« Je ne permettrai pas qu’un soldat israélien soit poursuivi juste pour recevoir des applaudissements de l’étranger. Personne ne nous dictera nos règles d’engagement »

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 11/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Je vais reposer la question : qu’est-ce qui est “israélien” pour moi, comme notre Premier ministre actuel le demandait à chaque invité de son ancien talk-show télévisé ? Et je répondrai encore une fois : Yair Lapid. Et qu’est-ce qui est israélien chez Lapid ? L’incroyable combinaison d’arrogance et d’autovictimisation simultanées.

Il y a des chefs d’État arrogants et d’autres qui s’autovictimisent, mais il est difficile de trouver un autre exemple de leader qui soit les deux. Il faut une bonne dose de chutzpah israélienne pour être à la fois pitoyable à ses propres yeux et vantard. Un exemple : « Personne ne nous dictera nos règles d’engagement, alors que c’est nous qui nous battons pour nos vies », a déclaré le Premier ministre après que les USA ont demandé à Israël de revoir la politique d’ouverture du feu des Forces de défense israéliennes.

La réponse automatique et générique de Lapid avait tout pour plaire : cela fait longtemps que nous n’avons pas eu un orfèvre des mots capable de distiller tous les maux d’Israël en une seule et courte phrase – seulement 12 mots, en hébreu. Il est également difficile d’imaginer un premier ministre qui s’efforce de changer, qui essaie de se différencier pendant un mandat aussi court, mais qui s’attache automatiquement aux déclarations malveillantes et corruptrices de son prédécesseur. Peu importe qu’il soit élu ou non, aucun changement ne se produira.

« Personne ne nous dictera notre conduite », a déclaré le président russe Vladimir Poutine en réponse à la demande du monde de mettre fin à la guerre en Ukraine. « Personne ne nous dictera notre conduite », a déclaré le président syrien Bachar El Assad en réponse à la demande de ne pas utiliser d’armes chimiques dans la guerre civile de son pays. « Personne ne nous dictera notre conduite », a déclaré le président brésilien Jair Bolsonaro lorsque la communauté internationale lui a demandé d’arrêter de couper les forêts tropicales de son pays. « Personne ne nous dictera notre conduite », a déclaré le président philippin de l’époque, Rodrigo Duterte, face aux critiques internationales concernant sa politique d’assassinat des trafiquants de drogue dans son pays. Tous ces tyrans peuvent faire valoir que leurs politiques malfaisantes sont une affaire intérieure et qu’aucun autre pays ne peut interférer.

« Personne ne nous dictera notre conduite » est l’expression de l’arrogance d’un État qui n’accepte pas l’existence d’une communauté internationale et d’institutions internationales, un État qui leur fait un pied de nez. « Personne ne nous dictera notre conduite » est l’arrogance d’un pays qui croit que tout lui est permis et que personne n’a le droit de le freiner.

Les règles d’engagement, tout comme la déforestation, ne sont pas censées être l’affaire “intérieure” d’un pays. Lorsqu’un État viole les lois et règles coutumières, le monde doit intervenir. Quelqu’un doit protéger les forêts tropicales, tout comme quelqu’un doit protéger les peuples sans défense qui vivent sous un régime d’occupation et à qui on interdit même de garder un lance-pierre pour se défendre.

Non seulement la communauté internationale peut intervenir, mais elle doit intervenir, et dans le cas d’Israël, il est regrettable que le monde n’intervienne pas plus énergiquement, car sans de telles interventions, il n’y a pas de monde ni de droit international.

« Seul le chef d’état-major décidera des règles d’engagement de Tsahal », a ajouté un autre héraut de changement, le ministre de la Défense Benny Gantz. Et si le chef d’état-major décide de se lancer dans une tuerie de masse ? Et s’il décide d’utiliser des armes interdites ? Et s’il décide qu’il est permis de verser le sang palestinien, ou le sang des citoyens d’autres États ?

Lorsque les FDI tuent une journaliste respectée, une citoyenne usaméricaine, que sont censés faire les USAméricains ? Applaudir ? Faire preuve de retenue ? Continuer à armer et à financer une armée qui tue leurs citoyens ? Les USA ont choisi la voie de la dérobade : Ils font “pression” sur Israël pour qu’il “revoie ses politiques”, et même cela est trop pour l’arrogance de Lapid. À qui s’adresse sa réponse condescendante ? Aux USA, dont Israël dépend pour tout.

Mais ce n’était pas suffisant, puisque nous avons également besoin d’un gémissement juif autovictimisant et déchirant qui est censé nous permettre de faire tout ce qui nous plaît. Nous sommes une nation qui « se bat pour sa vie ». Ce ne sont pas les Palestiniens, dont le sang coule comme de l’eau, dont les droits sont bafoués et les vies dépréciées, qui se battent pour leur vie, mais l’occupant. C’est l’Israël prospère et armé jusqu’aux dents, tel Goliath écrasant David, qui se bat pour sa vie. Le monde doit se mettre au garde-à-vous. Pour Israël, tout est permis. Il se bat pour sa vie et personne ne lui dictera sa conduite. Il suffit d’interroger le premier ministre le plus libéral de son histoire, Yair Lapid.

Source : TLAXCALA
https://www.palestine-solidarite.fr/…