduisit à leur doctrine impériale génocidaire et d’épuration ethnique pour assurer un pillage des ressources naturelles, appliquée au début des Empires par les futurs «Américains» en Amérique du Nord, les Espagnols en Amérique latine, les Français en Algérie ou les Anglais en Australie.

La doctrine Cebrowski-Rumsfeld a été mise en œuvre au début des années 2000 dans l’Afrique des Grands Lacs et notamment en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) appelé également le «scandale géologique» du fait de ses immenses ressources minières ; ce malheureux pays a vu la destruction de son appareil étatique, suivi du pillage continu par les multinationales de l’Empire (y compris des sociétés israéliennes) et un génocide de 5 millions de personnes dans l’indifférence totale des médias mondiaux et de la «communauté internationale».

Les délires frankistes  

Elle a ensuite été appliquée à grande échelle au «Grand Moyen-Orient» sous l’ère Bush- -Obama (post-11 septembre puis à la faveur des Printemps arabes) avec le glissement de l’application du plan Oded Yinon de balkanisation des Etats vers la destruction pure et simple des structures étatiques (comme en Irak, en Lybie, en Somalie, au Yémen, en Afghanistan et en Syrie).

Après la destruction directe et visible par les armées, elle s’accompagne désormais de l’introduction par les services secrets de l’Empire de groupements non étatiques comme Al-Qaïda puis l’Etat islamique en Irak et en Syrie et leur myriade de proxies pour semer le chaos et la terreur pendant que les multinationales pillaient les ressources naturelles, ce qui continue à se dérouler allègrement en Lybie de manière non officielle et en Syrie dans les zones sous «contrôle direct» américain.

Ces groupes nihilistes, manipulés par l’Empire au Moyen-Orient avec les néo-conservateurs à la manœuvre, pratiquent une bouillie idéologique de «rédemption par le chaos» et passent à l’acte, sous l’influence de drogues chimiques, en réduisant en esclavage, violant et massacrant à grande échelle de malheureuses populations qu’ils martyrisent et déshumanisent, à la pure manière des délires frankistes et des mouvements qu’ils ont inspirés en Europe de l’Est durant deux siècles.

Le principal danger aujourd’hui est de voir ces néo-conservateurs enragés tenter d’étendre la doctrine Cebrowski-Rumsfeld de destruction et de pillage à la Russie, en dépit de la prudence la plus élémentaire qui devrait prévaloir entre puissances nucléaires et qui a, globalement, permis d’éviter une déflagration nucléaire lors de la guerre froide tant que les «réalistes» étaient aux commandes et les «fous du Pentagone» au sous-sol( 1).

A la faveur de la guerre russo-ukrainienne, on voit ces néo-conservateurs ressortir les plans de balkanisation de la Russie de la guerre froide, faire miroiter la perspective du pillage des ressources minières considérables de la Russie aux ploutocrates, ou tenter de convaincre les militaires du courant dit «réaliste» d’utiliser des armes nucléaires «tactiques» sur le champ de bataille (2), notamment via des procédures «anodines» d’autonomie de décision de l’usage de ces armes atomiques tactiques accordée aux commandants sur les champs de bataille autour de la Russie, et demain de la Chine.

Les oligarques veulent leur guerre

Le second groupe qui pousse également à une guerre à grande échelle est constitué des oligarques qui souhaitent rééditer la séquence historique des années 1920-45 jusqu’au bout : «folies boursières» financées par les banques centrales assujetties aux intérêts privés – accaparement des richesses des nations au profit d’une infime minorité d’intérêts privés via les investissements boursiers – grande crise boursière devenant une crise financière poussant les Etats à s’endetter démesurément pour sauver les banques privées et leurs actionnaires ploutocrates – gigantesque crise économique provoquée par ce transfert d’argent public, plongeant les classes moyennes et populaires dans la misère – montée des antagonismes internes aux nations et entre nations – guerre mondiale et «reset» de l’économie mondiale avec effacement des dettes interétatiques et intraétatiques au sein de l’Empire, changement de système monétaire et de modèle de régulation économique à l’échelle mondiale. Et maintien des mêmes oligarchies au sommet de la pyramide des revenus à la sortie de la guerre, avec une concentration de richesses encore plus grande qu’avant-guerre, sans qu’on leur demande de comptes, autre qu’un discrédit moral sur leur responsabilité réelle dans la guerre mondiale comme on l’a vu plus haut.

L’intérêt de rejouer la même séquence historique ayant conduit à la Seconde Guerre mondiale est qu’elle s’est finalement terminée par le long cheminement de l’après-guerre où la puissance économique, fortement concentrée entre les mains d’un groupe restreint déterminé et aux intérêts convergents, a reconstitué son retour à une hégémonie économique, politique, idéologique et médiatique complète malgré le discrédit moral post-Seconde Guerre mondiale et les minces garde-fous constitutionnels pour lutter contre les conflits d’intérêt et les concentrations de pouvoirs, concédés «pour la galerie» (notamment sur le contrôle des médias par les intérêts privés).

Or, bien des signes montrent que les élites compradores sont en train de rejouer à l’identique la séquence historique qui leur a tellement réussi, ainsi qu’à leur portefeuille, jusqu’à la guerre et au «reset» de l’économie mondialisée.

Depuis la grande crise boursière de 2008, nous avons déjà rejoué les premières étapes du même enchaînement : crise financière, puis crise économique, avec une gigantesque paupérisation des classes populaires et moyennes, une concentration monstrueuse et inégalée des richesses et du capital et une montée des tensions dans le monde à l’intérieur des Etats et entre eux. Deux signes majeurs montrent que les ploutocrates ont accéléré la marche vers la guerre mondiale.

