Crédit photo : compte Instagram du Comité de soutien à la Palestine Sciences Po

Par Erell Bleuen et Le Poing Levé

Depuis mercredi, Sciences Po Paris est au cœur de ce qui est devenue une affaire d’État. De Gérard Larcher à Macron lui-même en passant par l’ensemble des ministres, tous se sont plongés corps et âme dans « l’affaire Sciences Po », fondée sur du vent. A partir de rien, ministres, politiciens et experts ont pu dire la messe pendant deux jours : dénoncer le génocide à Gaza vous rendra suspect d’antisémitisme !

La polémique autour d’une action de solidarité avec la Palestine organisée mardi par des étudiants à Sciences Po Paris, accusés « d’antisémitisme » a pris une ampleur politique délirante.

Évoquée en conseil des ministres par Macron qui a repris à son compte les accusations à l’encontre des étudiants et fustigé « du séparatisme » « dans la République et à Sciences-po », elle s’est amplifiée encore depuis les déclarations de Gabriel Attal, qui a annoncé avoir saisi le procureur de la République, mis l’institut sous la coupe d’un « administrateur provisoire » et l’inscription du « respect des valeurs de la République et de la liberté d’expression » dans le contrat de la direction. De quoi donner les clés à la nouvelle direction de Sciences Po de serrer les vis contre les mobilisations en cours et à venir. Couronnement de la chasse aux sorcières politique et médiatique jeudi, le rassemblement contre la répression des soutiens au peuple palestinien, appelé devant Sciences Po Paris a été interdit et le quartier bouclé par des dizaines de camion de CRS et le déploiement de la Brav-M, connue pour tabasser des jeunes manifestants.

Mais malgré toutes les tentatives des médias et des politiques pour monter un procès en antisémitisme contre les étudiants de Sciences Po, force est de constater que la polémique repose sur du vent. Comme l’ont expliqué les étudiants du comité de soutien à la Palestine dans leur communiqué, « les personnes à qui l’accès a été refusé étaient des individus ayant harcelé et intimidé par le passé d’autres étudiant-es quant à leur positions politiques », « connues pour avoir photographié et filmé des étudiants pro-palestinien-es à leur insu, pour ensuite les poster sur les réseaux sociaux, les exposant ainsi à un risque élevé de harcèlement en ligne ».

Les slogans antisémites étayés partout dans la presse ? Personne ne les a entendus, pas même l’étudiante au cœur de l’affaire qui a expliqué au Parisien que « quelqu’un m’a dit qu’un participant avait lancé : « La laissez pas rentrer, c’est une sioniste ! » ». Les interdictions d’entrée dans l’amphithéâtre ? Même BFMTV, pourtant réputée pour leur suivisme absolu du discours gouvernemental, a été obligée de titrer que « l’étudiante « bloquée » a pu entrer dans l’amphithéâtre ». En bref, une affaire sans faits ni preuves, mais qui a permis une cabale médiatique pendant deux jours, lors de laquelle toute la presse, le gouvernement et la droite ont assimilé les soutiens au peuple palestiniens à des antisémites. Aucun de ceux qui ont relayé ces diffamations n’ont évidemment, face à l’évidence de leurs mensonges, apporté le moindre correctif.

Car le but dans cette histoire, bien loin d’une prétendue lutte contre l’antisémitisme, c’est Gérard Larcher qui en parle le mieux. Selon le président du Sénat, Sciences Po serait « une école d’excellence qui a basculé » qu’il faudrait empêcher de devenir « un bunker islamogauchiste ». Pour son homologue Yaël Braun-Pivet, les universités seraient devenues « des lieux de militantisme effréné » tandis que Gabriel Attal dénonçait une « dérive liée à une minorité agissante et dangereuse à Sciences Po ». Lutter contre les voix qui, dans les universités, contestent l’ordre établi, le colonialisme, dénoncent le génocide en cours à Gaza, et la politique impérialiste de la France qui soutient coûte que coûte Israël : voilà de quoi la répression qui s’abat contre les étudiants de Sciences Po est le nom. Une rhétorique bien connue de l’enseignement supérieur ces dernières années, des procès en « islamophobe-gauchisme » de Frédérique Vidal à l’obsession du wokisme par Jean-Michel Blanquer.

La réalité que les politiques finissent par admettre à demi-mot, c’est qu’ils sont terrifiés de voir qu’au sein de l’institution où ont été formés présidents, ministres et bureaucrates en tout genre, une rupture profonde avec la politique de l’État français voit le jour chez une frange des étudiants censés représenter la « future élite de la nation ». Vouloir soumettre les étudiants de Sciences Po aux « respect des valeurs de la République », c’est vouloir les faire adhérer, de gré ou de force, aux valeurs qui servent à envoyer des équipements militaires et des bombes à Israël, qui permettent à la police de tuer des jeunes dans les quartiers populaires, ou encore d’empêcher aux lycéennes de venir habiller comme elles le souhaitent à l’école.

Or, si même les centres de formation de l’élite sont atteints, cela signifie qu’un mouvement profond travaille la jeunesse tout entière qui ne peut rester sans rien dire et sans rien faire face à un monde que les capitalistes amènent tout droit vers la guerre et les massacres.

Le rouleau compresseur médiatique pour une action isolée dans une fac traduit l’inquiétude de la classe dominante. Elle qui veut nous préparer à ses guerres et à ses interventions impérialistes, doit tuer dans l’œuf ce sentiment de solidarité de la jeunesse avec les colonisés du monde entier. D’autant que la bourgeoisie française sait le potentiel subversif que cette politisation dans les universités contient. Elle connaît par cœur l’histoire de mai 68, qui puise ses racines dans les comités de soutien aux luttes anti-coloniales en Algérie ou au Vietnam. La politisation anti-impérialiste qui avait travaillé les facs a fini par mettre le feu aux poudres du mouvement ouvrier qui a déclenché la plus grande grève générale que la France ait connue.

Cette politisation est une menace pour leur ordre. Car les jeunes qui chantent « Israël assassin », dans les principales puissances impérialistes de ce monde, ajoutent immédiatement Biden, Sunak ou Macron, complices ! En s’engageant en solidarité avec le peuple palestinien qui résiste sous les bombes, c’est tout un système que notre génération condamne.

Source : Révolution Permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/…