Une manifestation à Chicago pour protester contre les frappes aériennes israéliennes
dans la Bande de Gaza, mai 2021

Par Joseph Massad

Les Palestiniens ne seront reconnus en tant que peuple par l’Occident et Israël que lorsqu’ils auront renoncé à tous leurs droits, en tant que nation et en tant qu’autochtones.

Un des éléments exceptionnels et cruciaux du jeu diplomatique qu’Israël a déployé depuis son établissement en 1948 a été le refus de reconnaître le droit du peuple palestinien autochtone de se représenter.

Tandis qu’Israël, selon les mots de Golda Meir, insistait pour déclarer que « le peuple palestinien n’existe pas » jusque dans les années 1970 et 1980, la communauté internationale, particulièrement les Nations Unies et les pays anciennement colonisés dans le monde entier, en sont venus à reconnaître l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme son seul représentant légitime au milieu des années 1970.

Essentiellement, ce qu’Israël demandait, et les Etats-Unis derrière lui, était que pour que les représentants des Palestiniens gagnent en légitimité auprès de l’Occident colonial et des colonies israéliennes, ils devraient abandonner complètement tous leurs droits autochtones nationaux à leurs colonisateurs juifs.


Un représentant légitime

La reconnaissance tardive par Israël qu’il existait effectivement un peuple palestinien a été rapidement suivie de   deux conditions principales mises pour reconnaître la légitimité de leurs représentants, à savoir que l’OLP accepte la légitimité d’Israël comme colonie juive construite sur les terres volées aux Palestiniens, et dont le vol doit être reconnu comme légitime par les Palestiniens, et que les Palestiniens cessent et s’abstiennent de toute résistance, particulièrement militaire, au colonialisme d’occupation israélien. Sinon, les représentants des Palestiniens seraient considérés comme « terroristes » non convenables pour quelque négociation que ce soit avec leur oppresseur colonial.  

Il a fallu de 1948 à 1993 aux représentants des Palestiniens pour accepter les conditions israéliennes et capituler, quand l’OLP a signé les accords d’Oslo et a finalement été reconnu par Israël comme le « représentant légitime » du peuple palestinien.

Une fois que l’OLP a abandonné à Oslo tous les droits autochtones nationaux reconnus internationalement du peuple palestinien, les négociations qu’Israël a accepté de mener avec elle ont porté surtout sur la nature et les mécanismes de l’occupation israélienne perpétuée sur moins d’un tiers des Palestiniens (en Cisjordanie et à Gaza).

Israël a bloqué toutes les négociations sur son régime et l’oppression du reste des Palestiniens, que ce soit les réfugiés en exil ou la minorité opprimée soumise à un régime   d’apartheid à l’intérieur d’Israël. Près de trente ans de négociations plus tard, Israël a décidé que la nature après Oslo de son régime colonial sur tous les Palestiniens devrait demeurer ce qu’il était auparavant, voire même être intensifié. Israël a alors manoeuvré pour garantir que le mouvement de résistance palestinienne, le Hamas, serait étiqueté « organisation terroriste » en Europe et en Amérique du nord, comme il   l’avait fait avec l’OLP jusqu’en 1991, à moins que le Hamas ne suive les pas de l’OLP et ne se soumette en acceptant la légitimité du colonialisme d’occupation israélien dans toute la Palestinien et renonce à toute résistance.

Mais était-ce une nouvelle ou une ancienne stratégie coloniale ? D’où est venu le refus de longue date d’Israël de reconnaître le peuple palestinien et la légitimité de leurs représentants sauf s’ils se soumettaient et acceptaient comme légitime la dépossession par le colonialisme d’occupation juif ?

Un précédent colonial

Comme pour chaque autre mesure utilisée par les Israéliens pour soumettre le peuple palestinien, ils n’ont jamais inventé de stratégies, mais simplement plagié des précédents coloniaux européens bien établis. En fait, les conditions mises par Israël pour reconnaître la légitimité des représentants des Palestiniens étaient les conditions standard imposées par les dirigeants coloniaux britanniques après la conquête de la Palestine par la Grande-Bretagne entre décembre 1917 et septembre 1918.

Les Palestiniens avaient établi des myriades d’organisations pour résister à l’occupation britannique et à son parrainage du colonialisme d’occupation juif ; les plus importantes étaient les branches, dans tout le pays, de l’Association musulmane-chrétienne (MCA),   dont la première avait été formée à Jaffa.

En novembre 1918, la MCA de Jaffa  a soumis un memorandum au Brigadier-Général Sir Gilbert Clayton, principal responsable politique et décideur de l’administration militaire britannique, memorandum qui affirmait le caractère arabe de la Palestine (« Notre patrie arabe, la Palestine ») et objectait à la politique du Foyer national juif de la Déclaration de Balfour de 1917.

C’était particulièrement important, parce que les colons juifs, avec le parrainage de l’Organisation sioniste (maintenant « Organisation sioniste mondiale »), organisaient une parade le 2 novembre, le premier anniversaire de la Déclaration de Balfour, pour célébrer le succès de leur projet colonial.