La marche vers la guerre

Le premier signe est l’accélération de leur prédation économique à l’intérieur des sociétés occidentales de l’Empire à un niveau similaire à celui pratiqué jadis dans les sociétés colonisées, tout en empêchant l’union des forces populaires contre eux par l’exacerbation jusqu’à l’hystérie des différences sociales. Ce remplacement de la si pertinente lutte des classes de Marx, qui constituait le référent au début du XXe siècle, par la lutte de tous contre tous est le fruit de la manipulation de l’idéologie «woke», appelée aussi «marxisme social». Elle conduit à l’atomisation de la société entre groupes antagonistes : conservateurs contre libéraux, femmes opprimées contre hommes oppresseurs, «blancs» contre minorités ethniques, jeunes contre vieux, salariés contre entrepreneurs, chômeurs contre professions libérales, «ceux qui se lèvent tôt» contre «assistés fraudeurs de l’aide sociale», entre LGBTQ+ et hétérosexuels, entre chrétiens et musulmans, entre habitants des grandes villes et ceux de la «périphérie», entre Etats rouges et Etats bleus, entre propriétaires d’armes à feu et anti, entre vaccinés et non vaccinés, etc. Ainsi, toutes ces revendications importantes mais mineures qui avaient été transcendées par la si dangereuse analyse de Marx servent d’écran de fumée et mène à l’anomie et détourne l’attention de la responsabilité écrasante des oligarques.

Cette stratégie de la tension qui hystérise toutes les sociétés de l’Empire menée de manière coordonnée par les oligarchies compradores mondialisés via leur contrôle des politiciens, des médias et de la violence d’Etat va accélérer la marche vers la guerre qui permettra le «reset» qu’ils appellent de leur vœu.

«Reset» : on efface tout et on recommence

En parallèle, le second signe de l’accélération de la marche vers la guerre est la mise en commun coordonnée des richesses par les oligarques et les ploutocrates au niveau mondial via les fonds d’investissements BlackRock, Vanguard et State Street dont les actifs sous gestion représentent actuellement respectivement 10 000 milliards de dollars pour BlackRock, 7 200 milliards de dollars pour Vanguard et 4 200 milliards pour State Street, soit un quart de la totalité de la capitalisation boursière mondiale. Ce phénomène est une nouveauté par rapport au siècle dernier.

Ces fonds ont connu une accélération monumentale de leur croissance à la suite de la crise de 2008 et de la politique de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) des Etats occidentaux, notamment de la FED, qui a atteint des sommets lors de la crise du coronavirus de 2020. Les banques centrales ont racheté directement des titres d’entreprises sur les marchés financiers pour assurer la stabilité des marchés boursiers et éviter un effondrement des cours, allant bien au-delà du mandat classique des banques centrales sur les marchés monétaires et bancaires. La FED a même financé l’achat direct d’obligations d’entreprises «à risque» par BlackRock, sans même passer par l’écran des banques comme habituellement.

Via leurs fonds d’investissements, notamment BlackRock, Vanguard et State Street déjà cités (3), les intérêts privés oligarchiques ont acheté frénétiquement les actifs tangibles les plus importants de la planète comme des parts des entreprises les plus importantes de tous les secteurs économiques, notamment industriels, mais aussi des terres agricoles, des mines, des biens immobiliers, des bijoux, des œuvres d’art, etc.

Or, comme la FED «indépendante», la BCE «indépendante» et les grandes banques privées, ces fonds d’investissement privés et les grandes entreprises dans lesquelles ils investissent si généreusement ont tous pour actionnaires directs ou indirects les mêmes oligarques, ce qui signifie que la gigantesque impression d’argent public précédant la crise boursière de 2008 et surtout après celle-ci qui constitue l’essentiel du volume de dettes des Etats n’a in fine servi qu’à enrichir une poignée d’oligarques.

En se penchant sur l’histoire pré et post Seconde Guerre mondiale, l’engrenage dans lequel nous mènent ces oligarques est le suivant : à la faveur d’une grande guerre mondiale, il y aura le fameux «reset» qui permettra d’effacer les dettes des Etats accumulées pour financer les oligarques et de changer de système monétaire et de paradigme économique, sans reddition de comptes pour les responsables de ce hold-up monumental.

Puis, ces oligarques savent que dans le monde post reset, tôt ou tard, l’accaparement inédit dans l’histoire d’actifs tangibles aux quatre coins du monde financé par de l’argent public de notre époque leur permettra de reprendre les rênes du monde, comme ils l’ont fait après la Seconde Guerre mondiale.

Il y a comme un cygne noir à l’horizon : les oligarques se font tous construire des abris atomiques privés pour eux et leur famille.

Mohsen Abdelmoumen

(Suite et fin)

Références

1- En référence à Bush Senior qui avait traité les néo-conservateurs, encore éloignés des leviers du pouvoir dans les années 80, de «fous du sous-sol»,

2- Ces armes nucléaires «tactiques» ont néanmoins une puissance plusieurs dizaines de fois supérieures à celles d’Hiroshima, ce qui signifie que le moindre «petit» lâchage de ces bombes déclenchera une guerre nucléaire généralisée.

3- La croissance vertigineuse de BlackRock, Vanguard et State Street les distingue des autres fonds d’investissements et révèle l’empressement des oligarques à opérer des transferts massifs de richesses du public vers leur poche, ainsi que le degré de coordination atteint au sein des oligarques pour la mise en place de tels colosses.

Source : auteur
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