La MCA rassembla le premier Congrès national palestinien à Jérusalem début 1919 et   appela à la libération de la Palestine et de toute la Syrie. L’objectif majeur du Congrès était l’opposition au colonialisme d’occupation juif. Citant les principes d’auto-détermination de Wilson, le Congrès envoya une délégation à la Conférence de paix de Paris pour transmettre ses demandes.

En juin 1920, le mois même pendant lequel la France conquit la Syrie et mit fin à son indépendance, les Britanniques remplacèrent leur gouvernement militaire en Palestine par un gouvernement civil et nommèrent le politicien britannique sioniste Herbert Samuel comme premier Haut Commissaire de leur nouvelle acquisition coloniale.

Un troisième Congrès national se réunit à Jaffa en décembre 1920 et appela à l’« indépendance »

de la Palestine. Le Congrès élit un comité, l’exécutif arabe palestinien, pour le représenter devant le gouvernement britannique et internationalement. Le Haut Commissaire Samuel répliqua à la demande du Congrès pour l’indépendance en soulignant que les participants ne représentaient pas le peuple palestinien.

La Ligue des nations refusa également d’accepter leur légitimité, car elle était aussi engagée dans le projet du mouvement sioniste de colonisation juive de la Palestine. Le mandat de 1922 de la Ligue ne mentionnait pas une seule fois le peuple palestinien, qui constituait pourtant la majorité de la population à l’époque, et consacrait un tiers de ses articles à des questions traitant de la colonisation juive et des colons juifs, qui constituaient moins de 10% de la population.

Quand les Associations musulmanes-chrétiennes nommèrent une délégation pour se rendre en Europe en 1921, le secrétaire colonial britannique écrivit à Samuel que la délégation devrait être informée que : « la réforme administrative ne peut avancer que sur [la] base de l’acceptation de la politique de création d’un Foyer national pour les juifs, qui reste un article essentiel de la politique britannique ». Il ajouta qu’« aucun organe représentatif qui puisse être établi ne sera autorisé à interférer avec des mesures (i.e. l’immigration, etc) conçues pour donner effet [au] principe d’un Foyer national ou à s’opposer à ce principe ».

Quand les Britanniques offrirent d’établir un conseil législatif pour la Palestine en 1922, ils insistèrent sur le fait que les candidats et les partis auraient à reconnaître la légitimité du mandat colonial britannique et de son projet de colonisation sioniste. Les Palestiniens refusèrent. Le cinquième Congrès palestinien, convoqué en 1922, lança une campagne pour boycotter les élections.

Le sixième Congrès, en juin 1923, se réunit après l’acceptation du mandat aux Britanniques par la Ligue des nations et insista sur la non-coopération. Finalement, les Britanniques refusèrent de reconnaître aucune association représentative palestinienne qui n’acceptait pas la légitimité du mandat britannique sur la Palestine et son engagement dans la colonisation juive du pays.

Comme aucune n’accepta ces conditions, les Britanniques refusèrent aux Palestiniens et à leurs organisations toute reconnaissance nationale pendant leur domination de trois décennies.

Transformation drastique

Quand les sionistes conquirent la Palestine et établirent Israël en 1948, ils avaient déjà une stratégie effective, celle que les Britanniques et la Ligue des nations avaient suivie pour dénier aux Palestiniens une reconnaissance nationale.

Donc, cela a été une transformation radicale quand les Nations Unies, le successeur de la Ligue des nations, ont reconnu l’OLP en 1974, plus d’un demi-siècle après le parrainage par la Ligue de la colonisation juive de leur pays et son déni de toute reconnaissance du peuple palestinien.

 Après les accords d’Oslo, l’OLP, qui a établi l’ Autorité palestinienne, a perdu beaucoup de sa légimité, puisqu’elle est devenue une collaboratrice de l’occupation et a abandonné les droits nationaux des Palestiniens. Avec la montée du Hamas en décembre 1987 et sa légitimité croissante auprès des Palestiniens, les Israéliens ont commencé à suivre la même vieille formule coloniale britannique qu’ils avaient suivie avec l’OLP, une entreprise qui s’est intensifiée internationalement dans les années 1990, après la capitulation d’Oslo.

En conséquence des efforts israéliens, dans les trois dernières décennies les Etats-Unis (octobre 1997) et l’ Union européenne (décembre 2001) ont désigné le Hamas comme une organisation « terroriste », et ont refusé tout implication diplomatique avec lui sauf s’il « reconnaît » Israël et « renonce » à la résistance armée au colonialisme d’occupation israélien. Après la victoire écrasante du Hamas dans les élections législatives palestiniennes de 2006, le soi-disant Quartet de diplomates (des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Russie et des Nations Unies) ont imposé des conditions similaires à tout gouvernement de l’Autorité palestinienne susceptible d’être formé.

Ce ne sont guère de nouvelles conditions imposées par l’Occident avant d’accepter de discuter avec les dirigeants des autochtones colonisés de Palestine.

En 2018, une résolution parrainée par les Etats-Unis pour condamner le Hamas a été   repoussée par l’Assemblée générale des Nations Unies, bien que des efforts américains assidus aient permis de rassembler 87 pays pour la soutenir. Le Hamas a lancé un défi juridique en 2010 à la désignation de l’Union européenne, une affaire qu’il a gagné en 2014 quand la Cour générale de l’Union européenne a tranché en sa faveur. L’Union européenne a fait appel à la décision en 2015.

D’autres jugements des tribunaux sont arrivés en 2017 et en 2019, et ils ont maintenu le Hamas sur la liste des terroristes désignés. En septembre 2019, cependant, une Cour européenne inférieure au Luxembourg a inversé ces décisions et a enlevé le Hamas de la liste, conduisant la Cour européenne de justice à l’enlever aussi.

Néanmoins, comme la décision de la Cour de l’Union européenne est une opinion « juridique », elle n’est pas contraignante dans l’Union européenne, qui continue à considérer le Hamas comme « terroriste ». Les efforts juridiques du Hamas n’ont abouti à rien. Cependant, en mai dernier, l’Union européenne a envoyé des signaux de sa volonté d’ouvrir des voies diplomatiques avec le Hamas, à condition que ce dernier accepte ses conditions pour reconnaître Israël, ainsi que la capitulation de 1993 de l’OLP à Oslo.

Droits autochtones

L’effort pour délégitimer le Hamas est devenu plus urgent après la performance militaire de l’organisation de résistance en mai dernier, quand il a riposté contre l’offensive coloniale permanente d’Israël. En réponse, des organisations juives suisses ont lancé une campagne pour que le gouvernement suisse liste le Hamas comme « terroriste ».

Le ministère des Affaires étrangères suisse a refusé de le faire, tout en soulignant qu’il « condamne le fait que le Hamas dénie à Israël le droit d’exister et définit la lutte armée comme un moyen légitime de résistance ». Le mois dernier également, le parlement allemand a été jusqu’à bannir le drapeau du Hamas. Quant au Royaume-Uni, le parrain de longue date du colonialisme d’occupation en Palestine, il avait désigné l’aile militaire du Hamas — mais pas son aile politique— comme « terroriste » en mars 2001.

En attendant, le Quartet est confronté à la possibilité d’une autre victoire du Hamas dans les élections annulées qui étaient supposées avoir lieu cette année, et il a réaffirmé ses propres conditions pour reconnaître un gouvernement palestinien, à savoir que le « futur gouvernement palestinien doit s’engager à la non-violence, à la reconnaissance d’Israël et à l’acceptation des accords et des obligations précédents ».

Leadership palestinien 

Ce qu’a clairement montré l’histoire du refus britannique, américain, européen et israélien de reconnaître les droits nationaux et autochtones du peuple palestinien à leur propre pays et leur droit à se défendre contre le colonialisme d’occupation sioniste, c’est que les Palestiniens ne seraient reconnus comme peuple qu’après leur abandon de tous leurs droits autochtones nationaux.

Une fois qu’ils seraient soumis et accepteraient le droit d’Israël à les coloniser et à voler leur pays, et une fois qu’ils auraient renoncé à résister au colonialisme d’occupation, l’Occident accorderait aux Palestiniens son interprétation hypocrite d’une version « allégée » de leurs droits « humains » qu’Israël lui-même continuerait cependant à leur dénier.

Le leadership palestinien a refusé de se soumettre à la Grande-Bretagne et à Israël de 1918 jusqu’à 1993. Depuis cette capitulation, l’OLP et l’AP en sont venus à ne symboliser rien d’autre qu’un régime Quisling.

Avec la perte finale de la maigre légitimité de l’AP pendant les attaques israéliennes contre tous les Palestiniens en mai, Israël, l’Occident et leurs alliés arabes ont commencé à s’inquiéter de la montée astronomique de la popularité du Hamas auprès des Palestiniens et dans tout le monde arabe, ce qui a accéléré une pression accrue à délégitimer internationalement l’organisation dans un effort pour la contraindre à une capitulation dans le style de l’OLP.

Les leaders du Hamas, particulièrement ses commandants militaires, savent très bien que l’acceptation des termes coloniaux d’Israël et de l’Occident est dommageable pour les droits nationaux palestiniens et la lutte nationale palestinienne vieille d’un siècle.

Ce qu’Israël et ses alliés arabes et occidentaux refusent de reconnaître, cependant, est que peu importe combien de dirigeants palestiniens ils ont coopté à se soumettre depuis le début des années 1920, leurs efforts ont toujours échoué à mettre fin à la lutte anti-coloniale palestinienne. Il n’y a aucune indication qu’ils réussiront mieux à l’avenir.

Les opinions exprimées article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale de Middle East Eye.

Joseph Massad : Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’Université Columbia à New York. Il est l’auteur de nombreux livres et d’articles, tant universitaires que dans la presse générale. Ses livres incluent : Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, et tout récemment Islam in Liberalism. Ses ouvrages et ses articles ont été traduits dans une dizaine de langues.

Source : Middle East Eye

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/…